• 1er septembre 1984 - Shanghai Aiju Primary School - Shangaï

Le menton fièrement redressé, le petit Yuan regarde le drapeau flotter dans l’air. C’est lundi, son premier jour en petite section. Fang, sa mère a noué son petit foulard rouge autour de son cou avec amour, respectant avec application la façon de le nouer alors qu’elle avait le regard embué de larmes face à son seul et unique enfant, un fils qui plus est, prenait le chemin de l’école, son chapeau jaune sur la tête.

Yuan sait, malgré son jeune âge, à quel point cette journée est importante. A quel point il devra tout faire pour rendre fier sa famille et porter avec honneur le nom qui est le sien. Et cette journée, comme les suivantes, se passent à la perfection, exactement comme il l’avait imaginé. Sa mère lui a déjà appris quelques notions de lecture et d’écriture, alors tout est plus facile.

Et les semaines, les mois s’enchainent. Yuan a des journées bien chargées, ses parents lui payant des cours supplémentaires après l’école. Il fait du sport aussi, même s’il ne brille pas particulièrement dans l’un d’eux. Il sait pourtant bien se faire voir, que ce soit en étant serviable, courtois, toujours prêt à aider quand c’est nécessaire. A la plus grande fierté de ses parents.

Son père travaille énormément et il ne le voit que peu. Mais ce n’est pas grave, c’est pour l’honneur de la famille. Excellent commercial, Wang Shèng sait trouver les filons prometteurs. Et la petite société qu’il monte d’import-export prend vite de l’essor. Les chinois commencent à s’ouvrir au monde et veulent le montrer, surtout dans une ville comme Shangaï.

Le travail finit par payer et, très vite, la famille Shèng gagne en prestige. Pas suffisamment pour effacer la mésalliance des parents de Wang, son père ayant épousé une irlandaise, mais assez pour renouer avec les familles importantes de la région.

• 1er septembre 1990 - Wetherby-Pembridge – New-York

Yuan déglutit, se refusant à lâcher la main de sa mère. Cet établissement est trop grand, trop gris. Tout comme les bâtiments qui l’entourent. Il ne comprend qu’à peine ce qui se dit autour de lui, les cours d’anglais qu’il a pu avoir en Chine n’étant pas du tout au niveau de ce qui est attendu. Et ses parents refusent de lui laisser une période transitoire. Il aura quelques cours de soutien, mais rien d’autre. A lui de se débrouiller pour être à la hauteur.

Du haut de ses 10 ans, Yuan est effrayé. Il porte le bel uniforme que l’école privée où il va passer les prochaines années, avant de rejoindre le collège attenant, puis le lycée que ses parents auront choisi. L’investissement de ses parents dans ses études est colossal, on lui a bien fait comprendre. L’entreprise de son père gagnant en envergure, il a décidé de tenter sa chance et d’installer une succursale à New-York. Et c’est une idée brillante, l’entreprise prospérant de plus belle sous sa houlette. Pourtant, le choc culturel est rude, surtout pour sa femme qui n’apprendra jamais vraiment à parler anglais.  

Pour Yuan, c’est différent. Il finit par lâcher la main de sa mère et par se faire sa place. Son anglais est hésitant au début, mais il apprend vite, passant des heures à lire et relire tous les exercices qu’on lui donne. L’éducation très stricte qu’il continue de recevoir à la maison contraste quelque peu avec la vie qu’il découvre dans cette ville qu’il aime un peu plus chaque jour, mais Yuan arrive à se plier à l’exercice. Enfant de Chine, il devient tout de même enfant de New-York, accordant ses deux cultures, prenant le meilleur à ses yeux.

Il ignore royalement les quelques brimades liées à ses origines et s’en sort remarquablement bien, trouvant une force d’esprit étonnante chez un enfant de cet âge-là. Il en devient vite populaire et se fait de nombreux camarades, même si sa réserve due à sa culture l’empêche de réellement se lier.

