Jarod est né à Memphis, dans le Tennessee, le 23 mars 1984. C’est le dernier enfant de la famille Ross. Quatorze ans avant lui naissait Jack, son grand frère. Quatre ans après l’ainé, c’était la petite Joy qui venait au monde. Sauf qu’elle va mourir seulement quelques mois plus tard. David, le paternel, était fou de Joy. Beaucoup moins de Jarod. Paraît que la mort de la petite, ça l’a détruit de l’intérieur. Il s’était promis qu’il ne pourrait plus jamais aimer comme cela, et il a tenu sa promesse. Jarod était pas désiré, de toutes façons. C’était juste un accident. Sûrement pour ça que David s’est barré d’la maison quelques mois après sa naissance, emportant avec lui toutes les économies familiales.

Forcément, cela pousse la famille dans une situation précaire. Ils déménagent à Lewisburg pour des loyers plus abordables. Maria, la maman, est obligée de se sacrifier pour leur permettre de survivre. Vendre son corps, c’est tout ce qu’elle a trouvé. Elle n’avait pas d’autres choix. Jarod n’est encore qu’un gosse, mais il a déjà l’esprit vif. Il ne saisit pas les tenants et aboutissants de la prostitution de sa mère, mais il sent bien que quelque chose ne va pas.

Le jeune Ross n’a donc pas grandi dans un climat des plus paisibles, mais bon, faut faire avec. Malgré leur grande différence d’âge, il s’entend assez bien avec Jack. Il se met rapidement à le prendre pour modèle. C’est un peu cliché, mais le grand frère faisait office de figure masculine pour le garçon. Quelque part, il l’admirait.

Quand Jarod va à l’école pour la première fois en 1988, il fait preuve d’un enthousiasme rare. La plupart des autres mômes chialaient pour retourner auprès de leurs parents. Jarod, lui, était content de pouvoir fuir l’atmosphère pesante qui régnait chez lui. Maria était malade, et son état ne s’améliorait pas. Il savait pas trop c’quelle avait, mais il savait que c’était grave. Maladie et pauvreté font rarement bon ménage. L’école, c’était devenu l’échappatoire du gosse, alors il s’y appliquait.

Il voit aussi de moins en moins Jack, qui était occupé à remuer ciel et terre pour ramener de l’argent à la maison. Mais ça suffisait pas. Jarod n’a que 6 ans lorsqu’il voit des policiers toquer à sa porte pour venir emporter son frère. Il comprend pas tout. Il savait que le boulot des policiers, c’était d’arrêter les méchants. Mais son frère, il était pas méchant, alors pourquoi ?

Jarod est d’abord triste, puis en colère. Jack les a abandonnés. C’est comme ça qu’il voyait les choses. Il lui en veut beaucoup pour ça. Et forcément, avec son emprisonnement, c’est une très grosse partie des revenus du foyer qui sont perdues. Maria essaie d’assurer autant qu’elle peut, mais elle n’a plus les forces nécessaires. Leur quotidien est un enfer pendant près de deux ans. C’est un peu d’la faute de Jack. Jarod, du haut de ses huit ans, ne peut s’empêcher de le penser. Il le pensera aussi lorsque le SIDA emportera sa mère, en 1992. Il est effondré.

Il intègre un orphelinat, et a la chance d’être rapidement adopté par une famille très correcte. Mais forcément, tous ces événements, ça l’a beaucoup affecté. Jarod est distant, renfermé, et il n’y a qu’à l’école qu’il semble s’épanouir pleinement. Il était intelligent ce p’tit, tous les professeurs le disaient. Alors il capitalisait dessus.  
Le manque d’argent, c’était ça la cause de tous ses soucis. C’est ce dont il s’est convaincu. Son enfance merdique, l’emprisonnement de son frère, la mort de sa mère… Tout ça à cause du manque de thunes. Alors il s’est juré, déjà très jeune, qu’il ne revivrait plus jamais ça. Il réussirait. C’est ainsi qu’il se plongea corps et âme dans les études.

