Tant qu'on ne reste pas ici, ça m'importe peu où on va, que j'annonce à Sebastian fermement. Pour moi, c'est une évidence, je me moque de la direction, on ne peut pas la laisser ici, c'est un risque trop grand pour elle et son bébé de toute façon. Je récupère ça, je vais préparer la calèche, que je souffle en rassemblant les couvertures que nous avons utilisé cette nuit. Il va me falloir m'arranger pour faire un matelas confortable pour elle. Et avant de sortir, je pose tout dans un coin pour me pencher vers elle : Elena, que je souffle.

Je lui attrape fermement la main : Respiration profonde, tu inspires cinq secondes, tu retiens sept et tu souffles si tu peux sur dix, c'est le seul moyen que j'avais avec Romy pour ne pas céder trop facilement à la douleur. Bon, on ne dira pas qu'après, ça a été un vrai carnage. Essaie de faire chauffer ça, on mettra la poche chaude sur ton ventre ou dans ton dos, selon là où tu auras le plus mal, que j'explique à Elena en donnant la poche à Sebastian pour qu'il fasse sa besogne.

Tu seras allongée dans la calèche, et tu demanderas ce que tu voudras, même si tu veux qu'on te chante une chanson, que je reprends à l'égard de la grecque. Et je dis ça d'un air totalement affirmatif, avec une apparence décontraction. Et la voix enrouée qui va avec, de toute évidence. Bon qu'on soit d'accord : pour notre survie à tous, c'est Sebastian qui chantera, déjà pour éviter la pluie. Parce que je ne connais plus que des comptines pour enfants et... les paroles des musiques de Tears for Fears, pas sûre que tu reconnaisses avec mes talents, je dis ça en me relevant après avoir posé un rapide baiser sur la tempe de la brune, m'extirpant de là vers la calèche.

Ça y est. C’était peut-être la douleur, l’angoisse suscité par la promesse d’un accouchement imminent, les hormones, ou peut-être tout à la fois, mais la grecque sentait son sang-froid ordinaire se fissurer. Brutalement. Elle se redressa presque sauvagement, reculant d’un pas, en secouant la tête. « Non, non, non… On sait ce qu’il y a derrière nous oui. On a eu un mal fou à contourner cet arbre, sans compter la meute. » Pour la première fois de sa vie, Elena avait peur pour elle. Ou plutôt, peur pour cette vie qui battait sous ses côtes. Pour son fils qu’elle n’était plus sûre de pouvoir protéger. « Je ne veux pas y retourner. Pas dans cet état. » Elle ne pouvait pas se défendre, elle était vulnérable, et s’ils étaient assaillis de nouveau pendant qu’ils devaient traverser le marécage boueux ? Sebastian et Olivia ne pourraient pas être partout à la fois.

Les recommandations de la cheffe semblaient s’être faites violemment lavées par une soudaine tornade. Elle ne parvenait pas à respirer correctement. Elle ne parvenait pas non plus à raisonner sereinement, malgré le calme de ses amis. « On pourra tenter de contacter Val quand nous serons suffisamment proches. Emilie nous rejoindra et tout ira bien. » Forcément. Elle adressa un regard terrorisé à Olivia. « Je veux qu’on continue. »

On va voir ce qu'on peut faire, j'attrape Sebastian par le bras pour l'amener à ma suite dehors, attrapant les couvertures pour les balancer dans la calèche sans vergogne. Le temps de grimper dedans et de commencer rapidement ce fameux matelas pour Elena, je prends le temps de me hater et de fixer Sebastian : Je vais prendre un peu d'avance, voir ce qu'il y a sur la route, que je lui souffle. En direction de Telve, évidemment. Elena n'est pas vraiment en état de réfléchir à la question, dans sa situation.