• Eté 1996 - Daytona International Speedway – Floride

Les yeux brillants, Yuan fixe la piste. Son cœur bat à tout rompre et il ressent pour la première fois l’adrénaline couler dans ses veines. Ce qui était une simple étape durant de trop rares vacances familiales prend une tout autre tournure quand le jeune homme découvre la course automobile en direct.

Grace aux contacts de son père, il a même le droit, après la course, de monter dans une des voitures. Et là, c’est la révélation. Il n’a qu’une envie, c’est de pouvoir prendre le volant à son tour. Il lui faut insister longuement auprès de son père pour qu’il finisse par lui accorder et, quelques mois plus tard, il découvre les circuits aux alentours de New-York. C’est le début d’une passion qui ne quittera jamais le jeune homme, même avec les années qui passent. Il gagne en confiance à mesure que les victoires s’accumulent et ça se ressent, tant dans sa vie sociale que dans ses études.  


• Eté 2000 - Watkins Glen International – Etat de New-York

Lunettes de soleil sur le nez, Yuan est adossé à sa voiture, un sourire amusé flottant sur les lèvres. Il a remporté la course et, comme à chaque fois, il lui faut quelques minutes pour revenir à la réalité. Il n’y a que dans ces moments-là qu’il ressent une adrénaline pareille et, à chaque fois c’est encore mieux. Même s’il pousse parfois un peu sa chance et qu’il en est parfaitement conscient. Cette sensation de frôler la mort et de maitriser la situation d’un coup de volant, il n’a encore trouvé rien d’autre qui puisse l’égaler.

Pourtant, il sait que dans quelques jours, il devra reprendre le chemin de l’Université. Après deux ans d’université à New-York, il a été accepté à la Stanford Graduate School of Business, une des écoles de commerce les plus réputées du pays. Et il sait que son destin est en marche. Une part de lui aurait aimé continuer la course automobile, en faire son métier, mais un simple regard de son père lui a rappelé les espoirs que sa famille a en lui. Il n’a pas le droit de dériver de la route qui est la sienne et il en est conscient.

• Octobre 2005 – Appartement des Shèng – New-York

Yuan fixe le vide, sans dire un mot. Son père continue de parler alors que sa mère pleure en silence juste à côté de lui. C’est probablement ça le plus difficile à supporter. La déception. Qu’il ait fréquenté des occidentales ça, ils peuvent le concevoir. Yuan est séduisant, il le sait. Il a eu de nombreuses petites amies depuis le collège et il ne s’en est pas caché. Mais là, il est allé beaucoup trop loin. Il a 25 ans, il vient d’obtenir son diplôme avec tous les mérites qu’il pouvait avoir. Et il devait prendre le relai de son père dans une entreprise au plus fort de son développement.

Mais il a rencontré Lisa. Une jeune étudiante en droit. Brillante, drôle, avec un sourire qui fait battre son cœur un peu plus vite. Ce qui ne devait être qu’un simple flirt devient bien plus sérieux. Au point qu’il lui propose de vivre avec lui. Ce qu’elle accepte, alors qu’elle lui annonce qu’elle est enceinte. Prêt à l’épouser, il la présente à ses parents.

Grossière erreur.

Quelques jours après sa remise de diplômes, son père lui commande de rentrer à New-York en urgences. Et, devant l’air désolé de sa mère, il lui explique qu’il ne reverra plus Lisa. Que cette dernière a été grassement payée pour disparaitre du paysage et que cet enfant non désiré ne verra jamais le monde.

Yuan accuse le coup, alors que son père lui rappelle quel est son rôle, ce qui est attendu de lui. Le jour venu, il épousera la femme qu’on lui présentera. En attendant, il peut s’amuser, mais hors de question qu’il y ait des conséquences. Le jeune homme se renferme et n’a plus que des aventures sans lendemain, profitant de son argent et de son charme pour obtenir ce qu’il veut sans difficultés. Et il trouve un plaisir presque malsain à continuer ses courses de voiture. Il manque de peu de mourir à deux reprises, ne s’en sortant que par chance. Mais ça ne l’arrête pas.

