La situation est tendue et dégénère rapidement. L’israélienne sent dans ses veines, l’adrénaline et une colère difficilement contenue. Sans la présence de Daisy, n’aurait-elle pas été tentée de se faire justice elle-même ? Sans doute. Elle a du mal à se concentrer, tant à cause de la douleur à son bras qu’à cause des coups de feux qui retentissent et des cris de la foule. Des cris, des balles et du sang. « Quoi ? » Fait-elle, alors que Daisy tente de l’avertir. Son regard s’est posé sur un milicien et sa main vient triturer son chignon vaguement en place, prête à détacher ses cheveux pour récupérer la pique qu’elle y a glissé mais… Déjà les Trônes descendent de l’estrade, ce qui fige l’israélienne… de peur. Les pensées et les souvenirs se bousculent, son cœur bat à un rythme effréné mais la main de Daisy la ramène à l’instant présent. « Le Bidonville ? »

C’est là que la déflagration retentit et souffle tout le monde par l’ampleur du désastre qu’ils ressentent jusque sous leurs pieds. « Qu’est-ce que… » Et à nouveau, c’est le chaos. Et là, seulement, l’architecte revient à elle, à Daisy, à la dangerosité de la situation. Armand et les Trônes prennent la situation en main, à eux maintenant de se mettre à l’abri. « On s’en va, on va chez moi. On embarque ceux qu’on reconnait. » Souffle-t-elle, en se redressant pour fendre la foule pour tenter de retrouver son habitation. L’israélienne se retourne, un instant, pour chercher un visage en particulier parmi les disgraciés qui viennent de rejoindre le district. Mais elle ne la voit pas. Plus tard. Il serait temps de la retrouver plus tard.  

Les talkies autour de lui grésillèrent sur la voix de River qui transmettait l’information à propos du bidonville, alors que les Trônes en compagnie de Jacob avaient réussi à faire taire les armes. Il y eut comme un temps d’arrêt et Armand leva les yeux sur la place autour de lui. Il avait le cœur qui battait à mille l’heure. Le sang, la mort, l’horreur. Ce n’était tellement pas ce qu’il voulait… Ses oreilles lui donnaient l’impression de bourdonner, les bruits autour de lui lui parvenait de manière étouffée.

- Général, y a des incidents au bidonville, répéta par deux fois, l’un des Trônes, à ses côtés, qui attendait les ordres. Armand revint dans le présent et posait ses yeux noirs sur le jeune homme au moment où le sol tremblait et le bruit des explosions les soufflait. Son visage se décomposa.

L’heure n’était pas encore à s’apitoyer sur la tournure des évènements. De nouveau en pleine possession de ses moyens, le Général commanda rapidement ses troupes. Ceux qui aideraient à évacuer ce festival de malheur et apporteraient de l’aide aux blessés. Ou achèverait les victimes. Et ceux qui allaient se rendre de toute urgence vers les lieux de l’explosion.

Là, il courut. Comme il le put, dans ce tumulte. Près de Jacob, de McCarthy et en compagnie d'une quinzaine de Trônes et au moins autant de miliciens. Vers le District 5 et le bidonville. Vers un spectacle encore pire.

Spoiler:

Le souffle court, j’ai le bras qui pulse au rythme des battements de mon cœur, mais ce n’est pas ce qui concentre mon attention dans l’immédiat. Essayant de respirer pour calmer la douleur, je ferme les yeux, passant les mains sur mon ventre pour tenter de la calmer, quand bien même n’est-ce pas elle qui décide. Et je relève brusquement la tête. Je l’ai entendu, c’était bien sa voix. Et c’est ce qui me donne la force d’avancer. Pas beaucoup. Quelque pas. Assez pour l’apercevoir dans sa tenue de Trône. « Benjamin. » Un sourire de soulagement pur éclaire mon visage et je soupire quand il finit de me rejoindre pour me prendre dans ses bras, oubliant momentanément mes douleurs. Il est là. Mais je fronce les sourcils en voyant son bras. « Tu es blessé. » Tout comme moi. On va sortir de là et…

