Aussi court qu’il ait été, au moins l’échange était resté courtois, à défaut d’être chaleureux. John savait que Blake savait qu’il était le seul à réellement pouvoir déterminer le temps qu’ils passeraient ici. À une période de sa vie, cela avait même été son quotidien. Leur quotidien au final, puisque c’était comme ça qu’ils s’étaient rencontrés. Ce qu’ils avaient à faire là n’était pas si différent de ce qu’ils avaient à faire des années en arrière. Au moins pour dégager les carcasses de voitures. Du reste, on ne pouvait pas vraiment dire qu’ils disposaient des mêmes conditions et du même matériel. Enfin... Elle était venue chercher une information, il lui avait donné, elle l’avait enregistrée. Au vue de leur relation, il ne fallait guère en attendre plus. Ce que le militaire faisait très bien. Il n’en attendait guère plus.

La voix du rouquin se manifesta sur sa droite. Évidemment. Tout comme Khan, le chienchien n’était jamais bien loin de son maîmaître. Oui. Comme avec bien d’autres, John avait du mal avec Arthur. Ce grand chevalier blanc, ce héros dont ils avaient besoin mais pas celui qu’ils méritaient. Il n’avait pas la moindre idée de ce que cela faisait de perdre un enfant. Il ne pouvait même pas ne serait-ce qu’effleurer la compréhension d’une telle douleur. Et pourtant le roux avait été si prompt à le juger... Oh Callaghan avait bien vu le regard reconnaissant que l’autre lui avait lancé en apprenant que c’était lui qui avait forcé Isabel à rester en sécurité. Il pouvait bien se sentir redevable, si tant est qu’il le soit, John, ce regard et cette reconnaissance, il n’en avait clairement rien à foutre. Ce n’était pas pour lui qu’il avait fait ça. Ni pour lui ni pour personne d’autres à vrai dire. Il l’avait fait parce qu’il l’avait fait. C’était bien tout. Donc, oui... le sergent de première classe avait du mal avec le rouquin. Et non, ils n’avaient pas besoin d’aide. Les Callaghan étaient suffisamment grand pour savoir que ce n’était pas le moment de se prendre la tête. C’était ce que le trentenaire aurait pu dire si Blake n’était pas intervenue avant lui. John jeta un bref regard vers Arthur avant de lever les yeux aux ciel et de franchir les quelques pas qui le séparait de Samuel.

Ce qui tombait à pic puisque l’un des bras cassés du groupe, dont il avait encore oublié le nom si tant est qu’il l’ait su un jour, avait décidé de se ramener à son tour. Décidément... S’ils s’attendaient à un spectacle de la part des Callaghan, ils seraient bien tous bien déçus. Arrivé près de son collègue, John pointa une voiture du doigt.

- Faudrait qu'on bouge juste celle-là, ça devrait suffire pour passer à cet endroit, expliqua le combat engineer.
- Tu pourras manœuvrer le camion là-dedans ?
- Si on la met de ce côté-là, oui, je pense. Et si on passe, Alan passera sans problèmes.

Le râle qui provenait de la voiture ne laissait aucun doute sur ce qui se trouvait à l’intérieur. John passa la main sur la vitre pour en retirer la neige qui s’y était accumulée. Une adolescente, saucissonnée dans une épaisse couverture. Elle était sans doute morte de froid, littéralement. Dégainant son MPK Mission, John laissa à Samuel le soin de briser la vitre avant de planter la lame de son couteau dans la tête du mort. Celui-là avait été on ne peut plus simple.

Une chose était sûre. Les survivants n'étaient pas installés là depuis bien longtemps. Cette route, ils l'avaient emprunté pour rejoindre Tacoma. Et malgré quelques zigzags entre les voitures abandonnées, rien ne les avaient empêcher de passer. En tout cas, certainement pas un campement de cet envergure. Ce qui était sûr aussi, c'était que le groupe s'était transformé rapidement. Le scénario n'était pas difficile à deviner. Le froid était la cause de tout cela. A l’abri des rôdeurs, ils s'étaient piégés eux-même en s'installant sur ce pont. Quelques uns avaient sans doute essayé de se cacher dans les tentes, en vain.

Apprendre que l'équipe travaillait vite et bien rassura la blonde. Plus vite le ménage serait fait, plus vite ils pourraient reprendre la route. A être là, les risques étaient multiples. Des rôdeurs pouvaient apparaître de derrière leurs véhicules, rameutés par le bruits qu'ils faisaient. Des humains aussi. Après tout, tous n'avaient peut-être pas péri sur ce pont ? Les yeux plissés et ses longues mèches blondes volant au gré des rafales de vent et de neige, Blake fronça les sourcils en apprenant l'histoire de Tamara et de la chaussure perdue. « Comment ça elle est.. » Elle n'eut pas le temps de finir, Arthur répéta les faits avec une certaine colère. Blake comprenait parfaitement. Ce n'était pas le moment de toute façon, ils verraient ça avec elle plus tard.