• Eté 2009 – Pékin - Chine

Des vacances ? Pas vraiment non. Yuan n’a pas été dupe longtemps. Surtout quand sa mère n’a pas tari d’éloges à propos de la jeune Zi, la fille des Huàng. Le mariage a été décidé sans qu’il n’ait à donner son avis et autant dire qu’il est un peu… agacé. Pour autant, il ne fait pas de commentaires et il est résigné, espérant vaguement que ça se passera bien à défaut du reste. Ce qui compte, c’est la fortune des Huàng qui permettra à leur société de prendre encore un nouvel essor et de devenir cette multinationale tant convoitée par son père.

Et pourtant, quand il la voit pour la première fois, il y a quelque chose chez elle qui fait tilt. Qui lui plait. Vraiment. Alors, ce qui est une obligation, un arrangement pour l’honneur et la fortune de la famille, semble, l’espace d’un instant, un vrai mariage. Il est patient avec elle, ne la poussant pas à devenir mère trop vite alors qu’elle veut finir ses études. Et rentrer à New-York avec elle est moins dur à vivre qu’escompté.

Finalement, elle tombe enceinte rapidement. Et le 13 août 2010, la vie de Yuan change radicalement. Ce n’était pas dans ses projets. Il ne s’imaginait pas être aussi heureux d’être père. Ou prêt à tellement de choses pour ce tout petit être. Et pourtant, c’est le cas. Si sa relation avec Zi n’est pas au beau fixe, l’amour qu’ils éprouvent tous les deux pour cet enfant est réel, tangible. Il ne saurait pas dire si son coup de cœur pour sa femme est passé, ou si, tout simplement, il ne sait pas comment le cultiver ou faire en sorte qu’il soit partagé, mais petit à petit, il abandonne l’idée d’avoir une vraie vie de couple avec elle. Et il se laisse séduire sans trop de scrupules par les femmes qu’il peut croiser au quotidien. Il reste un bon père, un mari aussi présent que Zi le souhaite et sa conscience s’en accommode très bien.

• Noël 2013 – Seattle

Yuan a un sourire alors qu’il regarde Tao rire aux éclats au milieu de ses cadeaux. Le déménagement à Seattle a probablement été une des meilleures décisions de leur vie. Ouvrir une succursale entre New-York et Shangaï est une opération qui prend beaucoup de temps et d’énergie, mais Yuan est satisfait du résultat. Que ce soit les vêtements, la maroquinerie, le parfum et même la nourriture, les chinois sont de plus en plus friands de ce que l’occident a à offrir. Et Yuan sait comment faire fructifier les bases solides posées par son père.

Mais en cet instant, tout ce qui compte, c’est le regard brillant de son fils. Et de sa femme. Il la trouve terriblement belle alors qu’elle aide leur fils à ouvrir ses paquets. Et Yuan se dit que les choses pourraient s’arranger entre eux, que l’habitude peut ne pas être le seul moteur de leur union. Peut-être même qu’ils pourraient avoir un autre enfant ensemble. Une petite fille. Et le sourire qu’elle lui offre, alors qu’elle lève les yeux vers lui, lui réchauffe le cœur. Finies les maitresses et les journées interminables loin de sa famille. Il fera ce qu’il faut pour que tout aille mieux. Même s’il est dit que l’enfer est souvent pavé de bonnes intentions.

Quelques mois plus tard, son père annonce son départ à la retraite et laisse l’entreprise entre les mains de Yuan. Il est plein de projets et d’ambition pour celle-ci et ne s’en cache pas, même si ça prend du temps. Et que ce temps, il ne peut pas le consacrer à sa famille.  

• Automne 2015 – Seattle

Avec le recul, Yuan ne saurait dire exactement à quel moment il a compris que la situation était en train de dégénérer. Que ce soit via les rares informations que la télévision relayait en boucle ou les discussions avec ses collègues, il y avait trop de zones d’ombre pour qu’il soit serein. Après avoir annulé son voyage prévu à New-York, il a réussi à convaincre Zi de laisser Tao à la maison, sous la bonne garde de sa nourrice.