Je m’accroche à lui quand l’explosion – les explosions – ont lieu et que le sol tremble. Un cri m’échappe, et je me blottis contre lui, les yeux écarquillés. Nonnonononon. Il faut partir. Mais vite, bien vite, trop vite, la foule en panique grossit encore. Mais ce ne sont pas les mêmes. « Oh Dieu tout puissant. » Des disgraciés. Je regarde autour de nous, sans reconnaître personne. L’ordre est donné de quitter le festival, Armand et les Trônes se mettant en route. Instinctivement, ma main se referme un peu plus sur celle de mon époux. Je ne veux pas me retrouver seule. Et il ne refera pas la même erreur, n’est-ce pas ? « Anjali. Je devais la retrouver. On doit la chercher. » Et sans attendre de réponse, je l’entraîne avec moi. Ou plutôt, je le laisse fendre la foule, me cachant dans son ombre.

Et il finit par les trouver, je ne sais comment au milieu de ce chaos. Mais c’est Nell que je vois en premier. La douce et adorable Nell. Le corps de Nell. Je me plaque une main sur la bouche, les larmes se mettant à couler quand je me rends compte qu’elle est bel et bien morte. Seigneur. C’est uniquement parce que Benjamin me tient que je ne m’écroule pas sur place. Ce n’est pas juste, c’est tellement injuste, ça n’aurait jamais dû arriver, se passer de la sorte. Comment ça a pu…

Je tourne la tête et je les vois. Kendale, une petite brune, Anjali. Et… le bébé. Qui a encore son cordon ombilical ? Quoi ? Comment ? « Anjali… ? » Son bébé. Celui de Mason. Un bébé. Ici. Par tous les Saints. Mon regard passe de la maman et du nourrisson à Nell. Le coeur atrocement douloureux, je ravale un sanglot désolé et horrifié. On ne peux pas rester. « L’hôpital. Il faut aller à l’hôpital. » Je cille contre Benjamin, ayant soufflé ces mots d’une voix blanche. Il faut les mettre en sécurité. Nous mettre en sécurité.

« Jena… reste avec moi. » Elle pâlissait à vue d’œil. Je n’étais même pas certain qu’elle m’ait entendu, par-dessus tout ce tumulte. Je la gardais dans mes bras, comme si je pouvais dresser une barrière de mon corps entre elle et ce monde devenu fou, mon arme de poing toujours en main. A mes côtés, Mia faisait ce qu’elle pouvait pour éviter qu’elle se vide complètement de son sang sur le parvis de la place en attendant les secours… mais je savais que chaque minute comptait. Cette attente était insupportable. Je me sentais impuissant comme jamais.

Quand le sol se mit subitement à trembler et que l’air se réchauffa, le choc me coupa le souffle. Je relevai les yeux pour les porter vers l’horizon, vers le bidonville et les districts les plus pauvres. « C’est fini… » Soufflai-je d’une voix atone, à mes filles toutes proches et Jordane. « Le régime est tombé. » Et, avec lui, l’ordre que j’avais tant cherché à préserver n’était plus. Armand et ses partisans allaient bientôt se retrouver entre le marteau et l’enclume, assaillis de toute part par les fervents de l’Adonaï et les anarchistes avides de vengeance. Avais-je pris la bonne décision en décidant de le suivre ? J’avais tout fait pour empêcher que notre éden ne disparaisse dans un bain de sang… et l’échec avait un goût de cendres.

Bientôt, peut-être nous faudrait-il fuir pour éviter que ma famille ne subisse la vindicte populaire à cause de mes propres actes perpétrés pour maintenir l’ordre. Mais dans l’immédiat, ma priorité était de les ramener en sécurité et de m’assurer que Jena survive au moins un jour de plus. Plus tard, je m’interrogerais sur notre avenir entre ces murs. Plus tard, je réfléchirais à ce qui pouvait encore être sauvé.