Je reviens dans moins de trente minutes, ça te laisse le temps de gérer ici, ok ? Elle ne doit pas paniquer. Oblige-la à respirer, dis oui à tout ce qu'elle veut entendre, ne lésine pas sur les moyens, que j'ajoute. Alors que je finalise rapidement, je redescends pour lui faire face : On fera ce qu'il y a à faire pour elle, elle va sans doute être trop occupé et inquiète pour son enfant pour en avoir quelque chose à faire de toutes les imbécilités que tu vas lui raconter, je saisis la selle, le temps d'équiper Happy comme prévu. Il m'aide rapidement pour tout ça : Je fais au plus vite avec un état des lieux, ne perds pas tes nerfs parce qu'elle va être ingérable, simple conseil.

Je grimpe sur Happy, avec son aide, avant de réajuster les liens et de lui faire un signe de la tête. L'occasion de partir ensuite quasiment au triple galop comme prévu...

________

Le souffle court, on l'a échappé belle. J'ai failli tomber de cheval, mal réceptionnée sur un rodéo de la part d'Happy qui aurait bien voulu m'abandonner là-bas pour revenir dans l'autre sens. Mais avec tout ça, j'ai quelques informations. Les cuisses en feu d'avoir dû tenir l'allonge, j'ai l'impression que ma monture est plus rapide au retour qu'a l'allée. A raison sans doute. On ne revient pas sur nos pas, Happy refuse d'aller plus loin et j'ai croisé pas mal de morts, ils sont encore éparpillés mais s'il y a une horde qui s'est agglutiné dans la zone après notre passage, on ne passera pas au travers, que j'annonce, en essayant de ne pas tousser mes poumons au passage. Je redescends, manquant un vertige, avec la fièvre et la fatigue, je n'en mène pas plus large. Si on y va, c'est maintenant, ils viendront vers nous sinon... Et je n'ai pas envie d'être là quand ça arrivera...

Spoiler:

« Elena, tu vas avoir ton bébé et tu n’as surement pas envie de vivre ca dans une charrette avec nous… »

Je ne me sens absolument pas de taille a affronter cela. Il n’y a pas que le fait que mes connaissances médicales s’arrêtent au 1ere secours et a la gestion d’accident du travail, ce qui n’incluait pas des accouchements nomades dans le monde du BTP, qui me bloque. Même si le temps a fait son office Elena reste mon ex compagne et cela rend tout bien plus compliqué a gérer. Ce n’est pas moi qui devrais être a ses côtés. J’essaye de ne rien montrer de ce que je ressens et parle comme si tout allait bien aller.

« C’est le plus rapide, la route pour rejoindre Valerian est peut être pire. Sans compter que Faith nous en voudrait surement terriblement si ce n’est pas elle qui s’occupe de la naissance. Personnellement je la pense pire qu’une meute de loup quand elle veut. »

J’essaye de faire un peu d’humour pour dédramatiser. Olivia décide de n’en faire qu’a sa tète et surement qu’en temps ordinaire je n’aurais pas accepté, mais je suis trop inquiet pour Elena pour cela. Je reste a tenir la main de la jeune femme en essayant de la rassurer du mieux que je le peux. Je suis en train l’aider a s’installer le mieux possible dans le chariot quand Olivia revient avec les nouvelles les plus contrariante possible. A croire que le destin VEUT VRAIMENT qu’on aille a CROSEND BAY. Nous prenons donc la route qui même vers Valerian, découvrant, sur le chemin, que les miracles existent. Un pont qui n’était sur aucun plan nous permet de gagner un temps précieux et nous ne croisons aucune difficulté pour faire ce trajet en un temps record. Olivia et moi nous sommes relayés pour soutenir moralement Elena qui semble souffrir terriblement, ce qui ne fait que décuple ma culpabilité de l’avoir emmener avec nous.