Et après ? Difficile à dire. Tout est devenu… confus. Que ce soit les militaires qui sont venus l’embarquer dans son bureau, en lui demandant – lui ordonnant plutôt – de se regrouper au Stade. Ou encore l’impossibilité de joindre Zi au téléphone. Ce qui l’a surtout marqué, ce jour-là, c’est quand il croisé cette femme. On aurait dit qu’elle avait la rage. Son regard vitreux lui avait glacé les veines et il était resté figé, sans savoir comment réagir, sauvé de justesse par un des militaires qui l’avait tiré par le bras avant de faire feu sur cette pauvre femme. Mais il avait fallu plusieurs balles pour en venir à bout.

Sous le choc, Yuan s’était laissé entrainer au Stade, sans réfléchir à passer par chez lui pour récupérer sa femme. Les jours suivants, il les a passé à attendre, espérer, sans oser quitter la relative sécurité du camp. Zi était quelqu’un de raisonnable, elle saurait se mettre à l’abri avec leur fils et forcément, ils atterriraient ici.

… mais non.

• Printemps 2016 – Seattle

Le stade est tombé. Yuan ne sait même pas comment il a survécu. Enfin si, grâce à l’aide d’un jeune couple, Soan et Daliah. S’il a eu du mal au début à se faire à l’idée de deux femmes ensemble, leur compagnie a été d’une grande aide. Et il s’est attaché à elles. Elles l’ont aidé à tenir quand, mois après mois, Yuan n’a pas vu Zi ou Tao apparaitre. Si l’espoir s’amoindrit, il n’arrive pas encore à se résigner, même quand ils se retrouvent à errer sans savoir où aller. D’autant qu’il faut se remettre de cet épisode. Avoir vu ceux qu’ils appellent les Guàiwùs – les monstres – apparaitre sous ses yeux et dévorer des gens sans pouvoir rien faire, l’a profondément marqué. Il en fera souvent des cauchemars, même s’il fait mine de gérer la situation. Comme tout le monde après tout.

Yuan tient tout de même à rentrer chez lui. Peut-être pour trouver une trace de Zi, pour avoir des réponses à ces questions qui tournent en boucle dans son esprit. Les filles, peu convaincues, l’accompagnent tout de même. Et au final, il ne trouve rien. Rien de bien intéressant en tout cas. Il récupère un album photo, quelques souvenirs, pendant que les filles ramassent des réserves, tout ce qui peut leur être utile pour un voyage. Parce qu’ils vont tenter de rejoindre la ferme de Soan à Redmond, au bord du lac Sammamish. L’idée n’est pas plus mauvaise qu’une autre et Yuan laisse un mot sur le frigo, sans savoir si un jour, Zi pourra le lire.

Le trajet jusque là-bas est long et difficile et, plus d’une fois, ils évitent tout juste l’accident grâce aux talents de conduite de Yuan. La ferme délabrée prend des allures de havre de paix à mesure que les semaines et les mois avancent.

• Eté 2017 – Redmond

Yuan essuie son front, non sans un soupir, alors qu’il s’arrête au milieu du carré de terre que Soan lui a dit de retourner. Après un bref séjour à Seattle pour échanger leurs premières productions et nouer des contacts, il est revenu plus frustré qu’autre chose. Encore des mois passés sans nouvelles. Daliah essaie de lui glisser avec douceur que, peut-être, il faut qu’il accepte la réalité, mais Yuan refuse d’en démordre. Zi est une battante, elle ne lâchera pas l’affaire, il le sait.

