« ça va. » gronda presque la tempétueuse brune, évidement contrariée par ce corps vulnérable qui la trahissait. Elle serra les dents pour ignorer les contractions qui lui lardaient le ventre. Une part d’elle détestait cette situation. Cette fragilité physique contre laquelle elle ne pouvait pas lutter malgré toute son obstination.

Elle se passa une main fraîche sur le visage pour modérer ses élans émotionnels sans doute disproportionnés. Elle hocha doucement la tête, se raccrochant au timbre de voix de Sebastian. Eternellement posé, mesuré. Ils avaient souvent été complémentaires ainsi. Elle ferma brièvement les paupières, inspirant lentement l’air glacé qui gonfla ses poumons. « Ok… » souffla-t-elle en raccrochant ses orbes sombres dans ceux du chef d’entreprise.

Un souffle amer lui échappa toutefois. « Qui d’autre pourrait les frapper avec une telle puissance ? » Un autre colosse qui désirait se glisser dans l’équation ? Elena n’y croyait pas. C’était signé Phelbs, c’était évident. Elle avait eu ce qu’elle voulait avec la libération symbolique des disgraciés, et elle n’avait pas pu s’en tenir à ça pour l’instant, évidemment. L’aigreur lui tapissait la gorge. Elena était furieuse. Quant à la menace Oblivions… « Si Phelbs en avait conscience, je doute qu’elle ait agi aussi… déraisonnablement. » Elle secoua la tête. C’était une partie d’échecs depuis le début, ils -elles- savaient que la patience serait de mise, que les coups stratégiques devraient être portés mais que pour mettre à terre leur redoutable et puissant ennemi, ils auraient besoin d’un soutien interne. Armand, en l’occurrence, avait tout du profil idéal. Voilà qui compromettait leur alliance.

« J’ai le sentiment de repartir à zéro. » déplora-t-elle. Elle avait été trop longtemps sur le banc de touche, à l’écart des intrigues, sans voix pour donner son opinion. Aurait-elle changé quelque chose ? Peut-être pas, mais elle aurait au moins essayé. « Mon contact est sans doute furieux à l’heure actuel. On a, certes, asséné un coup critique à notre adversaire, mais à quel prix ? » Ils avaient dégagé un boulevard pour les Oblivions. S’étaient privés d’un complice influent et efficace. Et ils avaient réduit en cendres Seattle, entretenant ainsi un cycle sans fin de violence et de destruction. « Au vu de la situation actuelle, je crois que nous devrions nous concentrer sur nos alliés les plus fiables. Il faut prévenir les Exilés et les Expendables en priorité. On doit réfléchir à la suite maintenant. Plus que jamais nous devrions faire front commun, et assurer notre protection pour cet hiver. » De toute évidence, si les Remnants avaient frappé, ils l'avaient fait sans consulter ou avertir au préalable "l'Alliance". Pour Elena, cette offense en signait le glas d'une certaine manière. Ils devraient se débrouiller seuls pour la suite... Mais à ce sujet, les conseils de son ancien compagnon étaient toujours avisés.

Je soupire a son « ca va » plus inquiet qu’agacé par sa ténacité a ne pas écouter son corps. Je lui lance un regard qui en dit long sur ce que je pense de la situation alors que je me tiens prêt à l’aider si elle perdait l’équilibre a cause de ce qui semble être une douleur localisée :

« Elena, tu es douée pour beaucoup de choses, mais le mensonge n’en fait pas parti. Tu sais bien que je ne suis pas du genre a te forcer, alors évite de me mentir s’il te plait, surtout sur ton état. »

Même si ca avait été a mon corps défendant, j’avais du la laisser s’entêter dans les pires erreurs ou se mettre en danger une multitude de fois parce que je ne suis pas le genre de personne qui pense les femmes comme des objets fragiles. Respecter Elena c’était aussi lui accorder le droit d’être la mieux placée pour savoir ce dont a besoin, même si elle semble s’échiner a me prouver le contraire. Je ne compte jamais devenir comme Roman.

J’essaye de rester concentré sur la conversation pour ne pas l’entrainer vers sa maison ou pire, ne pas aller chercher Faith qui serait moins délicate que moi pour être s’assurer qu’Elena se ménage.  Je me contente de retirer mon manteau, ignorant la morsure du froid et lui poser sur ses épaules.

« Si ce n’est les TR, c’est que nous avons une nouvelle puissance a prendre en compte. Pour le moment je ne vois que c’est deux possibilités, c’est pour cela que je compte repartir dans quelques heures pour en avoir le cœur net. Quand a parler de déraison, c’est la preuve qu’il ne faut se fier a personne hors du cercles de confiance. »

Car ce qui s’était passé aurait forcement des conséquences, quelques ont été les raisons de ce que j’avais vu ou les auteurs, impossible d’imaginer que cela s’arrête ici. Est-ce que Stan avait tout dit au sien sur les Oblivions? Est-ce que les Remants se rendaient compte qu’avec cette démonstration de force, ils allaient faire converger les regards vers eux d’une manière dont ils n’avaient surement pas envie.