Lorsqu’il revit son frère tout juste libéré en 1997, Jarod se sent un peu perdu. Si une part de lui se réjouit de ces retrouvailles, une autre a du mal à être heureuse. Revoir le visage de Jack après tant d’années lui rappelle des souvenirs. Mais il n’y en avait pas beaucoup de bons…
Malgré tout, Jarod ne peut s’empêcher de s’attendre à ce que son grand frère entreprenne des démarches pour le récupérer. Ce n’est pas tant qu’il voulait partir, c’est surtout que ça aurait été une preuve d’affection et d’intérêt dont il avait besoin à ce moment-là.  Mais encore une fois, il fut déçu.

Depuis, ils ne se voient que quelques fois par an, et leurs relations se tendent. Jarod a de nombreux reproches à faire à son frère, et comme tout adolescent qui se respecte, il ne prend pas de pincettes pour lui montrer. L’ultime déception survient lorsque Jack retourne en prison, en 2001. C’est qu’un putain de raté, voilà ce qu’il se disait.
Toujours excellent à l’école, Jarod finit par entamer des études supérieures dans le domaine de la finance, qu’il finança notamment grâce à ce qu’il croyait être le compte des dernières économies de sa défunte mère. En fait, il s’agissait plutôt de l’argent que son frère mettait de côté pour lui depuis des années. Encore aujourd’hui, il ne sait toujours pas que cet argent venait de Jack.

Jarod finira par décrocher un job d’analyste financier dans une banque, en 2006. Le cadet Ross gagne correctement sa vie. Mais il vise toujours plus. Il est devenu un beau jeune homme, qui a du succès avec les femmes, et qui ne s’en cache pas. Il enchaîne les conquêtes, mais aucune de ses relations ne perdure. Il faut dire que le cadet Ross est bien incapable de s’attacher à qui que ce soit. Il n’est obnubilé que par lui-même et sa propre réussite. Avec les demoiselles, seules les relations superficielles l’intéressent.

Lorsque son frère sort de prison pour la seconde fois, il l’aide un peu financièrement. Autant pour lui montrer que lui a réussi, que par véritable envie de le soutenir. Jarod garde toujours de la rancœur envers son ainé, et n’a de cesse de le rabaisser quand il le voit. Pour autant, les deux hommes continueront à entretenir leur relation tendue.
De par son éloquence et ses compétences, Jarod se fait rapidement des contacts intéressants dans son milieu. L’un d’entre eux va lui permettre d’obtenir les moyens nécessaires à la création de son fonds d’investissement, en 2009. Il se sert des capitaux obtenus par les clients de son fonds pour investir dans des petites entreprises en plein développement. Au début, ça marche bien, Jarod flaire les bons coups. Mais ça ne dure pas éternellement. Et quand il commence à sentir que l’entreprise va bientôt s’effondrer, il savait qu’il devrait faire quelque chose. Il allait perdre de l’argent. Beaucoup d’argent. Et il était prêt à tout pour ne plus connaître la misère.

Alors il agit en conséquence. Jarod dissimula les véritables chiffres de son fonds d’investissement, et continua à prétendre que tout allait bien. Au lieu de diminuer le rendement distribué aux investisseurs, il continua au contraire à leur verser des revenus encore plus importants. Pour ce faire, il utilisait les capitaux apportés par les nouveaux clients. Au lieu de les utiliser pour colmater les brèches et limiter ses pertes, il les reversait aux premiers investisseurs. Ainsi, ces derniers continuaient de percevoir des rendements de plus en plus intéressants, ce qui était un signe de bonne performance, sur base de laquelle il attirait de plus en plus d’investisseurs.

La boucle était bouclée. L’argent des nouveaux servaient à payer les revenus des anciens. Et ainsi de suite. C’est une arnaque basée sur le schéma de la pyramide de Ponzi. Elle fonctionne tant que l’attractivité du fond permet d’attirer toujours plus de nouveaux clients. Jarod, était assez malin pour la faire durer des années sans se faire choper.
Et tout ce temps-là, il s’enrichissait grâce aux commissions qu’il percevait. Et aux quelques sommes qu’il détournait adroitement, au passage.

