Il était évident que l’homme n’avait pas bougé d’un pouce. Je ne pouvais même pas vouloir, me connaissant à sa place, j’aurais fait exactement la même chose. Dans ce genre de cas, il n’était pas très avisé de me faire confiance. J’avais réussi sans mal à capter la petite brune que j’avais entre les mains. Elle n’avait pas encore de cheveux, mais je savais qu’elle le serait quand ils viendraient. Il s’agissait là d’un instinct complètement maternel et puis peut-être même que je me trompais en réalité, mais ce n’était pas grave. J’étais en train d’oublier bêtement tout ça.

Je ne parlais plus, je n’avais de toute façon strictement plus rien à dire. Je regardais les autres aventuriers déblayaient la route. J’avais bien l’impression que tout le monde pourrait bientôt retrouver sa place et que nous reprendrions la route. Peut-être que je me laisserais bercer un peu par le chemin parce que les maigres efforts que j’avais faits m’avaient tout de même épuisé. Je m’en rendais compte maintenant que j’avais peut-être joué la conne. Oui c’était tout ce que tout le monde avait dit, mais quand même. Je ne remarquais pas tout de suite Brooke venir en ma direction. Je lui offrais un grand sourire alors qu’elle m’offrait un doudou pour ma petite.

- Il ne fallait pas, c’est vraiment adorable de ta part. je n’ai aucun moyen de te remercier. Tu as déjà fait tant de choses pour moi. Merci.

Elle m’avait déjà rassuré au moment où j’avais eu peur. Il m’était arrivé de m’inquiéter, d’avoir envie de hurler, pleurer et tout un tas d’autres choses à cause de cette grossesse et elle avait été là à chaque fois. Je lui souriais tendrement alors que collait le doudou contre mon corps pour le réchauffer. Je l’ajouterais ensuite dans les couvertures d’Elie. Je tacherais sans doute de lui trouver un prénom plus tard du moins en attendant qu’elle ne lui en choisisse un lui-même. Je risquais sans doute d’attendre longtemps.

Une fois les idées mises au clair avec Jake, Blake s' était affairé au déblayage du pont. Tous avaient mis la main à la pâte pour dégager la route. Sans ça, ils ne pourraient pas continuer et plus vite ils auraient fini plus vite ils pourraient retourner se mettre au chaud, à l'intérieur des véhicules. Même si Blake n'était pas persuadé que l'atmosphère au sein de l'habitacle du camion soit plus chaude qu'à l'extérieur, elle était tout de même pressée d'y remettre ses fesses.

Une fois la tente dégagée, Blake s'approcha d'une deuxième mais lorsqu'elle voulut la soulever, celle-ci s'avéra bien plus lourde que la première. Et le grognement qui accompagna son mouvement eut le mérite de clarifier la situation. Il n'y avait rien d'abandonné dans cette tente. Elle était simplement habitée. Khan à ses côtés, la bête pourtant bien dressée n'arrivait pas à s'empêcher de couiner à cause du froid. Les crocs sortis en entendant le grognement particulier que faisaient les morts, Blake ouvrit lentement la fermeture alors que des bras s'agitaient déjà pour essayer de l'attraper.

A l'intérieur se trouvait le cadavre d'une femme, visiblement morte à cause du froid. Avec colère, la Lieutenant enfonça son couteau dans le crâne de ce qui devait être une survivante jusqu'il y avait peu de temps. Une fois le corps trainé dans la neige et soulevé pour le basculer par dessus le pont, Blake réitéra l'opération avec la tente. Ses mains lui faisaient un mal de chien. Ses doigts lui brûlaient à cause du froid et ses gestes devenaient difficiles à exécuter. Pendant quelques secondes la blonde prit le temps d'examiner le groupe en action. Tous étaient encore affairé à déblayer les environs. D'un pas rapide, les mains jointes au niveau de sa bouche pour les réchauffer, elle alla rejoindre John et Samuel.

« Combien de temps ça peut prendre ? » Demanda elle, presque sèchement, à l'attention de John. « Pour que la route soit praticable. » Et puisqu'elle détestait devoir s'adresser à lui, Blake préféra fixer le menuisier. Mais elle le savait, seul John était capable de répondre à sa question. Comme à chaque fois qu'elle lui parlait, Blake redressa la tête et scruta les environs à la recherche d'une certaine brune. Sans doute occupée ailleurs, Lucy n'était pas dans les parages.

