Cela paraissait pourtant simple, chez les autres. Une mâchoire serrée, une tension localisée dans des poings un peu trop serrés. Un mot plus haut que l’autre. Une inspiration, une expiration et la colère semblait être maîtrisée, au moins l’espace d’un instant. Ces courtes secondes pour se taire, pour analyser, pour écouter et finalement comprendre la situation. Ils auraient rapidement compris, les autres, qu’Otis n’était en rien responsable. Ils auraient rapidement compris, les autres, qu’Otis n’était qu’une victime dans cette histoire. Ils auraient rapidement compris, les autres, qu’Otis était lui aussi en plein désespoir.  

Mais Daemon n’était, malheureusement, pas “les autres”. Il était lui, ce maçon trop impulsif, trop colérique, trop irréfléchi. Cet homme qui n’avait pas toujours besoin de comprendre mais qui devait toujours trouver un coupable de suite pour exulter sa détresse, sa tristesse. Elle devait sortir. Pour ne pas imploser, il devait exploser.  

Le brun se figea en entendant les explications bancales du métis. Était-il en train de lui jouer un mauvais tour ?  

- Qu’est-ce que... Qu’est-ce que tu racontes ?  

C’était pourtant clair. Et, malgré la supplication d’Otis, la poigne du maçon ne se relâcha pas. De par sa force, il le força à reculer, jusqu’à heurter la voiture.  

- Tu... Vous l’avez laissé se sacrifier ? C’est... Elle est mère de famille putain ! Vous auriez dû....  

Vous sacrifiez à sa place ? Dans son esprit tortueux, les choses étaient à ce moment-là très précises : Alex avait plus de valeur que n’importe qui ici. Du moins, sous l’impulsion du chagrin et de la colère.  

- Donne moi les clés. DONNE MOI TES CLES PUTAIN ! Je vais aller la chercher, dis moi où !!

Que peut-il dire d'autre ? Otis n'en sait pas plus, il aimerait pouvoir pourtant. Il aimerait dire à Daemon que sa femme va bien, qu'elle finira par revenir, qu'ils se retrouveront. Malheureusement, il l'ignore et il ne peut pas apporter des réponses concrètes à l'homme qui s'agace de plus en plus. Toujours agrippé par le col de son pull, il ne cherche même pas à repousser Daemon. Il se contente de subir, il essaye de prendre sur lui, fermant les yeux quand on lui hurle dessus.

Otis sent sa gorge se serrer mais la colère de son ami est bien trop forte. Il est repoussé violemment contre la voiture, sans ménagement. Durant un instant, il craint que le mari d'Alex s'en prenne à lui, il ferme les yeux, attendant le coup. Mais encore une fois, c'est une voix puissante qui vient lui crever les tympans, il sent le souffle de l'autre homme à quelques centimètres de son visage. Une fois encore, une profonde culpabilité vient tirailler le métis qui garde ses paupières closes, des larmes silencieuses coulant déjà le long de ses joues. Sa respiration se fait plus saccadée, il a dû mal à respirer. Il aimerait disparaître, se faire le plus petit possible pour que Daemon arrêter de lui hurler dessus. Encore une fois, il bafouille quelques mots pour dire qu'il est désolé, mais le stress et la fatigue du voyage du retour prennent le dessus.

Pourtant quand Daemon le somme de lui passer les clés, le dessinateur rouvre les yeux. Il relève péniblement un regard brillant et apeuré vers l'autre homme avant de lui souffler « Non... Non ! » Ses lèvres tremblent encore une fois mais il parvient à prononcer quelques mots. « Je sais pas où... Où ils sont partis... Ils... Ils peu... Peuvent être n'imp... N'importe où... » Conscient que ce n'est pas ce qu'il veut entendre, il ajoute pourtant. « Tu... Tu les trouvera pas là-bas... Je... Je suis désolé... Je suis désolé... » Il finit par baisser les yeux avant de s'effondrer en larmes et de répéter ses derniers mots en boucle ; incapable de s'arrêter...

Plus rien n’avait de sens à présent. Daemon était en train de chuter, dans un puits sans fond, sans aucune attache. Car justement, sa précieuse attache, il venait de la perdre à présent qu’Alex n’était plus ici. Alors, même avec la meilleure des volontés, il n’avait aucune prise pour cesser cette chute infernale. Il y avait d’abord eu l’incompréhension, puis la colère injustement dirigée vers le pauvre Otis.  

Puis, soudainement, il y eut la réalisation à l’instant où la voix du métis parvint à percer le voile sombre qui venait de s’abattre sur le maçon. Alex n’était plus à l’endroit où elle devait être. Elle pouvait être n’importe où. Le regard de Daemon, quant à lui, ne se contentait plus de voir le visage d’Otis. À présent, il le regardait. Il voyait la détresse, il voyait les larmes, il voyait la peur aussi, peut-être. Était-ce de sa faute ? Avait-il peur de lui ? Ses yeux glissèrent vers sa propre main, bien trop fermement serrée autour du col du jeune homme.  

Les secondes s'étirèrent dans le temps alors que le trentenaire demeurait immobile. Jusqu'à ce qu'il ne se décide à lâcher le vêtement du métis, doucement. Titubant presque, Daemon reculant, lentement.

- Je... bredouilla-t-il

Ses yeux commençaient à lui piquer, à l'instar de sa vue qui se brouillait.

- Otis je...

Au fur et à mesure, l'incompréhension et la colère s'effaçaient, chassées par la réalité, par l'acceptation, par une immense angoisse et une profonde tristesse. Daemon ne pouvait pas vivre sans Alex. Il n'y arriverait pas. C'était un aveu qu'il avait déjà fait à son frère, Sebastian.

- Désolé... je... Je dois la chercher... je dois la retrouver... Je dois au moins essayer je...

Il regarda la voiture. Il ne pouvait pas rester ici et simplement attendre quelque chose qui ne viendrait peut-être jamais.

Ses yeux et sa gorge le brûlent. Les gestes et les paroles de Daemon sont rudes. La culpabilité déjà présente ne fait que croître et qui le fait souffrir ; il aurait dû insister, il aurait dû rester là-bas. Lui n'a eu que quelques égratignures et cela n'arrange pas vraiment son état. Ce n'est pas lui qui devrait être là, mais Alex.

Les joues humides, il relève son regard brillant vers l'autre homme. La tête dans les épaules, il hésite à reprendre la parole, craignant de nouvelles foudres de sa part. « C'est... C'est ma faute... » Conclue-t-il finalement, se persuadant d'être à l'origine de tout ça. Peut-être que s'il avait mieux réussi leur coup avec Derek, ils seraient tous rentrés ? C'est forcément de sa faute.

Alors quand Daemon, tout aussi abattu que lui, exprime à nouveau sa volonté de reprendre les recherches ; Otis baisse la tête, honteux. Il déglutit difficilement, contrarié. Puis, il ose souffler « Leonard... Il a déjà cherché... Je... » Sa voix est à peine audible. « On sait pas où ils sont... » Répète-t-il encore une fois, sentant la culpabilité le ronger encore un peu plus. Les larmes le reprennent et il se recroqueville à nouveau...