Le trappeur en avait conscience : depuis qu’il avait rejoint le groupe des Expandables, c’était bien la première fois qu’il était devenu un poids et un fardeau pour les siens, en plus d’un blessé – et donc d’un patient – difficile à vivre et à soigner. Des années et des années de vie solitaire et de survie au sein d’une nature tempétueuse, violente et sans pitié, n’avaient point aider à ses habiletés sociales. Outre le fait qu’il fallait le rechercher pour pouvoir changer ses pansements, et s’occuper de lui, il ne parvenait point à rester assis à ne rien faire… Aussi se faisait-il souvent rabrouer par ses soignants lorsqu’ils le virent déambulant à pied-joints dans le potager, le fumoir, le saloir, et son établi de chasse et de cueillette. Il ne parvenait point à demeurer au repos… Il fallait qu’il aide, et qu’il travaille.

Alors, la sollicitude du chef de groupe était tout à fait particulière, tant dans sa saveur que dans son originalité. Il s’y attendait sans doute – les deux hommes avaient combattus et survécus ensemble – mais ne l’espérait point réellement tant Connor pouvait être froid et distant parfois. « Plutôt bien ! » Répondit alors le trappeur, un sourire gêné alors qu’il rejoignait Connor, levant alors la jambe en bougeant la cheville comme pour montrer qu’il était réparé et prêt pour l’action. « Bon faut dire que le froid est… Pas vraiment une aide dans ces moments-là mais eh… Ce n’est qu’une cheville. J’en ai deux, par chance ! »

Il sourit. S’il avait au moins appris à supporter les êtres humains à ses côtés pendant plus de deux heures en continue durant sa convalescence, les retrouvailles récentes avec son autonomie – au milieu de ce groupe soudé – le ramenèrent bien vite dans ses mauvaises habitudes passées. Tel un ours au cœur de guimauve, il appréciait sa solitude et reprenait avec passion ses activités solitaire : la chasse, la pêche, la cueillette et la culture du potager et la gestion des serres de permacultures. Aussi, il rapiéçait les vêtements de cuir et de lins, fabriquait des cannes-à-pêches artisanales, des hameçons, de petits outils… Bref, passait son temps à travailler dans son petit établi qui animait le lieu de vie de bruits de marteaux, de scies et de haches. « Je te dois beaucoup ! J’ai… Beau avoir crapahuter toute ma vie dans les forêts du Nord du pays et… Enfin, avoir fait face à la nature et aux hommes, je ne m’étais jamais rien cassé. Enfin, rien d’aussi grave… Ton aide était très précieuse pour pouvoir reprendre une capacité physique suffisante et m’éviter d’être handicapé. Enfin… » Oh, qu’il lui était difficile de dire ce qu’il pensait ! Au moins, lorsque l’on vit seul, il n’est obligatoire d’être honnête qu’avec soi-même ! Et mère nature ! Mais cette dernière ne respecte rien d’autre que l’honnêteté, sans quoi, elle vous avale sans rechigner. « Oui, enfin ! Chasser dans ces conditions aurait été suicidaire pour moi… Mais maintenant, les chemins d’animaux doivent être suffisamment frais pour garder les empruntes de pattes et suffisamment anciens pour en conserver également les trajectoires usuelles des animaux. Il suffira de piéger ces zones, et de suivre les traces les plus récentes. Un fusil devrait suffire, je pense ! »

Il ne le dirait pas à Connor qui semblait autant en proie à l’espoir qu’à la résignation, mais cette période de l’année n’était point propice à la chasse aux gros gibiers. S’ils trouvaient un cerf, une biche, un chevreuil ou un sanglier, cela serait surtout dû à la chance ! Encore plus concernant la toute dernière espèce. « J’ai un traineau de bois. Si on trouve un bel animal, on pourra le dépecer sur place et ramener toute la nourriture plutôt que d’en laisser aux loups. »

Ulysse comprenait la pensée qui animait les mots et les intentions de Connor. Il le savait : le trappeur devait beaucoup au chef de groupe, bien plus que ce dernier vis-à-vis du trappeur. Pourtant… Voilà que c’était bel et bien le chef qui se faisait force de remerciements et de bienveillance. Ulysse s’en souviendrait longtemps, assurément.

« C’était ma vie avant… Normal que ça me vienne naturellement. Mais faire ce que tu m’as fais faire en exercices et autre, ça ne me serait jamais venu naturellement. Un partout, balle au centre ? » Demanda alors le trappeur, un sourire dans la voix alors qu’il suivit le chef de groupe, se rendant alors en chasse. Le fait, toutefois, qu’il parle d’investissement sur le long terme, le piqua dans son orgueil. Mais il pouvait aisément comprendre qu’un trappeur était, en effet, un investissement sur l’avenir. Là où les autres pourraient réparer, combattre et faire tout un tas de choses, Ulysse restait le roi de la chasse et de la survie. Mais bon… Tout le monde devait bien être une aide ou une compétence dans un éventail que représentait le groupe.

« D’accord ! Et bien… Allons chasser ? Cela devrait me faire suffisamment bouger je crois ! »

La forêt dénuée de branchages, de broussailles, de buissons et des plantes, offrait un spectacle de désolation tout à fait différent de celui de la luxuriance de l’été. Pourtant, dans l’esprit et la vision d’Ulysse, même cette étendue de troncs plus ou moins épais et aux poussées plus ou moins droites, plus ou moins uniques ou curieuses, pointant vers les cieux sans y déployer aucune canopée, pouvait se montrer magnifique. Contrairement au commun des mortels, ces environnements-là ne rendaient point la chasse plus facile… Discerner un animal d’entre les troncs s’entremêlant sur des lieux devant soi n’était point aisé. Point aisé du tout.

Concentré, le trappeur reprenait aussitôt ses marques alors qu’il voyait ça et là, une trace ancienne de passage de très petits animaux ; ici une selle sèche, froide et en cours de décomposition ; et là les traces passées de griffes d’ours sur un tronc qui lui aura servi à s’étirer. Rien de bien récent, malheureusement… Mais Connor, lui, trouva une toute petite trace de gibier. S’accompagnant, plaçant un doigt au milieu de l’empreinte pour en déduire la profondeur et la taille, le trappeur sourit : « Un écureuil, on dirait. Suivre sa piste serait une excellente idée, il nous mènera sans doute à sa réserve de graines et de noisette et donc, à de plus gros gibiers. Les cerfs et les sangliers raffolent de ces petites choses, et il n’est pas rare de les trouver là où tombent les débris de noix. Par ici ! »

La direction était toute trouvée, et Ulysse la suivrait assidûment.