Tiens, goûte-moi ça, souffla Olivia en glissant vers Haley un verre.

Elle ouvrit le bouchon de la bouteille, et versa l’ambre à l’intérieur du récipient, dans un bruit caractéristique qu’elle aimait entendre. L’odeur prononcé du whisky lui arracha un petit sourire amusé, notamment parce qu’elle avait l’impression d’avoir contribué à tout ça. En cassant les pieds du fermier, tout particulièrement !

Ça faisait des semaines qu’ils étaient là-dessus tous les deux, à essayer de décanter de l’alcool sans en faire une purge pour l’estomac. Le succès était plus ou moins proche. La bouteille n’était pas encore fameuse, mais Olivia sentait que ça la gardait occupée et surtout, qu’elle arrivait à maintenir un équilibre dans sa vie. Au moins, tout le monde n’était pas focalisé sur la disparition du canadien, survenue quelques semaines avant.
Un pilier du groupe depuis des années.

Et la petite sœur de Cameron semblait en partie touché par ce qu’il s’était passé, sans avoir été ni témoin ni actrice de l’événement.

Encore plus jeune qu’elle au sein du campement, la maçonne en était sans doute au même point qu’elle pour s’y faire une place. Son assistance pour la construction de la dernière maison avait bien aidé, ça allait sans dire, mais quand on arrivait quelque part et qu’on avait tout à prouver, il était difficile de savoir quand on obtenait enfin la certitude que c’était sa famille.

Malgré l’affection particulière qu’elle éprouvait pour certain, Olivia sentait que, pour elle-même, et donc pour d’autres aussi il allait sans dire, c’était parfois plus laborieux, en particulier de se défaire de l’habitude de l’extérieur et de tout ce que ça impliquait. La solitude collait à la peau, étendre son cercle relevait le plus souvent de l’exploit et de la folie, surtout vu comment on en souffrait.

C’est Liam qui l’a fait. Expliqua-t-elle à la jeune femme avec un sourire : Un peu fort en bouche et je ne pourrais pas cuisiner avec, mais pour une première tentative, c’est pas si mal.

Oh, elle sentait que certains allaient vouloir en profiter. Aussi s’était-elle jurée de planquer ça aux yeux de Finan notamment, qui ne pouvait pas se permettre de lui tomber la réserver ou de tomber tout simplement dedans.

Je pense qu’on a un avenir dans la fabrication d’alcool… Fit-elle avec une pointe de fierté dans la voix.

On devrait appeler ce whisky, la mauvaise gueule de bois ! Suggéra-t-elle en cherchant dans le regard d’Haley son approbation. Elle était même prête à faire une étiquette de circonstance, bien écrite à la main. Un soupir lui échappa alors qu’elle goûtait une dernière fois la création de Liam, qui lui avait fait promettre de lui en garder quand même une lampée ou deux. On a regardé, et il faut beaucoup de choses pour faire de la bière, on a déjà du mal avec notre alambic… Si on arrive à trouver mieux, ça sera déjà un début.

C’était à mettre dans la liste des choses à trouver, mais il y avait déjà tellement… Et plus urgent surtout ! Au moins, Haley avait raison sur un point : le fait que chacun se prête au jeu pour utiliser son savoir dans cette vie, c’était plaisant et amusant :

Si tu savais ! Au No Man’s Land, les gens se l’arracheraient. Sourit-elle. Quand à la mention que fit Haley d’un éventuel intrus pour venir taper dans les stocks, elles avaient visiblement songé immédiatement à la même personne : Ti mostrerò il nascondiglio*…

Elle se posa en face de la jeune femme, travaillant son propre verre avec un soupir. Olivia ne tenait pas très bien l’alcool de son côté, aussi se jura-t-elle de ne pas excéder ce verre pour ce soir. Et puis de toute façon, leur stock n’était pas exactement digne de la caverne d’Ali Baba, donc autant dire que mieux valait avoir la main légère.

Tout ce qui est flambée, les fruits de mer surtout. On peut préparer un bon Irish Coffee sans doute avec un bon whisky… Elle se stoppa et soupira : A chaque fois que je parle d’Irlande, j’ai peur que ça invoque Finan dans le coin. Et comme il a la fâcheuse tendance à voler dans la bouffe… Elle préférait éviter que ça soit dans sa cuisine qu’il apparaisse : Des crêpes aussi ! Fit-elle en raccrochant la première question : C’est une bonne idée pour les gamins… Enfin je veux dire… Sans le whisky.

Un rire lui échappa. Elle n’était déjà pas une maman très digne, ça allait de soi, si en plus elle se mettait à alcooliser les enfants des autres, on allait la mettre à la porte.

J’ai beaucoup de projet avec cette cuisine, et avec des dépendances qui pourraient être bien, je me demandais si… Tu pourrais me donner ton avis dessus, sur ces idées, avança-t-elle avant, avec un petit air mutin dont elle avait le secret.

*Je te montrerais la cachette

Il nous faut un autre seau de fermentation, éventuellement un densimètre, un refroidisseur, des filtres et un moulin à malt. Lista-t-elle avant de pousser un soupir.