Mais bien évidemment, l’arnaque ne pouvait durer éternellement. Fin 2015, il sent bien que l’afflux de nouveaux investisseurs est de moins en moins important, et que toute la pyramide finirait par bientôt s’effondrer. Il se met à réfléchir à un moyen de surmonter la catastrophe à venir. Car ce sont des petites fortunes qu’il aura fait perdre à des milliers de clients avec les années.

Mais un autre type de catastrophe est venu leur mettre un coup sur la tête entre temps. Une bien plus grave. La fin du monde, selon certains. Jarod était peut-être un des seuls pour qui cette crise fut une aubaine…

Memphis, Octobre 2015

On comprend pas tout de suite tout ce qui se passe. Surtout Jarod, qui ces derniers jours s’était enfermé chez lui pour trouver une solution pour sortir de la merde dans laquelle il était. Ou en tout cas pour pas s’faire choper. Dehors, les cas d’agressions sauvages se multiplient. On parle de personnes qui avaient l’air d’avoir perdu totalement la raison. Forcément, ça finit par arriver aux oreilles de Jarod, qui ne réalise pas tout de suite l’ampleur de la crise. Mais qui y voit une opportunité.
Quelle meilleure d’excuse que la panique générale pour s’enfuir loin d’ici sans attirer l’attention ? Alors il s’prépare pour le voyage, récupère quelques affaires, ainsi que les liasses de billet qu’il gardait dans un coffre. Sans se douter que ça ne lui servirait pas longtemps.
Il réalisera pas que c’est VRAIMENT la merde dehors avant qu’une folle dingue ne lui saute dessus pour littéralement essayer de le croquer vivant, et qu’il ne soit sauvé in extremis par un groupe de passants. Il finit par enfin comprendre que ça serait pas si facile de se barrer d’ici, et qu’il avait besoin de quoi s’défendre. Sûrement pour ça qu’il s’est ensuite dépêché d’aller chercher son frère. Il lui serait sûrement utile, et ferait un bon soutien. Et pis, accessoirement, il allait pas le laisser tout seul.

Tennessee, Novembre 2015

C’est qui qui a eu la putain d’idée d’aller chercher Jack déjà ?! Tout c’que veux Jarod, c’est s’barrer le plus loin et le plus vite possible. Mais Jack lui est obnubilé par le fait de retrouver sa famille qui s’est caché dans on ne sait quel camp de péquenaud, quelque part au nord. Jarod essaie de le dissuader. C’est une mauvaise idée, et ça pouvait pas bien finir. En tout cas, pas pour lui. Soit ils les retrouvaient vivants, et ils allaient devoir se trimballer deux boulets dont lui n’avait strictement rien à foutre. Soit ils les retrouvaient pas, ou morts, et vas-y pour remotiver Jack après un coup pareil.
C’est pour cette raison que Jarod, lui, n’a jamais essayé de retrouver ses parents adoptifs dans tout ce bordel. C’est un peu cruel, mais il préférait ne pas savoir ce qu’ils étaient devenus que de découvrir une vérité qui ne lui aurait rien apporté de bon. Il faut savoir ne pas se poser les questions dont on ne veut pas connaître la réponse. C’est comme ça qu’il pense.
Et ça a pas loupé. Ils vont mettre près d’un mois avant de retrouver le fameux camp. En miettes. Jonché de cadavres étonnamment plus vivants que morts. Jarod laissera juste le temps à son ainé de retrouver les corps de sa famille. Pour qu’il soit bien fixé quant à leur sort, et ne se berce pas d’un espoir inutile. Puis il le tire de là, le force à repartir et à remonter dans la voiture pour s’barrer vite avant qu’ils se fassent bouffer.