Je comprends rapidement que le choc d’Elena provient, aussi, du fait qu’elle s’était investi dans des négociations et surement projetée vers une autre conclusion que celle-ci. Des négociations s’étaient patiemment mis en place et un participant avant balayer d’un revers de la main tout le plateau pour précipiter la fin de la partie sans que l’on en sache plus sur le pourquoi du comment.

« Ton contact ? Tu parles duquel ? J’aimerais bien qu’on en soit qu’a un retour à zéro Elena… mais trop de pièces ont été bougés pour cela. Je vais essayer de collecter les informations qui nous manquent avant qu’on se décide a la marche a suivre. En attendant, je pense que nous sommes en accord sur la prudence a avoir quant a « l’alliance ». »

J’hoche la tête quand elle indique la ligne a tenir quant a nos alliés. Rasé providence a la porte de l’hiver était quelque chose qui sonnait comme une condamnation aussi froide que les températures. Ceux qui avaient trouvé refuge là-bas, et survécu, s’il y avait des survivants, se retrouvaient surement en grande difficultés.

« Je tenterais de contacter Daemon en route. Pour les Exilés si tu le souhaites, j’irais après avoir eu les informations manquantes les alerter. Si tout va bien, cela ne devrait être l’affaire que de quelques jours avant que je puisse aller les prévenir. »

Elena marqua un temps d’hésitation, avant de souffler doucement. « Ok, je veux bien qu’on rentre s’asseoir. » concéda la brune, en évitant soigneusement le regard du brun, la paume de sa main contre le galbe de son ventre tandis que l’autre s’accrochait à l’épais manteau qu’il déposait sur ses épaules. « Je ne vois plus le bout de cet… état. » avoua-t-elle dans un soupir sur le chemin du cottage. Les neuf mois les plus longs de sa vie, sans aucun doute. Cet enfant était un parfait emmerdeur, comme son père inscrit aux abonnés absents depuis des mois. Pourvu qu’il n’ait pas aussi hérité de sa grosse tête.

La jeune femme écouta Sebastian avec une pointe de frustration lorsqu’il annonça reprendre la route pour lever le voile sur les sombres événements qui avaient frappé Providence. Le fait d’être coincée ici, sans vraie marge de manœuvre la rendait dingue. « Celui de New Eden. » Armand. Cet homme qui lui avait fait suffisamment confiance pour l’approcher, pour lui donner de vraies informations sensibles qui avaient permis, entre autres, la libération de disgraciées. Le même homme qui ne serait plus d’aucune utilité s’il était mort ou coincé à Walla Walla sans moyen de communiquer.

« Les alliés s’amenuisent dangereusement. » Le départ précipité de The Haven qui se désengageait ainsi, officieusement, de l’Alliance portait un coup terrible à ce qu’ils avaient tenté de bâtir. Même si Elena employait beaucoup de sa volonté à essayer de comprendre les raisons de cette désertion, elle digérait plutôt mal l’abandon de son ancien groupe au pire moment. « Peut-être qu’on devrait considérer l’idée nous aussi… » fit-elle à voix basse. « Partir loin de Seattle, loin de Portland… Pour protéger ceux qu’on aime. Vieillir loin de la guerre… » Et laisser derrière eux les ruines, les intrigues et les fantômes… Mais bien sûr, la grecque était incapable de se délester de cette combativité qui la mènerait à sa perte un jour.

Elle laissa ses rêves d’une autre vie se dissiper dans la brume éthérée de son esprit et se concentra plutôt sur le plan de Sebastian. « Je m’occupe de Valérian. » trancha-t-elle aussitôt. « Je pourrais toujours demander à… Gab ou Richard ou Reed de m’y accompagner. Et il y a Emilie sur place pour gérer s’il y a un problème. » Et par problème, au stade de grossesse où elle en était, elle parlait d’accouchement. Mais que ce soit ici ou chez son ami, ça ne faisait pas une grande différence non ?

Je la regarde avec reconnaissance quand elle accepte de venir a l’intérieur et lui tend galamment mon bras pour l’escorter. Je suis un peu mal a l’aise pour trouver ma place auprès de mon ex compagne. Les sentiments que je lui porte changement doucement mais il n’en reste pas moins que la concrétisation de son amour pour Connor est d’autant plus difficile a accepter que j’ai l’impression que le futur papa n’est pas des plus impliqués pour entourer la jeune femme comme elle en aurait besoin.

Elena a beau être une femme forte, elle n’en reste pas moins vulnérable a bien des égards et cette grossesse, doublé de tout ce qui arrive n’aide a rien a se reposer pour se concentrer sur ce qui devrait être un grand bonheur.

« Je me doute, mais il y a des choses sur lesquelles ont a pas de contrôle. J’ai peur qu’a part tenter de lâcher prise et te reposer sur nous, tu n’aies pas beaucoup d’options. »

Je sais que je lui en demande beaucoup connaissant son tempérament. Je l’écoute tout en calant mon pas sur le siens alors que nous arrivons vers une chaleur plus acceptable en entrant dans le bâtiment.