Leur communauté s’est agrandie alors qu’ils ont accueilli trois personnes durant l’hiver. Un couple avec leur fils de 15 ans. L’homme apprend à Yuan les rudiments des armes à feu, pour qu’il aide aussi à défendre leur lopin de terre si besoin. Les munitions sont peu nombreuses, alors autant faire en sorte de ne pas les gâcher. Au fil des mois, le travail de la terre et tous les travaux pour entretenir la maison changent un peu la carrure de Yuan qui s’étoffe et gagne un peu plus en prestance. Les hivers sont froids et difficiles, mais ils arrivent à survivre.

• Printemps 2018 – Redmond

Quelques prières murmurées par Daliah alors que Yuan fixe le trou béant qui va servir de tombe à Sloan. Une appendicite. Une simple appendicite. Que personne n’a su comment soigner. Il était déjà trop tard avant de songer à l’emmener à qui que ce soit. De toute façon, ils n’avaient personne en tête. Yuan passe son bras autour des épaules de la jeune femme, inconsolable, alors qu’il garde la tête haute, retenant des larmes bien légitimes pourtant. Il pleurera plus tard, quand personne ne sera là pour le voir, en profitant de l’obscurité.

Les jours se succèdent sans vraiment se ressembler. D’autres personnes se joignent à leur groupe, dont il a commencé à prendre naturellement le lead, sans même s’en rendre réellement compte. La situation manque de leur échapper à plusieurs reprises et, une fois, Yuan manque d’y laisser la vie. Il s’en sort plutôt bien, ne prenant qu’une balle dans l’épaule qui met plusieurs mois à se soigner. C’est grâce à Meg, une jeune infirmière tout récemment arrivée dans le groupe, qu’il survit sans séquelles. Il l’accueille quelques temps dans son lit, sans réelle envie. Plus parce qu’il se sent seul qu’autre chose. Et, bien évidemment, ça ne dure pas. Tout comme son aventure avec une autre jeune femme qui rejoint le groupe pour quelques mois. Mais ce n’est pas comme si c’était vraiment important.

• 2019 – Redmond

Elle est en vie. Tao aussi. Ils sont là, tous les deux. Yuan a l’impression que son cœur va exploser quand il reconnait la silhouette de sa femme parmi le nouveau groupe qui vient se rajouter au leur. Mais le bonheur ne dure pas. Elle a refait sa vie avec un autre. Elle l’a oublié. Et il faut bien qu’il l’admette, c’est bien plus douloureux qu’il l’aurait cru. Mais il prend sur lui. Il reste courtois, aimable, heureux de les accueillir et surtout, de retrouver son fils.

Son cœur se réchauffe de niveau contact de ce petit bonhomme qu’il avait perdu pendant des années. Ils ont un peu de mal à s’apprivoiser l’un l’autre, mais le temps fait son œuvre. Et ses sourires gagnent de nouveau ses yeux. Ses contacts avec Zi se limitent au strict minimum. Non pas qu’il n’ait pas envie de renouer avec elle, mais il ne sait pas comment faire. Si elle veut qu’ils soient amis ou autre chose. Ou rien du tout. Et les explications qu’ils ont ne lui suffisent pas. Mais il est incapable de lui dire. La survie est déjà bien assez difficile pour se rajouter des difficultés supplémentaires.

Tao grandit. Il est en sécurité. Et il a l’air heureux. C’est ce qui compte plus que tout le reste. Même si, alors que leur communauté continue de s’agrandir, un nouveau danger plane maintenant sur leur communauté. Et un groupe de pillards manque de tout détruire, alors que l’automne s’est installé. Plusieurs des gens avec qui il vivait depuis des années meurent, y compris Daliah. Le cœur lourd, Yuan réalise que leur situation devient de plus en plus délicate, malgré les liens qu’ils ont pu tisser avec les autres communautés. Ca ne suffira peut-être pas.

• 2020 – Seattle

Et ça n’a pas suffi.

Une nouvelle attaque, menée par un dénommé Dread en son absence. Et voilà que Zi et Tao ont encore disparu. Impossible de savoir ce qu’il leur est arrivé. Fou de rage et perdant pour la première fois son contrôle presque légendaire, Yuan se précipite tête baissée pour essayer de les retrouver, de se venger ou… peu importe. Tout sauf rester les bras croisés sans savoir ce qui se passe.