Elyse se mêla à la conversation pour imiter son frère jusqu'à ce que Ludwig se joignent à eux. Fatiguée et complètement gelée, Blake n'eut pas la patience d'assister à ça. Elle se redressa d'un coup et après avoir claqué des doigts tout en ouvrant le bras pour désigner le tas de bordel un peu plus loin, elle fixa Elyse. « Ca va pas bouger tout seul. »Rigoler c'était bien mais ils n'avaient pas le temps là. « Ludwig, va l'aider. ». Après quelques objets balancés par dessus le pont, Arthur et elle eurent terminé de dégager cette zone. D'un coup de menton, elle désigna une tente un peu plus loin. « Finissons-en avant qu'on termine tous comme eux. » Et par eux, elle entendait bien évidemment les cadavres morts de froid qui se cachaient un peu partout.

Ce temps la rendait folle. Intérieurement, Blake s'en voulait d'avoir tant pesté contre la chaleur de plomb de l'Afghanistan. Quant à choisir, elle aurait préféré vivre ça quotidiennement plutôt que sentir ses oreilles, son nez, ses doigts, ses jambes, être transpercés par le vent glacial. « J'en viendrais à regretter l'Afghanistan Arthur. » Les dents serrées, les bras enroulés contre sa poitrine, Blake avança tant bien que mal dans la neige. Chaque effort lui donnait l'impression que ses muscles étaient transpercés par des dizaines de couteau mais elle n'avait pas le choix. Ils n'avaient pas le choix.

Elle n'était pas loin de se mettre à pleurer lorsque, enfin, le nettoyage du pont fut terminé. La manœuvre dura plusieurs heures et lorsqu'elle posa de nouveaux les fesses  dans l'habitacle du camion, Blake mit un temps fou à se réchauffer, malgré que le chauffage soit poussé au maximum. Mais avant de chercher à se réchauffer elle-même, Blake s'était affairée à couvrir sa bête. D'un sac, elle sortit l'un des pulls qu'elle traînait depuis plusieurs mois. Sans laisser le choix au chien, elle lui enfila et, après avoir ouvert son propre manteau, elle l'avait calé contre elle pour lui apporter un peu de sa chaleur.

Après une heure de route, la fatigue commença à la faire basculer lentement vers le sommeil. Réchauffée, Khan endormi sur ses cuisses et un silence religieux entre John et elle, Blake se sentait partir, bercée par le ronronnement du véhicule. Luttant pour ne pas sombrer, la fatigue eut finalement raison d'elle et, sans s'en apercevoir, la tête appuyée contre la vitre, elle glissa vers le sommeil. Elle ne rouvrit les yeux que lorsque la voix de John qui prononçait son prénom résonna. Ouvrant les yeux comme si elle venait à peine de s'endormir, elle aperçut de suite la main de son ex-mari posé sur son épaule. Encore un peu dans la brume, la blonde ne fit aucune remarque, trop gênée de s'être endormie alors que le moment n'était pas du tout bien choisi pour le faire.

Pendant deux secondes, elle fixa John qui, les yeux rivés vers la route, suivait les véhicules qui s'engageaient dans l'allée pour rejoindre le parking du Walmart. Ils étaient arrivés. La zone commerciale qu'ils avaient choisi pour passer la nuit était en face d'eux. Les derniers manœuvres de John se firent dans le même silence que d'habitude. Rapidement descendue du camion une fois celui-ci à l'arrêt. « Arthur, trouve un moyen d'entrer. » Elle se tourna vers le groupe. « Marcus,  Jake, Richard et Ethan. Avec lui. » D'un geste circulaire du bras, elle continua. « Le reste avec moi. » Puis elle se baissa devant la vitre de la voiture pour s'adresser aux filles à l'intérieur. « Les mères et femmes enceintes, dans les voitures. » Et elle insista bien sur la fin de sa phrase faisant comprendre que ce point n'était pas négociable et qu'elles n'avaient pas à sortir tant que l'intérieur et l'extérieur n'était pas sécurisé.

Rapidement, ils firent le tour du bâtiment à l'aide de lampe torche et éliminèrent les quelques rôdeurs englués dans la neige. A leur retour l'équipe avait fait le tour du supermarché et le groupe commençait à installer ses affaires. Ne sachant plus où donner de la tête, Blake régla les derniers détails, toujours aidé par Arthur. Finalement, elle alla chercher Quinn et Lauren. « Vérifiez si Elie et Seamus vont bien. » Puis elle alla rejoindre le petit groupe d'homme qui s'était constitué au milieu de l'allée centrale. « Edwin, tu prends le premier tour de garde. Joshua, le prochain. ». Ne s'arrêtant pas une seule seconde, Blake resta l'une des dernière à être encore debout alors que le reste du groupe commençait déjà à installer leurs affaires pour la nuit.