   Avançant prudemment pour ne pas prendre le risque de trébucher sur quoi que ce soit et risquer un sort similaire au Coyote qui avait donné un fou rire à Ludwig tout à l'heure, je traînait lentement mes pieds dans la neige, ne m'importunant pas réellement du froid qui s'immisçait dans mes chaussures. Le froid ne m'avait jamais dérangé, j'avais connu bien pire et m'y sentais parfaitement dans mon élément ; si on omettait cette sensation désagréable de fatigue qui me donnait le sentiment d'avoir encore plus froid. Mais nous n'avions pas le temps de nous encombrer de telles idioties, nous aurions tout le temps de nous plaindre une fois la route dégagé, une fois en sécurité ; si toutefois c'était encore possible.

   Relevant tout pile la tête au moment où Marcus, un peu plus en avant, se redressait après une petite perte d'équilibre, je fronçais les sourcils en m'approchant de lui, remarquant la poutre métallique au sol. Soupirant doucement, je hochais la tête.

« On va devoir la décaler, ce sera plus prudent. »

   Peut-être que les véhicules passeraient aisément au dessus, mais mieux valait être prudent et prévoir toutes les possibilités. Ludwig et Ethan ne tardèrent pas à arriver jusqu'à nous alors que Marcus leur demandait de l'aide. Probablement que nous ne serions pas trop de quatre, que ce serait plus simple aussi pour ôter la barre sans avoir à la traîner au sol en faisant bien plus de bruit que nécessaire. Dégageant la neige aux deux coins, chacun se plaçait à un endroit. A la question d'Ethan, je hochais la tête.

« A trois. »

   Et j'avais compté, captant le regard de mes partenaires pour m'assurer que chacun était prêt. Nous avions finalement soulevé la barre non sans mal pour la tourner et la déposer sur le côté de la route. Cela fait, je frottais rapidement mes mains sur mon manteau trempé par la neige plus par mécanisme que pour réellement les essuyer. Avec de la chance, le reste serait plus aisé.

    Lançant un regard un peu plus en arrière, j'aperçu Christina passer au loin, se rendant à la voiture où se trouvait Tamara ; nous n'avions pas réellement rediscuté depuis le départ du chalet. Trop de choses à encaisser, trop de blessures encore bien trop ouvertes. Soupirant, je me remis à avancer ; m'occuper l'esprit pour ne pas ruminer, si ça semblait idiot, je n'avais rien trouvé de mieux pour l'instant.

Ethan était rapidement venu leur prêter mains fortes, ainsi que Ludwig, les quatre hommes étaient prêt à soulever la poutre métallique. Elle était plus lourde qu'il ne le pensait et le fait qu'elle eut passer un certain temps dans la neige, la rendait encore plus difficile à mouvoir tant le métal était gelé et leur glaçait les doigts. Marcus sorti une paire de gant de sa poche et enfila la main droite. « Si une de vous est gaucher je peux lui prêter un gant, ça sera toujours une main de sauvée » La remarque était certes dites sur le ton de l'humour, mais il n'en demeurait pas moins que l'idée était  pas forcement des plus idiotes.

Alan commença à compter « 1...2...3... » au top du trois, les quatre hommes levèrent la poutre avec force et synchronisation  afin de repartir la charge. Mais la poutre était excessivement pesante et les quatre durent s'employer afin de la bouger, la déposant doucement au sol afin de ne pas attirer d'autres rôdeurs.
En se relevant, Marcus senti une vive douleur au niveau de sa jambe droite ? L'effort avait été bref mais si soudain et violent que sa vieille blessure commença à se rappeler à lui, et ce n'était pas le moment du tout. Grimaçant, et posant ses mains sur ses genoux, la fatigue de l'effort mais surtout la faim qui lui tirait le ventre venaient d'avoir raison de lui. Jake arriva quelques instant plus tard et voyant son ami dans cet état, s'approcha de lui « Est-ce que ça va le vieux ? » Marcus leva les yeux et sans un mot, Jake compris de quoi il en retournait, passant son bras autour de la taille de Marcus les deux hommes commençaient à revenir vers le camion. « Désolé, il faut que je m'assoie quelques instants, je vous abandonne provisoirement. »