Mais il s’y prend mal bien évidemment. Il n’est pas taillé pour se battre, encore moins contre des gens de cette trempe. C’est Oliver, l’amant de sa femme, qui le retrouve blessé, agonisant, quelques jours plus tard. Il a été poignardé à plusieurs reprises et abandonné là, se trainant tout juste pour échapper aux Guàiwùs. Les jours, les semaines qui suivent même, sont particulièrement flous. Oliver lui expliquera qu’il l’a emmené jusqu’à Seattle pour trouver du secours et pour le soigner. Sans lui, il serait bel et bien mort mais là, il devrait s’en sortir. Amaigri, affaibli, il doit sa survie à la bienveillance de son compagnon d’infortune.

Et s’il ne peut pas le supporter au départ, petit à petit, il comprend. Ce qui a pu plaire à Zi, pourquoi il a pu lui apporter ce que lui n’avait jamais pu faire. Et, pour la première fois de sa vie, il se confie à quelqu’un. Une étrange amitié finit par naitre entre les deux hommes qui, bien que très différents, ont besoin l’un de l’autre pour tenir bon. Yuan finit par lui promettre de l’aider à retrouver Zi. Pour qu’ils soient heureux tous les deux.

Les mois s’enchainent et Yuan finit par être remis sur pied. Il a une dette d’honneur auprès d’Oliver qu’il entend bien payer, même si ce dernier s’en amuse plus qu’autre chose. Et ils finissent par prendre la route ensemble, au fil des rumeurs, pour essayer de retrouver Zi et Tao. Yuan arrive à nouer de nouveaux contacts au no man’s land et continue de se bâtir une petite réputation, trouvant le moyen d’être au centre de certains trocs contre des informations intéressantes.

C’est comme ça qu’Oliver arrive à le persuader d’aller à Discovery Park. Il y aurait une communauté qui aurait aperçu Zi il y a quelques mois. Mais non seulement ils ont été dupés et l’information ne vaut rien, mais en plus, ils sont pris au piège par une horde de rôdeurs. S’ils arrivent à sortir de là en se grimant de viscères, Oliver est cependant mordu. Et il succombe après une longue agonie de plusieurs heures. Epuisé et à bout de forces, Yuan se met à errer sans réel but après avoir enterré le seul véritable ami qu’il ait jamais eu. C’était la perte de trop, celle qui l’ébranle pour de bout. Et il ne croit même plus que Zi ou Tao peuvent être en vie.

Yuan finit par s’effondrer au niveau de la marina. Pour ouvrir les yeux quelques jours plus tard, reconnaissant quelques silhouettes qu’il a pu croiser par le passé. On lui annonce qu’il est à Fort Ward. En sécurité. Mais seul. Pourtant, il prend sur lui et finit par se relever, encore prêt à se battre contre cette vie qui et les coups qu’elle veut encore lui asséner. Il finit par se faire une place au sein du Fort, toujours prêt à rendre service, alors qu’il s’efforce d’ignorer cette douleur sourde qui pulse en lui.

• 2021 – Fort Ward

Le regard de Yuan se perd dans la contemplation du mur, alors que Zi dort dans le lit d’hôpital à côté de lui. Elle est en vie. Amaigrie, épuisée, à bout de forces, mais en vie.

…mais pas Tao.

Sa gorge se serre alors qu’il prend une grande inspiration pour ne pas se laisser déborder par les sentiments. Il lui a fallu quelques mois pour arriver à gagner la confiance des membres du Fort et pour avoir le droit d’aller prospecter à Seattle. Pour retrouver des membres de son ancien groupe mais aussi participer au commerce du groupe. Et, même s’il n’y croyait plus vraiment, un jour, il l’a vue. Elle. Il a faille ne pas la reconnaitre.