Malgré tout, la nuit tombe et nous ne sommes pas encore arrivé quand le bébé décide de pointer le bout de son nez. Je regrette le plus amèrement du monde beaucoup trop de décisions dans l’instant mais l’urgence n’est pas pour refaire le monde avec des « et si ». J’arrête la charrette et pars au coté d’Elena pour la soutenir avec ce même sentiment d’inutilité qu’on déjà vécu bien trop d’hommes avant moi. Je mets ma main dans la sienne et tente de me mettre derrière elle, comme Daemon m’avait expliquer avoir fait avec Alex.

« Laisse moi me placer derrière toi. Tu ne dois surtout pas rester allongé, alors tu vas t’appuyer sur moi et serre ma mains a chaque contraction… d’accord ? »

Au prix d’un effort considérable, la grecque décida de se fier à Sebastian et Olivia. Elle souffla doucement, se pinçant l’arête du nez en hochant la tête, prête à capituler. « Ok… Tu as raison. » Faith était plus proche, elle était préparée depuis des mois à cet accouchement, il suffisait seulement d’arriver à temps et d’éviter les obstacles qu’ils avaient déjà rencontré… Les dents serrées par la douleur qui se manifestait par intervalle régulier, elle attrapa brièvement la manche de la cheffe. « Sois prudente surtout. » lui somma-t-elle alors qu’elle disparaissait en éclaireuse.

***

La situation ne pouvait sans doute pas être plus catastrophique. Allongée dans la calèche, emmitouflée par les mille précautions déployées par ses amis, les contractions redoublaient d’intensité depuis des heures maintenant au rythme des secousses inévitables. Si la grecque avait tenté jusqu’à présent de sauver les apparences, tout en calquant sa respiration sous les conseils d’Olivia, l’urgence se manifesta si brusquement et explicitement qu’il lui arracha un gémissement à la fois surpris et plaintif. La main plaquée contre son ventre au supplice, elle jeta un regard arrondi d’effroi vers Liv. « Il… Il arrive. » Le bébé. La douleur lui irradiait le corps avec une violence inégalable, et soudain la morsure du froid parut bien douce à côté de la vague brûlante qui déferla à travers son ventre. Avec inquiétude,, elle toucha l’intérieur de ses cuisses humide. « Non, non, non… »

Le temps sembla défiler à toute vitesse en cet instant et le suivant où la calèche s’immobilisa et où elle se retrouva avec Sebastian en soutien dans son dos. Pas le temps d’éprouver de l’embarras dans son état, elle ramasserait son orgueil en miettes plus tard. Elle serra avec force la main du chef d’entreprise en cherchant du regard Olivia, une expression difficilement déchiffrable lui froissant le visage. Elle était terrorisée. Ce n’était pas du tout prévu comme ça. C’était Quinn et Faith qui devaient se charger de cet accouchement, et au lieu de ça ? Elle était au milieu de nulle part, entre son ex compagnon et sa nouvelle conjointe, en pleine nuit, les jambes écartées et le souffle hachuré. « Je… Je peux pas accoucher comme ça, je vais pas y arriver sans Faith… » Elle secouait la tête, les yeux embués. « Donne moi… quelque chose… à mordre. » Si elle devait donner naissance à son fils ici, il allait falloir étouffer le bruit. Et quelque chose lui laissait penser que ce ne serait pas une mince affaire.

Maintenant ? Je me raidis en comprenant que ce n'est plus vraiment une question. Le regard affolé d'Elena en dit long, et l'humidité dans les nombreuses couvertures qui recouvrent ses jambes n'est pas là pour rien. Je souffle, dégageant la masse pour ne lui en laissant qu'une afin de préserver sa pudeur comme je le peux. Mais devoir me retrouver face à elle de cette manière, ça me fait quand même tout drôle. Qu'importe cependant, ça n'est même pas une considération à prendre en compte. J'essaie de réfléchir à tout ce que Nolan a pu faire pour moi lors de mon accouchement, mais les souvenirs se mélangent un peu.