Une fois dans le camion, Marcus sorti discrètement sa flasque de son sac, il ne restait plus grand chose dedans mais une petite gorgée l'aiderai à se sentir mieux, enfin c'est ce qu'il se disait pour se donner du courage. Les années passaient certes, mais depuis les événements et malgré son entraînement quotidien, le corps de Marcus commençait sérieusement à atteindre certaines limites et il lui faisait savoir de plus en plus souvent. Rangeant son sac rapidement, il ferma les yeux un instant : tout était calme, des membres du groupe étaient maintenant à la recherche de matériel et tandis que les autres finissaient de déblayer la route. Le convoi allait bientôt pouvoir repartir, Jake, lui, était resté encore au sol afin de garder le camion, évitant que des rôdeur ne vienne perturber la quiétude de Marcus.

Le corps définitivement privé de vie du rôdeur s’était écroulé en arrière. Hormis son espèce de crissement typique, la couche de neige avait à peu près amorti le bruit de sa chute. Restant vigilant, John sortit, des poches de sa veste noire, une paire de gants tactiques et prit quelques secondes pour les enfiler le temps que le menuisier nettoie la lame de son couteau sur les vêtements du macchabée. S’il devait travailler longtemps et foutre les mains dans la neige souvent, autant éviter le engelures.

- Va falloir l’enlever lui aussi, constata Samuel en frottant son nez piqué par le froid.
- Yup... Tu prends les jambes, je prends les bras ? demanda le sergent.

Le quarantenaire hocha du chef silencieusement et les deux hommes se mirent en place. Callaghan se pencha et attrapa le mort par les poignets. De concert, ils firent un décompte à voix haute et soulevèrent le corps sans vie au même moment. Marchant de biais, ils avancèrent en direction de la rambarde. Le mort pesait son poids tout de même. Après quelques pas, un premier craquement se fit entendre. Puis un autre, un peu plus long. Les deux amis échangèrent un regard mais avant même qu’ils aient eu le temps d’accélérer la cadence, John se retrouvait avec un bras dans une main, un bras dans l’autre sauf que celui-ci n’était plus relié au corps qui allait avec. Il râla contre ce "putain de corps pas foutu de rester entier". Balançant le bras par dessus la rambarde de sécurité comme on aurait envoyé un vulgaire boomerang, le militaire lâcha l’autre et vint se positionner à côté de Samuel pour tirer le corps sur le bas-côté.

Ils revinrent rapidement là où ils étaient quelques secondes plus tôt et commencèrent à débarrasser la chaussée des différentes choses éparpillées ci et là qui l’encombraient. Plusieurs valises traînaient  non loin de quelques tentes bas de gamme dont une était éventrée. Sans doute qu’à chaque tente correspondait son bagage. Samuel et John se répartirent les tâches, le premier s’attelant à démonter les tentes, le second à rassembler les valises et à les transporter un peu plus loin.

- Tu sais, lâcha le menuisier après quelques minutes de travail, on devrait récupérer la toile des tentes. Ça pourrait nous servir pour...

Sa phrase reste en suspens. Au regard qu’il avait, insistant bien dans une direction, John comprit et se retourna. Blake. Sans tergiverser, sans même le regarder directement, son épouse rentra immédiatement dans le vif du sujet. Enfin son épouse... Dans la poche de son jean à lui, le léger poids de l’alliance qu’elle portait autrefois rendait la chose incertaine. Aux yeux du brun, elle l’était encore en tout cas.

- Difficile à dire, répondit l’homme, une valise à la main. Il regarda quelques secondes derrière sa femme pour voir comment les autres se démerdaient et ce qu’il restait encore à faire. Si ils continuent à ce rythme et qu'on a pas trop de problèmes... reprit John en donnant un coup de menton dans leur direction. Deux heures, trois peut-être, estima l'ingénieur de combat en reportant son attention sur sa femme. On sera reparti d’ici la fin de l’après-midi pour sûr. On ne peut pas passer la nuit sur ce pont de toute façon.