« Vous êtes sûrs… qu’il doit sortir ? » demanda-t-elle entre deux contractions, la mâchoire serrée, le visage empourpré par l’effort qu’exigeait son corps. Pour être sûre. Des fois qu’il y ait une alternative au cauchemar qu’elle vivait. Ses doigts fins étaient sanglés avec ceux du brun, ses ongles éraflant l’épiderme de sa main à chaque nouvelle saccade brutale. Elle s’excuserait plus tard pour le désagrément. Pour l’instant, sous les cheveux collés contre sa peau, les muscles raidis par la douleur, elle tâchait d’appliquer les consignes de ses deux amis, investis corps et âme à lui apporter tout le soutien dont elle avait besoin. Sa respiration se faisait de plus en plus bruyante, et il n’était pas difficile de deviner les plaintes lancinantes malgré la ceinture qu’elle s’efforçait de mordre de toutes ses forces.

Un maelstrom de souffrance semblait se creuser dans son ventre. L’impression que son corps était sur le point de rompre, pour bientôt atteindre le paroxysme d’un martyre incomparable s’imposa si violemment à elle qu’elle sentit ses cordes vocales se déchirer, des larmes brûlantes déferlant abondamment le long de ses joues écarlates. L’ivoire de ses dents s’était imprimé dans le cuir qu’elle maltraitait impitoyablement.

Elle fut soulagée de pouvoir compter sur Sebastian pour l’aider à se redresser alors que l’énergie semblait la quitter. Elle se sentait éreintée, prête à renoncer quand Liv continua de l’encourager. Il était bientôt là. Son bébé.

A genoux, les jambes tremblantes, soutenue par le chef d’entreprise, elle ferma les paupières pour pousser, puisant dans ses ultimes ressources. La sueur luisait sur sa peau sous l’éclat de la lune qui perçait la cime des arbres. Et, après de très longues minutes, un bruit pour troubler la quiétude trompeuse de l’endroit. Une voix minuscule. Inconnue jusqu’alors. Le soulagement l’enveloppa alors avec autant de réconfort que la chaleur d’une couverture en plein hiver. Encore flageolante, le souffle court, et le corps incendié, elle baissa les yeux, le cœur soudain gonflé d’un sentiment inédit, d’une curiosité et d’une appréhension terrifiante. Ses orbes s’arrêtèrent finalement sur le minuscule bébé qu’on lui tendait. La première rencontre. Poignante. Elle lui coupa le souffle un instant.

« Bonjour toi… » murmura-t-elle dans sa langue natale. Et soudain, l'univers tout entier s'éclipsa autour d'elle.

C'est effrayant. Je crois que je n'ai pas d'autres mots pour qualifier ce qu'il se passe. Je suis en mode automatique, avec l'espoir de ne pas faire de bêtises qui pourraient coûter la vie à Elena ou son bébé. L'adrénaline qui sature mon cerveau et mon corps me fait fonctionner à l'instinct pur, c'est à la fois fascinant et déroutant. Et la dernière poussée me délivre un bébé dans les bras, que je saisis pour le tirer contre moi et venir le regarder. Je panique, je crois. Je ne sais pas vraiment quoi en faire, et j'essaie de m'imposer les cours de Quinn, sa voix entêtante dans ma tête quand elle m'explique ses cours.

Ou même celle de Nolan qui tente de me faire rentrer quelque chose dans le crâne par la force. Le coeur battant à tout rompre, j'essaie vraiment. Et ça percute : Il faut... Le réchauffer, oui, voilà, je parle pour moi-même, venant l'envelopper dans une couverture. Et le cordon ? Est-ce qu'on doit le couper ? Oui, je crois ? Je ne suis plus sûre de rien, actuellement alors que le petit cri, maladroitement, s'agite un peu... Je reviens le confier à Elena, l'invitant à le tenir. C'est leur première rencontre, et c'est fébrilement que je l'aide à soutenir ses bras, sans doute parce qu'elle doit être vidé de ses forces.

J'échange un regard avec Sebastian : je n'ai mis au monde personne et je me sens épuisée tout comme actuellement. On n'a pas idée de faire vivre autant d'émotions aux gens. Surtout à ceux qui n'ont vraiment rien demandé ! Je reprends mon souffle comme je le peux. Mes yeux se posent sur Elena, qui n'a d'yeux que pour son fils dans le creux de ses bras, posé contre sa poitrine. Je me vais pour me passer la main sur le visage avant de m'abstenir. Mieux vaut que je me les lave avant, même si avant, je dois veiller à d'autres choses... Il faut qu'on continue la route, que je souffle à Sebastian. La fin de l'effort va ramener le froid, on ne peut pas s'éterniser ici ou nous mourrons d'hypothermie. Je m'en occupe, que je lui promets. De tout le reste.

Mais ensuite, je veux pouvoir m'effondrer sur un lit après une bonne douche, et dormir pendant trois jours sans qu'on ne vienne m'interrompre...

FIN