Il la ramène à Brainbridge et à force de patience, apprend quelques bribes de ce qui s’est passé. Elle ne donnera jamais les détails, mais Yuan n’est pas sûr d’être capable de les entendre de toute façon. Il sait juste que c’est de la faute des Hell’s Angels. Qu’ils lui ont pris son petit. Qu’ils lui ont fait du mal. Beaucoup de mal. Assez pour que Zi ait cette lueur qu’il n’avait jamais vue dans son regard. Et s’il est en colère, il ne sait plus si c’est contre elle pour avoir survécu alors que Tao est mot, contre lui, pour ne pas avoir été là. Ou contre le monde entier. Probablement un savant mélange de tout ça qu’il garde pour lui, plus fermé et distant que jamais avec les gens. Oh, il noue des liens, comme il sait si bien le faire. Il s’entend bien avec tout le monde et se fait sa place au sein du fort. Mais il est plus fermé qu’il ne l’a jamais été, la mort de Tao ayant emporté avec lui l’amour qu’il avait réussi à cultiver.

Pire encore, l’arrivée d’un des Hell’s Angels au sein de son groupe ne fait que raviver sa colère. Il ne dit ni ne fait rien, se gardant bien d’approcher l’importun. Mais bien décidé à ne rien faire pour le laisser mourir s’il en a l’occasion.

La douleur l’anesthésie un peu à tout le reste. Mais il continue. Parce que c’est ce qu’il fait de mieux.

• 2022 – Fort Ward

La guerre contre les New Eden, les attaques, ces nouveaux Guàiwùs encore bien plus forts que les autres. Les derniers mois ont été plus agités que jamais et Yuan s’efforce de se rendre utile, même s’il appréhende un peu plus chaque jour qui suit le précédent. S’il est courtois et poli avec Zi, il l’évite, tant que faire se peut. Il n’est pas prêt à l’affronter, à lever le voile sur cette plaie béante qui est la sienne.

Plutôt se plonger dans le travail, aider à l’intendance, aux champs. Peu importe, tant qu’il est assez fatigué le soir pour ne pas avoir à réfléchir. Tant qu’il peut se retrancher derrière sa dignité et ne pas avoir à repenser à tous ces fantômes qui jalonnent désormais sa vie. Son fils en tête. Son ambition le guide, à défaut du reste. Et il sait que, même s’il n’est pas soldat, il peut faire plus pour cette communauté, surtout après les récents évènements qu’ils ont pu vivre.

Hors de question de se laisser dévorer par ces fanatiques religieux qui essaient de les tuer. Hors de question de laisser l’humanité s’éteindre face à ces morts qui continuent de se relever encore et encore. Il fera tout ce qui est en son pouvoir pour aider son groupe à survivre, à défaut d’avoir pu le faire pour son propre fils. Quel que soit le prix à payer.  

Yuan est arrivé à Fort Ward début 2020. Depuis près de deux ans, il a réussi à se faire une place et il aide partout où il le peut. S’il n’est pas militaire, il prend tout de même le temps de s’entrainer au tir, pour être réactif si besoin et il fait ce qu’il faut pour garder la forme.

Ses journées s’articulent selon les besoins du camp, surtout depuis que les sorties, notamment à Seattle, ne sont plus monnaie courante. S’il faut aider aux champs, il y va sans rechigner, même s’il préfère être assigné à tout ce qui a trait à l’intendance et qui lui rappelle un peu ses fonctions passées. Il a passé du temps à aider à la bibliothèque aussi et songe actuellement vaguement à proposer ses services à l’école, sans arriver à trop se décider.

Tout pour être occupé, du matin au soir, pour ne pas avoir à trop réfléchir.

Le soir, il lui arrive parfois d’aller boire un verre ou deux au Summer’s et de discuter avec les autres habitants de Brainbridge. S’il ne s’est pas vraiment fait d’amis, il a tout de certains camarades avec qui il lui arrive de passer du temps et d’échanger, discutant du passé, du présent, de tout et de rien. Tant que ce n’est pas trop personnel.