Illinois, 2016

Le voyage est difficile, bien plus que ce qu’ils ne pouvaient imaginer. L’objectif, c’était d’atteindre le Canada, avec l’infime espoir que ça s’passe mieux là bas qu’ici. La route est longue, avec tous les putains d’cadavre ambulants qu’on retrouve un peu partout et qu’on préfère forcément éviter. Il faut aussi prendre le temps de se reposer, et c’est pas facile de trouver un sommeil réparateur quand un d’ces monstres peut vous tomber dessus à n’importe quel moment.
C’est un peu pour ça que Jarod a accepté de prendre dans sa voiture trois survivants qu’ils ont rencontré sur la route. Plus de gens pour s’relayer à monter la garde la nuit, ça fait plus d’heure de sommeil pour lui et son frère. Faut pas s’faire d’illusions. Pour le cadet Ross, y avait qu’eux qui comptait. Son frère et lui. Lui plus que son frère, faut pas déconner.
C’est donc sans scrupules qu’un peu plus tard, les frangins abandonneront leurs trois compagnons à leur sort sur le bord de la route. En gardant le plus gros de leurs affaires, évidemment.

Ils finirent par arriver à Chicago, où ils rencontrent un groupe un peu plus conséquent. Ces derniers leur apprennent ce qu’ils redoutaient déjà : essayer d’aller au Canada, c’est peine perdue, et ça sert à rien. Ils vont rester un peu parmi ce groupe, histoire d’au moins laisser passer l’hiver. Jack est froid et distant avec tout le monde. Jarod leur explique que c’est parce qu’il digère toujours pas la mort de sa famille, et joue un peu là-dessus pour gagner leur sympathie.
Pendant tout le temps qu’ils restent avec eux, Jarod joue de ses charmes et son éloquence pour s’intégrer parfaitement au groupe. Tout semblait aller pour le mieux, et ils avaient l’air tous soudés. Quel ne fut pas leur étonnement lorsqu’ils se rendirent compte que les frères Ross avaient taillé au milieu de la nuit en leur dérobant la majorité de leurs ressources.
Charmer, s’intégrer, prendre ce qui les intéresse, et repartir. Voilà comment ils allaient survivre. Voilà comment ils allaient réussir mieux que les autres. Parce qu’il était plus malin. C’est ce dont il se persuadait, en tout cas. Jarod n’était pas du genre à ressentir des remords ou de la pitié. Il ne s’attache pas aux gens, alors ce genre d’agissement, ça ne lui pose aucun problème. Habituellement, son frère est quand même plus empathique que lui. Mais la mort de son ex et d’son gosse, ça l’a détruit de l’intérieur. Y a plus rien qui a l’air de compter désormais, alors il est pas très difficile à convaincre.

Les Ross passent ainsi l’année 2016 à voyager vers l’Ouest. Sur leur chemin, ils rencontrent plusieurs autres groupes, avec lesquels ils opèrent de la même façon, quand ils estiment que c’est pas trop risqué. C’est comme ça qu’ils survivent. Ce sont les règles du jeu, c’est tout. Jusqu’à ce qu’ils finissent par arriver dans le Wyoming début janvier 2017.