Ma première étape, c'est de me laver les mains, de préparer un couteau à côté et une couverture comme je le peux. J'échange un regard un brin paniqué avec Sebastian : il faudra impérativement tracer ensuite jusqu'à Crescent pour les mettre tous les deux à l'abri. Notre fenêtre est mince. Bien sûr que si tu vas y arriver ! Que je lui somme avec autorité, en esquissant ensuite un sourire confiant : On est là, on va t'y aider, que je lui annonce, les mains à peu près propres. J'ai un temps d'hésitation en me disant que je peux seulement y aller à tâtons, mais que ça serait faire pire pour des raisons absurdes. Qu'importe, voilà !

Entre chaque contraction, reprend ton souffle. C'est la dernière ligne droite, Elena. La douleur va être de plus en plus rapproché jusqu'à la fin, il faut que tu retrouves ton énergie au maximum pour pouvoir pousser, que je lui explique. Elle se fiche sans doute de mes conseils, aimerait juste que ça s'arrête et que ça ne se passe pas dans ces conditions. Ne lutte pas contre, écoute ce que veut faire ton corps ! De toute façon, elle n'aura pas le choix. Mais ça peut faire pire que mieux si elle s'obstine. Si tu as besoin de te redresser, dis-le, Je dis ça, en étant prête à mon tour : Allez, c'est maintenant, Elena, à cet instant, on aimerait tous les trois être ailleurs que dans cette configuration.

La grecque à mettre au monde son enfant au bord d'une route, dans une calèche encore pleine d'échardes, Sebastian à se faire broyer les mains à chaque poussée de plus en plus douloureuse, et moi à donner des indications à la jeune femme pour qu'elle survive à la douleur. Des encouragements, un rythme auquel se fier pour poursuivre et retrouver son souffle. Je n'ai aucun mal à me souvenir comment elle souffre et pourquoi : Ton bébé est bientôt là, que je l'encourage, confiante pour l'instant : Encore un peu, et tu pourras le tenir dans tes bras ! N'est-ce pas tout ce qu'elle attend, désormais ?

Je reste derrière Elena, lui offrant ma main tout en la soutenant pour qu’elle ne s’allonge pas. Etrange comme j’arrive a me souvenir de petites choses anodines dites par mon frère en regrettant d’avoir creuser quant au pourquoi. Je me souviens a peine de ce qu’ils m’avaient dit mais je comprends mieux le sentiment d’impuissance que l’on ressent de voir une personne cher souffrir sans savoir faire plus que lui serrer la main ou lui murmurer des mots d’encouragement.

« Tu vas y arriver, on est avec toi … »

A sa demande je détache ma ceinture, plis le morceau de cuir et lui tends. Je comprends bien l’idée et la nécessité de ne pas faire plus de bruit qu’il n’en faut. Gère une attaque en même temps que l’arrivée du bébé serait un drame. Je laisse Olivia, qui est celle de nous trois qui a le plus d’expérience, orchestrer. De mon côté, je ne peux offrir que mon calme et mon soutien, l’aidant a ne pas perdre le compte dans ses respirations. Essayant de la faire sourire entre deux contractions, dans ses petits moments de pause ou la maman peut reprendre souffle avant la descente finale, en la menaçant gentiment de chanter, en lui parlant de la mer et de bateau, de la Grèce et du vin… de tout ce qui peut me passer par la tête pour qu’elle puisse se réfugier ailleurs que dans sa douleur.

Quand Olivia indique que c’est la dernière ligne droite, plus pas instinct que mémoire, j’aide Elena a se redresser un peu plus, pour se retrouver a genoux, quitte a la porter en partie, prêt a rattraper le bébé si la mère n’a pas la force de le faire. Ca, aucune mère n’aime parler de ces dernières minutes ou l’enfant se fraie un chemin vers la sortie, toutes préfèrent oublier.

« C’est les derniers efforts…. Tu peux le faire !! »