« Et si tu devais me décrire en quelques mots ? » demanda Galatée gaiement à l'intention du beau brun allongé à ses côtés. « Allez.. je ne me vexerai pas. » ajouta t-elle. Elle était obstinée la demoiselle, depuis toute petite. Après tout, elle n'avait pas vraiment de quoi avoir peur, parce qu'au fond elle savait qu'il ne voudrait pas prendre le risque de souligner ses défauts. Pourtant elle n'était pas susceptible, elle savait parfaitement quels étaient ses points forts mais également quels étaient ceux qui pouvaient lui causer du tord.  Il le savait aussi. Il la connaissait par cœur.  
Il lui manquait, et aujourd'hui c'était par ce souvenir qu'il avait décidé de se manifester. Elle se souvenait que ce jour là elle ne s'était pas trompée, il avait bien passé une heure à lui faire des éloges, et elle n'avait pas entendu un seul mot sur ses défauts, pourtant existants. C'était un souvenir simple, mais beau, tranquille et paisible. Totalement à l'inverse des souvenirs qu'elle se créait depuis la découverte du virus.
Et aujourd'hui, la personne qu'il avait dépeint à l'époque n'était plus, elle était devenue autre chose, mais bien heureusement il subsistait chez elle quelques valeurs et principes qui la différenciaient de tous ces monstres là-bas dehors. Même dans les périodes les plus sombres et même au milieu de ce chaos, Galatée s'interdisait d'être mauvaise avec autrui et il était important pour elle d'être bienveillante avec son prochain. Elle ne faisait clairement pas partie des partisans du chacun pour soi et elle préférait mettre les autres à l'abri, quitte à se mettre elle-même en danger pour cela. Elle restait tout de même très prudente, avec le monde environnant surtout, avec les morts. Chaque geste, chaque décision, chaque pas étaient bien réfléchis au préalable. Pas question de remettre sa vie entre les mains du hasard, plus maintenant. Paradoxalement, avec les autres, ses semblables, prudente elle l'était moins. Au yeux des autres, elle était vue comme l'ancienne professeur de Yoga foncièrement naïve  et beaucoup trop tolérante, toujours à rechercher le bon chez autrui, même si les doutes étaient fondés, il fallait toujours creuser, toujours, sans jamais s'arrêter. Jusqu'à ce qu'elle craque, en s'apercevant que la mission n'est pas toujours aussi simple, que parfois le bon est enfoui tellement profondément qu'il peut être hors d'atteinte, et c'est à ce moment-là que son émotivité prend le dessus. Elle s'isole, elle se laisse submerger, elle se noie, tourbillon d'émotions, jusqu'à ce qu'elle soit capable à nouveau de sentir  la légère brise, le souffle frais qui la fait renaître à nouveau. Pour éviter ces émotions néfastes, Galatée est devenue assez solitaire, elle s'est éloignée des autres comme elle s'est éloignée d'elle même. Parfois, l'espace de quelques secondes elle oublie, elle oublie qu'un jour elle a été cette femme solaire, optimiste. Parce que maintenant, c'est le pessimisme qui a pris le dessus, c'est l'ombre. La lumière au bout du tunnel, elle ne parvient plus à la voir, elle ne l'imagine plus. Et parce qu'elle est honnête, elle ne s'empêche pas de faire part de ses opinions aux autres quand il le faut, quand elle en ressent le besoin. Quitte à passer pour une rabat-joie, tout est déjà perdu d'avance de toute façon.


Voilà ce qu'avait fait le virus de Galatée. Elle n'était pas morte dans le sens propre du terme, mais au final, que restait-il de la femme qu'elle était auparavant ?  Avant la fin du monde, elle aimait être entourée, elle aimait les gens et ils lui rendaient bien. C'était une grande blonde solaire, épanouie, sensuelle. Elle vivait au rythme des lunes, possédait des dizaines de cristaux aux propriétés différentes qu'elle prenait toujours le temps de recharger. Sentir une fleur, enfoncer ses pieds dans le sable, entendre le bruit des vagues.. tant de petits bonheurs quotidiens qui regroupés, faisaient d'elle une femme comblée. Elle était heureuse, menait une vie simple qui lui convenait et qu'elle n'aurait changé pour rien au monde.
Mais on ne lui a rien demandé, et du jour au lendemain, on lui a tout pris. Envolé, le bonheur. Et avec le temps, d'une certaine manière, le virus l'a transformée elle aussi.

La grande blonde avait toujours donné l'impression d'être une jeune femme frêle, délicate et fragile.  Elle était mince c'est vrai, et la toute dernière fois qu'elle avait pu se peser, la balance affichait 55 kilos, pas plus, pas moins. Elle se doutait avoir perdu quelques grammes depuis le début du chaos, mais sa silhouette restait à quelques détails près, la même. Les muscles bien dessinés qu'elle possédait autre fois s'étaient peu à peu effacés, à mesure que ses séances de Yoga se faisaient de plus en plus rares. Pandémie oblige.
Bien sûr, comme sur beaucoup d'autres, la survie avait laissé des traces indélébiles. Quelques cicatrices, rapidement oubliées lorsque Galatée constatait les dégâts importants sur certains de ses semblables. Des gens amputés, scarifiés, que la vie n'avait pas épargné. Elle n'avait pas réellement de quoi se plaindre si ?
Une cicatrice sur la cuisse droite, souvenir d'un inconnu qui cherchait de quoi se nourrir au début de la pandémie. Galatée aurait volontiers partager son butin avec lui, et elle s'apprêtait à le lui dire au moment où lui avait finalement décidé de lui planter son couteau pour lui voler son sac et s'enfuir. Sauvage.
La deuxième, logée dans la paume de sa main droite. Elle fuyait des morts, puis une minute d'inattention, un pied pris dans une racine, et finalement une chute ayant pour finalité un morceau de bois enfoui dans la chair. Pas très grave, mais juste de quoi laisser une marque.

Quant aux armes, Galatée n'était pas vraiment douée pour les manier et pourtant elle en possédait deux, parce qu'elle avait appris au fil des années que mieux valait avoir de quoi se défendre. Alors depuis le début du chaos, elle se promenait avec un couteau, un de ceux assez imposants qui servaient à la cuisine à une époque. Elle ne s'en séparait plus et ne sortait jamais s'en s'être assurée au préalable qu'il était à sa place sur sa ceinture. Puis finalement, l'arme, la vraie, un pistolet Glock 19, que son ami lui avait donné pour qu'elle puisse se défendre elle-même après qu'il se soit lancé lui-même, elle avait compris maintenant, dans une mission suicide. Elle ne savait pas réellement s'en servir, elle ne savait même pas viser en réalité, mais elle se disait qu'un jour, peut-être demain, elle apprendrait à l'utiliser.