Wyoming, Janvier 2017

La voiture lâche, et Jack dit qu’il a pas de quoi la réparer. C’est la merde, y a pas à dire. Mais ils se font trouver par un autre groupe de survivants, prêts à leur donner un coup de main. Une vraie aubaine.
Ils devaient faire comme ils faisaient d’habitude : intégrer le groupe, y rester jusqu’à obtenir ce dont ils avaient besoin, et repartir. C’était ça le plan. L’objectif, c’était toujours de rejoindre l’Ouest. Mais cette fois-ci, ça se passe pas comme prévu.
Au bout de quelques mois, ils parvinrent à trouver toutes les pièces dont ils avaient besoin pour réparer la bagnole. Le 4x4 est de nouveau sur pied, mais Jack veut plus repartir. Fallait qu’il s’entiche de cette fille ! Et bien profondément en plus ! Meika, qu’elle s’appelait. Avec elle, c’est indéniable, l’ainé Ross semble retrouver le moral qu’il avait perdu il y a déjà plus d’un an. Il s’attache à elle, et il s’attache aussi à ce semblant de vie qu’il était en train d’se construire.
Et ça, Jarod a du mal à l’accepter. Meika est une femme douce, adorable sous bien des angles. Mais ce sont des défauts dans le monde où ils vivent désormais ! Elle rend Jack heureux, mais par-dessus-tout, pour Jarod, elle le rend faible. Elle le change. Et elle l’éloigne de lui.
Depuis qu’ils traversaient le pays ensemble, les deux frères étaient devenus plus proches qu’avant. Dans un contexte étrange, certes, mais tout de même. Jarod avait l’impression d’avoir retrouvé son grand frère qu’il avait perdu il y a de nombreuses années maintenant. Ils avaient besoin l’un de l’autre. Ils survivaient ensemble.
Jarod essaie de le convaincre de repartir, en vain. Il le menace même de s’en aller sans lui, mais il n’en a cure. Il pouvait pas laisser Meika le changer autant. Il pouvait pas laisser son frère l’abandonner. Pas encore une fois.

Wyoming, Septembre 2017

Ce n’était pas prévu. Un matin, Jarod et Meika partirent ensemble pour récupérer du matériel dans un hangar abandonné. Le cadet Ross comptait bien sur cette expédition intime pour mettre les choses au clair avec la demoiselle. La bousculer un peu, la menacer subtilement, lui faire comprendre adroitement que sa relation avec son frère lui déplaisait, et qu’il ne fallait pas lui déplaire. C’était tout ce qu’il voulait faire, à la base : la menacer. Le reste, ça n’était pas prévu.
Peu après être arrivés sur les lieux, Jarod commence son petit discours. Mais Meika est bien moins docile qu’elle ne le paraissait. Elle se laisse pas faire, elle monte le ton, alors Jarod doit se montrer plus convaincant. Il lève la voix, il marche vers elle d’une allure menaçante. Elle recule, par réflexe. C’est là qu’il le voit.
Ce putain de rôdeur qui tend le bras, bloqué derrière un grillage au fond de la pièce. Meika, qui continue de reculer, ne le remarque pas. Et la voix portante de Jarod qui continue de la menacer ne l’aide pas à l’entendre non plus. Jarod lui, l’a remarqué, mais il ne s’arrête pas. Il continue à faire comme si de rien n’était, jusqu’à amener la demoiselle jusqu’au monstre desséché. Jusqu’à ce que dernier ne lui agrippe le bras.
Ce n’était pas prévu. Il devait juste s’expliquer avec elle. Mais l’opportunité était trop belle. Alors Il la regarde se débattre. Il fait semblant de venir l’aider, mais en profite pour la pousser un peu plus contre le cadavre vivant. Il la regarde se faire mordre. Il aurait pu agir, il aurait eu le temps de la sauver. Mais il ne le voulait pas.
Elle devait mourir. Ce n’était pas prémédité, mais l’évidence lui a sauté aux yeux lorsque l’opportunité s’est présentée. Sa mort apporterait plus à Jack que sa vie. L’attachement, ça rend faible. Plus y a de gens qui comptent, plus on est vulnérable. Ils avaient seulement besoin d’eux seuls. C’est pour son frère qu’il a fait ça. Pour qu’il survive.

Jarod rentre. Feindre les larmes et le désarroi, il sait faire. Personne ne se doute de rien, car personne ne connaît ce côté de sa personnalité. Il réconforte son frère comme il peut, avec autant de mensonges que de vérités. Faut pas se méprendre, il a aucun remord. Mais voir son frère aussi mal en point, ça le fait chier. Et quelque part, ça le conforte dans son avis qu’il a bien fait de se débarrasser d’elle. Qu’il soit dans cet état, c’est bien la preuve de l’emprise malsaine qu’elle avait sur lui. Non ?
Alors il le force à reprendre la route. Comme c’était prévu au départ. Parce qu’ici, les souvenirs l’assaillent, et qu’il se tue avec l’alcool. Jarod espérait que ça serait temporaire, et que s’en aller lui permettrait de passer à autre chose.