Elle releva le regard vers Haley, l’air de lui dire qu’elle était désolée de lui en dire autant. Parce qu’elle n’avait pas toujours en tête ce que pouvait être les outils qu’elle demandait, parce qu’elle répétait surtout les mots de Liam. En cuisine, on n’utilisait pas vraiment tout ça. L’utilité était dérisoire comparée à d’autres instruments plus fréquents :

Même moi je ne sais pas à quoi ça ressemble mais si on demande gentiment à Liam ou même à Finan, peut-être qu’on trouvera… Suggéra-t-elle alors en pinçant les lèvres, avant de réfléchir deux secondes à ce qu’elle disait : Hm, ça impliquerait mettre le second dans la confidence du projet, mauvaise idée.

Sourire complice plus tard, elle ramena une de ses mèches de cheveux derrière son oreille avant d’éclater de rire. Olivia aimait l’amitié qu’il y avait entre Haley et elle. Peut-être parce qu’elle était seulement de circonstances – bien qu’elle en doutait, il y avait une franchise appréciable chez la jeune femme qu’elle aurait sans doute aimé même sans l’apocalypse – mais surtout parce qu’elle était vraie.

Je vois qu’on a les mêmes bonnes idées tout compte fait ! Fit-elle en riant toujours.

Mère indigne, oui. Mais Haley était la seule à l’entendre, et c’était aussi bien comme ça.
De toute façon, Olivia n’avait jamais vraiment cuisiné pour des enfants, elle le faisait que depuis l’apocalypse, que depuis qu’on le lui demandait. Est-ce qu’en tant que cheffe, elle aurait pu pour sa propre famille ? Très honnêtement, elle savait qu’elle aurait laissé cette part du travail à Calvin, beaucoup plus tournée vers ces intérêts là qu’elle. Et puis, finalement, les choses ne s’étaient pas faites, alors… Qu’importait. Y penser n’y changerait rien du tout. Car elle n’aurait plus jamais d’enfant, et que vraisemblablement et raisonnablement, plus de compagnon avec qui en faire.

Bon, alors… Fit-elle en attrapant déjà son petit carnet qu’elle fourrait sans cesse dans la poche arrière de son jean. Le crayon de bois en main, elle l’ouvrit à la bonne page : Un vrai four à pain. Et en soi, un vrai bon four à l’ancienne, je ne serais pas contre. Une cave de séchage à charcuterie.

Ses yeux se relevèrent vers la jeune femme. Construire une cave serait difficile, mais une pièce aérée sans humidité, un cabanon même, ça pourrait s’envisager non ?

Et pourquoi pas… Une vraie ruche ? Et un puits. Tu crois que j’en demande beaucoup ? S’enquit-elle finalement avec un sourire en coin.

Olivia avait l’impression de faire une sacrée liste de courses à sa voisine. Et dans le regard d’Haley, il y avait pas mal d’incompréhension sur les éléments qu’elle nommait. Un rire amusé lui échappa – au moins, cette discussion lui permettait de se changer les idées, de ne pas penser à tout ce qui pouvait faire mal depuis quelques semaines. Oh, Liv était de toute façon assez douée lorsqu’il s’agissait de se fustiger toute seule quand l’occasion se présentait, elle avait plus que conscience que ça viendrait dès qu’Haley la laisserait dans son coin.

Sûrement oui, répondit-elle avec enthousiasme : Il y a même sûrement des kits déjà tout fait pour brasser sa bière. Ça sera peut-être pas du matériel de professionnel, mais ça serait un début.

Ça ferait sûrement l’affaire le temps de prendre le coup de main. Avec Liam pour l’aider, ils seraient sans doute capables de vendre tout ça au hangar. Et ce fut cette remarque qui lui fit prendre conscience de ce qu’elle avait oublié de faire : répondre à sa vis-à-vis !

Oh, le No Man’s Land, désolée… C’est là où Caroline et… Et Jeff m’ont trouvé. Où Romy et Dany étaient aussi ! C’est un énorme hangar qui rassemble des survivants indépendants… Expliqua-t-elle alors subitement. Ici, il n’y a pas encore cette volonté d’aller voir là-bas ce qu’il s’y trame, mais j’ai bon espoir que ça arrive un jour.

L’évocation de Jeff lui semblait toujours malheureuse. On pouvait encore s’attendre à le voir sortir de nulle part, pour alpaguer le premier à sa portée avec un grand sourire et une boutade dont il avait le secret. Ça n’arriverait plus malheureusement, et c’était toujours difficile d’en faire la mention. Lorsque les choses changeaient aussi brutalement, le déni courrait encore un moment avant d’être acceptable.

Il est tellement vieux… Soupira Olivia à propos du four : Je m’en sors encore avec, mais clairement, ce n’est pas encore ça. Après, il y aurait peut-être matière à le rafraichir, je ne sais pas ce qui vaudrait le plus le coup. ça ne valait pas encore le coup de râler après lui. L’électricité n’a pas l’air au goût du jour encore… Et comme il en faut vraiment beaucoup pour faire tourner un vrai four de cuisinier par exemple, je crains qu’on n’en voit pas le bout avant plusieurs années malgré nos efforts.

Ça en faisait, des projets ! Olivia se gratta la tête, à la fois enthousiaste et mitigée :

Et ça serait assez stable pour ça ? S’enquit-elle dans la foulée, rassurée en tout cas qu’Haley envisage tout ça avec optimisme : A qui je dois demander l’autorisation avant de creuser, tu crois ? Elle rit doucement : Ce vieux ronchon de Deaglan ?