« Logan ? » Je scrute le visage du militaire quelques secondes. Il semble se décomposer complètement face à Rafaël qui le regarde également avec de grands yeux. Je récupère mon fils, sourcillant légèrement en remarquant le malaise de Logan. Que se passe-t-il ?

J’affiche un air surpris quand il s’adresse finalement à moi avec une rudesse soudaine. Visiblement, le problème vient de mon fils et l’homme se livre à un sermon sur le fait d’être parent. Sourcils froncés, je l’écoute pourtant, le laissant parler. J’entends ses arguments, et j’imagine qu’il ne sait pas vraiment ce que ça fait de devenir père ? Qu’importe, je ne me braque pas, lui expliquant simplement « Si tu veux tout savoir, j’avais rompu avec Nathan quand j’ai appris que j’attendais mon fils. Ce n’était pas dans mes projets, j’ai même hésité à interrompre ma grossesse. Mais je ne l’ai pas fait. Et tu sais quoi ? Je n’ai aucun regret. » Je crois que, sur ce sujet, chacun a le droit de penser ce qu’il veut ; de ne pas imposer sa vision aux autres.

Mais je tiens néanmoins à éclaircir un point de son discours. « Au contraire, si je me bats, c’est pour lui. Pour son avenir. Alors oui, j’ai peur quand je pars, j’ai peur quand je suis loin de lui, j’ai peur de ne pas revenir. Mais c’est ça qui me donne la force de me battre. Voir son sourire tous les matins, c’est ça qui donne une raison à tout ce que je fais ici, c’est ça qui donne une raison à tous les sacrifices que j’ai pu faire depuis que je travaille pour June. » A aucun moment je me montre désagréable ou agressive dans mes propos, affichant même un sourire pour répondre à sa dernière remarque « Si ça peut te rassurer, je ne compte pas l’emmener avec moi en expédition ! Ni sur le terrain d’entraînement ! C’est pour ça que les garderies existent ! » Nous arrivons d’ailleurs à celle de Fort Ward. Faisant signe à Logan de m’attendre, je m’absente quelques minutes pour laisser Rafaël aux assistantes maternelles puis je le rejoins à nouveau. « Je suis disponible ce matin. Tu crois qu’on peut commencer l’entraînement tout de suite ? »

Qu’est-ce qu’j’en ai à foutre d’ses conneries hein ?! P’tain… Quelle idée d’faire un gosse dans c’temps d’merde et qu’elle idée d’rompre ensuite avec l’premier gars qu’on rencontre par c’temps d’merde… Et quoi ? Aucun regret ? P’tain j’n’y crois pas… Comment qu’elle n’peut avoir aucun regret ? Avoir un gosse, toute seule, par d’temps pareils… Mais faut être complètement con… Ou conne. Fin’ bref, rien à foutre d’ces conneries, j’vous l’dis.

Pis d’toute manière, ç’s’applique a moi aussi. J’vais avoir un gosse, putain d’merde ! Alors j’beau parler, lui en foutre plein la gueule, et trouver l’moyen d’rendre tout ça inutile et vraiment con… Bah… Dans qu’ques mois, c’sera mon tour quoi et là j’n’aurais rien à dire ! Parce qu’putain j’serais l’hypocrite qu’a fait tout pareil quoi ! Merde… Fait chier !!

J’ai tellement cogité, que j’me suis pas rendu compte qu’nous étions d’jà à la garderie. J’entends d’autres chiards, j’vois d’autres parents, j’vois même des gens qu’sont dédiés à l’garderie d’tous ces pisseux et morveux. P’tain d’métier d’merde, j’vous jure. M’enfin…

« Non, je… J’suis d’faction toute la matinée. Y’a pas d’entraîn’ments avant c’soir j’pense. » A peu près ouais, qu’que chose comme ça. En fait, ç’dépend surtout d’moi. Si j’veux, j’n’ai qu’à balancer l’clairon et tous ces fils d’putes devront rappliquer vitesse grand « V » pour pouvoir crever d’mes mains. « Ou d’main. Fin’ c’pas la journée quoi. » J’essaie d’lui expliquer… Mais… Si j’suis v’nu la faire chier, c’pas uniquement pour pouvoir l’escorter jusqu’à la garderie ou je n’sais pas quoi, c’parce qu’j’ai des questions.

« Heum… Je… Si j’ai autant râlé tout à l’heure, c’parce qu’j’ai un truc à t’demander. Tu… Tu l’sais p’t’être pas, mais j’ai rencontré qu’qu’un… Et bon ch’min faisant, y’a… Heum… Y’a… » J’pense qu’elle a compris, j’vois bin’ qu’elle est pas bête et qu’ça cogite dans sa caboche. « Y’a un p’tiot en route. J’vais… J’vais être papa p’tain. Et j’flippe ma race de ouf comme si qu’j’partais en mission pour la première fois d’ma putain d’vie… »

Voilà c’dit.