Seattle, Juin 2018.

Les deux frères parvinrent à atteindre Seattle en juin 2018, non sans mal. Quelques mois auparavant, alors qu’ils venaient d’entrer dans l’état de Washington, leur véhicule les a lâchés pour de bon. Ils ont continué leur voyage à pied, sans avoir la chance de trouver d’autres groupes qu’ils peuvent dépouiller.
Ce fut compliqué, mais l’arrivée à Seattle leur redonne espoir, car ils entendent parler d’un hangar où les survivants se croisent, s’entraident et interagissent. Ce lieu éveille la curiosité de Jarod qui souhaite s’y rendre au plus vite.
Parce que voler des groupes et repartir, c’est plus d’actualité depuis qu’ils ont perdu la voiture. C’est beaucoup trop risqué. Il fallait changer de stratégie. S’investir dans un tel lieu de passage pouvait être une belle opportunité. Y troquer, s’y faire un nom, une réputation, des relations. L’Hangar avait un beau potentiel pour pouvoir construire quelque chose de solide autour. C’est comme ça qu’il voyait les choses. Alors il fut heureux lorsqu’ils finirent enfin par le trouver en septembre 2018.

Etat de Washington, 2019

Comme prévu, les deux frères font leurs affaires autour du Hangar. Ils gravitent autour à la recherche de ressources utiles, et y reviennent lorsqu’ils ont des choses à troquer. Jack est un bon chasseur – une chose pour laquelle on pourra remercier Meika – et il se démerde en mécanique, alors il a de la valeur. Jarod lui essaie de leur trouver les meilleurs échanges, les meilleures opportunités. D’arnaquer des voyageurs naïfs, quand c’est possible. C’est devenu leur quotidien.
Ils sont pas là en mars 2019, quand le Hangar a des problèmes. Quand ils y reviennent et découvrent ce qu’il s’est passé, c’est la douche froide. Mais Jarod ne se démonte pas. Le lieu n’a pas perdu de son potentiel pour autant. Ils pouvaient reconstruire quelque chose ici. Ils pourraient en tirer les ficelles. Ils pourraient y réussir.

Jarod regarde discrètement par-dessus son épaule. Il voit son frère, adossé contre un mur, une bouteille d’alcool dans la main. Le cadet Ross soupire. Ça le faisait chier de voir son frère constamment avec cette merde entre les doigts. Il s’demande quand est-ce qu’il se remettra enfin d’aplomb.

Il détourne finalement le regard pour s’intéresser de nouveau à l’interlocuteur qui se trouve devant lui. Il termine d’échanger 4 clopes qu’il avait trouvé contre des vivres. C’est fou c’que cette addiction, ça pouvait rendre les gens cons. Dès que Jarod trouvait des cigarettes ou de l’alcool, il savait qu’il pourrait en tirer quelque chose d’intéressant auprès de voyageurs usés par cette rude vie. Et si son frère n’en gardait pas une partie pour lui à chaque fois, ils gagneraient encore plus !

Mais bon, c’était le prix à payer. La transaction terminée, Jarod fait le tour du hangar. Il prend soin de parler à tout le monde, de leur demander s’ils ont besoin de quoi que ce soit. Les frères étaient connus pour ça ici : ils partent régulièrement en expédition, plus ou moins loin et plus ou moins longtemps, mais finissent toujours par revenir avec des choses intéressantes.

Il finit par rejoindre son frère, parle brièvement avec lui, lui fait une énième morale sur son addiction à l’alcool. Et puis ils s’remettent en route, à la recherche de ressources intéressantes. Ils reviendront dans quelques jours, ou dans quelques semaines, ça dépend de comment se passe le voyage. Mais ils reviendront. Parce qu’ici, il y a quelque chose à construire.