« Pour le moment NE va devoir lécher ses plaies, je ne sais pas si la perte de Providence ne risque pas d’ébranler tout leur système et si ce groupe, tel que nous le connaissons va survivre… »

Nous savons qu’il y a des divisions interne et j’imagine qu’un tel revers sera la porte ouverte a une tentative de coup d’état ou des émeutes. Je ne sais pas encore comment cela va se finir, mais j’ai comme dans l’idée que NE n’est plus une menace urgente. Je la conduits vers le salon en espérant qu’il y a de quoi lancer un feu et l’aide a s’assoir dans un fauteuil aussi étonné qu’inquiet du discours d’Elena.

Je m’agenouille a coté d’elle et pose doucement ma main sur la sienne :

« Tu sais que si c’est ce que tu veux, je te suivrais dans ta décision et je suis sur de ne pas être le seul. Mais je ne suis pas convaincu que la guerre ne nous rattrape pas ou que nous aillions. »

Je tente de lui sourire de la façon la plus rassurante qui soit avant de lui dire :

« Tu es épuisée et surement sous le choc des mauvaises nouvelles, pour autant, il reste assez d’espoirs pour que ca ne soit pas encore l’heure de la fuite. »

Je me lève pour aller m’occuper de la cheminée, satisfait de trouver des bouches sèche prête dans l’âtre et de quoi démarrer une flamme. J’ai les doigts engourdis pas le froid mais je reste habite pour lancer un feu timide.

« Je passerais prévenir Valerian… Peter aura besoin de toi pour superviser ici et surement tempérer ceux et celles qui réagirons comme des bons IF. »

Je me retourne pour lui faire un clin d’œil suggérant parfaitement la démesure et le chaos propre aux résidents du domaine. Entre Peter qui est obligé de demander que les autres ne se battent pas avant chaque repas, Chiara qui semble chercher des hommes comme d’autres veulent cueillir des champignon, Faith et son attirail de guerre qui ferait peur a un éléphant, Tori et ses sursauts d’autorité… difficile de s’ennuyer quand il faut gérer avec tout cela. Mais surtout, hors de question qu’Elena aille par mont et par vaut après ce qui s’est passé et les pilleurs que cela risque d’attirer.

« Tu me fais confiance pour gérer ca et tu t’occupes de garder tous les enfants en main ici ? »

« Imagine que j’y prenne goût ? » fit-elle sans le penser une seule seconde. Si pour certains, la grossesse était une bénédiction, un moment privilégié partagé pendant neuf mois avec son enfant, pour elle c’était un châtiment sans fin. Elle détestait se retrouver sur la touche. Elle trépignait de pouvoir retrouver une certaine liberté dans ses mouvements. Elena haussa les épaules, une noirceur glaçante figée dans le regard. « Je ne sais pas si ça suffira à bousculer leur système. Ce n’est qu’un avant-poste de perdu. Symboliquement, c’est fort, je l’admets. Stratégiquement ? » Elle eut une moue dubitative. « Ce qui est certain, c’est que nous avons perdu tout moyen de communiquer avec l’éventuelle rébellion interne. Nous avions une occasion de manœuvrer à distance, de coordonner nos actions intelligemment… Tout ça s’est envolé en même temps que Providence. » conclut-elle avec aigreur.

Elle s’installa difficilement dans le fauteuil rembourré, avec l’assistance non négligeable du chef d’entreprise. Elle le dévisagea un moment, alors qu’il était agenouillé face à elle, considérant ses propos sans réellement comprendre ce que ça lui inspirait. Elle fut néanmoins touchée par la loyauté déroutante qu’il lui témoignait toujours. Elle se passa la main sur le visage, en soupirant longuement. « Tu as raison. » La fuite n’était pas une option, même si l’idée de vieillir à l’écart de tous ces affrontements sanglants brillait comme le mirage d’une oasis en plein désert. « Je ferai mieux de dormir un peu pour réfléchir à tête reposée. » C’était souvent au petit matin, après une bonne nuit pour prendre le temps de redescendre qu’on était le plus productif.

« Navrée de ne pas m’être montrée plus explicite : je veux aller voir Valérian par moi-même. » répondit-elle en rivant son regard ambré dans le sien, sans prendre la peine de voiler la lueur défiante qui virevoltait avec plus de vigueur que le feu crépitant dans l’âtre. « Je te fais confiance à deux cent pour cent, ce n’est pas la question, mais j’ai besoin d’y aller. » Elle devait voir de ses propres yeux la réaction du grec, elle devait entendre de ses propres oreilles son avis sur la question, elle avait besoin de trouver quelque réconfort auprès de lui et par-dessus tout, elle avait le sentiment de devoir réparer une erreur. « Si tu tiens tant à t’y rendre, tu peux m’y accompagner. Faith saura tenir nos chers enfants turbulents le temps de quelques jours, j’en suis sûre. »