Je ne comprends pas vraiment pourquoi Logan s’emporte de cette façon. Quoi qu’il en soit, ses mots ne me touchent pas vraiment. Je lui expose simplement la situation, expliquant ce que j’ai vécu et les choix que j’ai pu faire. Étrangement, il reste silencieux après ça. Je ne m’en formalise pas vraiment, occupée à dire au revoir à Rafaël après l’avoir déposé à la garderie.

Quand je lui demande s’il est disponible pour s’entraîner, j’ai l’impression qu’il se referme un peu. J’hausse un sourcil, l’interrogeant du regard. Dans sa façon de se comportement, j’ai le sentiment qu’il a envie de me demander quelque chose. Je crois que je ne l’ai jamais vu comme ça. « Logan ? » J’affiche un léger sourire, attendant que les mots sortent de sa bouche.

Lorsqu’il ose enfin, je l’écoute avec attention. Je suis à la fois surprise et heureuse pour lui ; et je comprends mieux maintenant. « Logan ! C’est une très bonne nouvelle ! » Je viens poser ma main sur son épaule, voyant qu’il a besoin de mon soutien. « C’est normal d’avoir peur. Avec Nathan, nous étions plutôt inquiets aussi, d’autant plus que nous n’étions plus ensemble. Mais tout s’est très bien passé finalement. C’est normal de se poser beaucoup de questions. » Je lui accorde un sourire bienveillant. Et si je suis un peu étonnée qu’il se confie à moi, je compte bien l’aider à y voir plus clair. Je crois qu’il est tout simplement un peu perdu et qu’il a besoin de mes conseils. « Si je peux faire quelque chose pour toi, tu n’hésites pas, d’accord ? Si tu as des questions, nous pouvons en parler. Il n’y a pas de problème, au contraire ! » J’avoue que cette scène est un peu surréaliste, jamais je n’aurais cru voir Logan dans cet état. Mais je suis prête à répondre à ses interrogations. « Sache qu’il n’y a pas de questions bêtes, devenir parents ce n’est pas forcément simple mais le fait que tu viennes me voir, ça prouve que c’est important pour toi. Et surtout… Il ne faut pas rester avec des doutes en tête, c’est le meilleur moyen de paniquer encore plus. »

« Une bonne nouvelle ?! » Que j’dis, presque en gueulant. J’veux dire, j’sais qu’j’ai encore la voix qui porte, et qu’j’suis encore… Gêné et… Choqué et… J’sais pas. Y’a une part d’moi qui n’veut qu’une chose : dégager d’là l’plus vite possible, s’barrer, et n’jamais revenir. Jamais. Mais j’peux pas… D’jà, parce qu’j’ai Remnant à gérer… Enfin, les entraîn’ments… Et ensuite, parce qu’j’ai Yulia… Et… Un gosse à venir, ou une gosse à venir… J’sais pas… M’enfin. Bref.

« Comment qu’ça peut être une bonne nouvelle ? J’viens littéralement d’défoncer l’argumentaire du « c’t’une bonne nouvelle » en deux temps, trois p’tains d’mouvements… Et… C’serait une bonne nouvelle d’avoir un gosse, avec une nana qu’vit dehors, qu’est pas dans Fort Ward, et qu’vit un peu comme un p’tain d’gitan ? » Parce qu’putain, c’sont de vrais nomades ces fils d’enfoirés… Mais bon…

« J’sais pas quoi faire… » J’flippe, voilà. « J’flippe, parce qu’j’sais pas quoi faire. J’suis un combattant, pas un p’tain d’père qu’fait attention à ses foutus gosses moi. J’sais m’battre, torturer, tuer, piller, entraîner… J’ai tué plus d’êtres humains qu’la plupart d’nos soldats tous réunis… Et j’devrais être un père ?! » P’tain d’merde, c’est l’monde à l’envers… Ouais, c’est l’monde à l’envers. « Et puis merde : Yulia elle est dans un groupe d’enfoirés qu’changent d’vestes comme ils respirent ! J’pourrais pas voir c’te gosse grandir… Et… Voir sa mère. C’sa mère, mais c’est c’qui s’rapproche l’plus d’une meuf à mes yeux. J’ai d’sentiments pour elle et pas qu’un peu… Sauf qu’j’pourrais jamais être là pour elle, tout l’temps ! Parce qu’bah… Elle n’peut pas piffrer les Remnants, et parce qu’elle n’peut pas piffrer not’ campement ! Alors… Merde quoi ! »

J’m’asseois là où qu’je suis. J’avoue n’plus trop m’souvenir d’ma mission d’surveillance là. Je… J’ai balancé mes saloperies, c’que j’pensais d’tout ça, j’ai balancé ma frustration, m’peurs, c’que j’pensais… Bref, tout quoi. Ouais j’l’ai d’jà dis, c’que j’pensais… Rha merde, fait chier.

J’devrais aller boire un coup pour oublier tout c’bordel, putain d’merde !