Maelys essayait de rester calme mais les larmes coulaient sur ses joues, malgré ce que disait Mia. Elle s’accrocha à Ashe alors que la chienne revenait, tirant du réconfort de la présence de la chienne, alors qu’elle avait peur de perdre sa mère. Pas alors qu’elle commençait à se convaincre que son père était mort. Elle avait besoin d’elle. Mais elle ne pouvait même pas tirer de réconfort auprès de River qui avait l’air sincèrement inquiet lui aussi. Rongée par l’inquiétude, elle n’arrivait pas à détourner le regard de sa mère qui pâlissait à vue d’œil et qui semblait de plus en plus mal. Elle n'avait même pas remarqué, sur le moment, que Sienna n’était pas là. Ce n’est que quand il prononça son nom qu’elle regarda partout autour d’elle. Est-ce que… Est-ce que quelqu’un pouvait la chercher ? Elle n’osait pas quitter sa mère, même si elle ne pouvait rien faire. Et elle avait beau regarder tout autour d’elle, elle ne voyait pas à qui demander. Ni Jordane ni Lynn n’étaient en état, et Mia s’occupait de sa mère. Est-ce que… Est-ce qu’elle devait s’éloigner ? D’une toute petite voix, en s’adressant à tout le monde et personne à la fois, elle reprit la parole. « Est-ce que maman va mourir ? » Elle eut l’impression qu’on lui répondait par un long silence, sans bien savoir si c’était son imagination ou si c’était réellement le cas, et elle s’approchait de Jena sans oser la toucher. « Je sais que je te l’ai pas montré et que je te l’ai pas dit, mais je t’aime maman. Me quitte pas, s’il te plait. Reste avec nous. » Rien de ce qui ne se passait autour n’avait d’importance. Même si elle aurait dû chercher Sienna. S’assurer qu’elle allait bien. La peur pour Jena la paralysait.

Je ne comprends pas ce qui se passe. Je regarde autour de moi, hébétée, alors que la douleur pulse dans mon bras. Mais ce n’est rien en comparaison qui chaos qui nous entoure. Dieu merci, papa est là et il saura quoi faire. Sauf que je le vois face à Jena et, d’un coup, je me retrouve plongée près de deux ans en arrière quand nous avons perdu maman. Les larmes me montent aux yeux mais, heureusement, Mia a la présence d’esprit de s’occuper d’elle.

Je fronce les sourcils aux paroles de mon père quand il nous annonce que le régime est tombé. « Mon Dieu… » Soufflé dans un murmure incrédule, alors que je me demande si ce sont ces anarchistes, ces criminels, qui vont prendre le pouvoir. Ceux qui déchirent des Bibles, ceux qui posent des bombes et j’en passe. Un frisson me parcourt l’échine alors que des soldats semblent courir en direction du bidonville. J’en ai oublié la pauvre Sienna pendant un instant, au vu de la cohue indescriptible autour de nous, mais je finis par regarder autour de moi, l’appelant sans succès, avant de secouer la tête en direction des filles. « Elle, elle va s’en sortir… »

Et, quand j’entends la détresse dans la voix de Maelys, je me rapproche d’elle pour la serrer contre moi, incapable de dire quoi que ce soit pendant un instant.  Mais d’un coup, j’écarquille les yeux. « Il faut qu’on rentre ! Les enfants ! » Si j’ai toute confiance dans la nourrice qui s’occupe d’eux aujourd’hui, c’est une peur viscérale qui me prend brusquement. Qu’on leur fasse du mal maintenant que tout ce qui faisait notre existence semble s’écrouler autour de nous. Qu’on nous les enlève. Qu’on détruise notre maison, notre vie. Je fixe papa une seconde et, sans même une hésitation, je cours en direction de la maison. Protéger les enfants, avant tout le reste. Il n’y a plus que ça qui compte désormais.