Sa mère avait un jour raconté à Lily que l’origine de son prénom revenait à sa préférence très marquée pour la fleur homonyme, qu’elle espérait que de porter un nom aussi fleuri lui lèguerait les attributs d’un bouquet de lilium à savoir la grâce, la délicatesse, la beauté ect, ect, et encore ect.

C’t’arnaque, putain, qu’elle avait dû se dire une paire de fois, madame Harlow. Cette grosse et puante arnaque. Parce que à la rigueur et si il fallait vraiment citer quelque chose, le seul truc que Lily avait hérité d’un bouquet de fleur c’est l’aspect un peu crasseux de l’eau du vase quand il est vachement temps de la remplacer par de la fraîche. Oui, bref, Lily était une grosse arnaque et le vivait plutôt bien, voir même le revendiquait à force de beuglements et de poings sur la table chaque fois que cela se montrait nécessaire – même quand ça ne l’était pas, à vrai dire – et un certains nombres de ces démonstrations de non conformité finissaient limite par ressembler à des manifs, panneaux, slogans et sifflets à l’appui.

Lily ne faisait pas grand chose de bien, estimait gentiment ses parents. La jeune femme, au contraire, jugeait réussir sa vie et disait mener sa barque d’une main de maître. Quand on demandait à ses géniteurs pourquoi et ou diable avait elle bien pu dégoter ses talents, ils secouaient doucement la tête et haussaient des épaules interrogatrices : ils n’en savaient rien du tout et avait pourtant tout fait pour qu’elle ne tourne pas en l’espèce de manifestante sauvage et vindicatrice, espèce de Simone de Beauvoir défoncée à l’acide que Lily était devenue à la fin de son adolescence.  Cette dernière rétorquait alors tout simplement que ses parents étaient coincés profondément du coup et qu’elle allait sauver le monde tandis qu’ils crevaient comme des cons sur leur canapé.

Lil’, comme l’appelait ses amis, était en effet une activiste qui oeuvrait au sein d’un nombre impressionnant d’organismes, dont la principale était Green Peace. Ses principaux talents à savoir la mauvaise foi, une absence totale de pudeur et de gêne et un amour tout particulier pour les hurlements indignés servaient plutôt bien les cause pour lesquelles elle avait choisit de s’investir. Têtue comme pas deux, lorsque Lily a une idée dans la tête elle ne l’a sûrement pas ailleurs et si cela peut s’avérer d’une grande aide au milieu d’un sitting peut aussi faire office de couteau à double tranchant devant un flic qui essaie de vous embarquer et qui vous menace de mots tendres tels que refus de collaborer et outrage à agent. Soit. Dans ce genre de situation il était compliqué de différencier le courage de la connerie mais ce n’était pas un problème dans le sens ou Lily avait une certaine prédisposition aux deux.

Dans le kit de la parfaite activiste de Lily se trouvait donc courage et connerie, oui, mais aussi une très grande dose de conscience morale bien sûr – parfois trop et parfaitement déplacée mais ça, c’était une autre histoire – beaucoup de ténacité, d’un tempérament colérique et revanchard et sans oublier un aveuglement qui pouvait dépasser l’entendement. Pas de gris clair ou de variations dans la tête de cette douce fleur des jardins, que du noir ou du blanc. Bien, ou mal. Les salops n’étaient que des salops et les gentils, que gentils. Si vous faites partie des rares personnes qu’elle arrive à supporter, grand bien vous fasse. Pour les autres… Sinon, il lui arrivait aussi d’être sympa. Devant un petit peu de beu  - ça n’avait jamais fait de mal à personne, n’est-ce pas? – autours d’un feu, une coupe de ce vin délicieux des vignobles bios du sud de la Californie, Lily se détendait et devenait limite cool.

Limite, hein.


→ qualities.
Courageuse
Tenace
Engagée
Maligne
Franche
Débrouillarde → defects.
Chiante
Bornée
Suceptible
Gueularde
Rancunière
Vulgaire

Lily est clairement impressionnante et imposante. Une bonhomme qui fait peur juste en montrant les dents, armée jusqu’aux dents et maniant l’AK-K47 telle une cowboy du Texas. Enfin, c’est l’impression qu’elle se donne, à tout du moins, et qu’elle essaie de donner aux autres... Sans grande conviction, il faut être réaliste malheureusement. Du haut de son mètre et des patates, ses quelques paires des kilos et sa touffe de cheveux qui s’érige en champignon atomique sur sa tête, Lily ne fait peur à personne, sinon éventuellement à quelques rongeurs qui pourraient confondre sa crinière avec un hibou perché sur son crâne. Des tâches de rousseurs trainent négligemment sur ses joues laiteuses et ses grands yeux marron semblent n’avoir d’autres expressions qu’un perpétuel dégoût.

Niveau style, rien à signaler niveau différences avant et après l’apocalypse : mêmes fringues dans un état de propreté douteux, bariolés de slogans à la gloire des causes qu’elle défendait, des jeans troués, décolorés et des chaussettes dépareillées complètent son look de clocharde post apocalyptique.

Sur ses épaules frêles traine un sac à dos en toile kaki qui, tout comme ses compères les vêtements, est pleins de trous et de pins arc-en-ciel à la gloire des causes LGBT et de PETA et ce dernier contient tout son bordel. Couteau suisse, quelques provisions, vêtements de rechange, lampe de poche, rien de bien extraordinaire. La seule arme qu’elle s’autorise à porter, en dehors d’un petit couteau qui traine dans une des pochettes de son sac est une grande manchette qui pend à sa hanche, dans une ceinture en cuir vegan. L’apocalypse, estime t’elle, n’est pas une raison pour niquer tous ses principes.

Dans ce sac, quand il est trop paresseux pour marcher, est perché Garfunkel. Grosse bestiole d’une dizaine de kilos, Garfunkel est un bouledogue anglais au dynamisme aussi marqué que celui d’une huitre. Son seul intérêt pratique réside dans le simple fait de sa présence et Lily lui parle comme s’il s’agissait d’un membre de sa famille. Il ne lui répond en règle générale que par quelques aboiements très peu sentis, mange trop, rote et ronfle comme un vieil oncle le soir d’un Noël trop arrosé mais elle l’adore et serait prête à tout pour lui.

Maison chiante, banlieue chiante, vie de merde.

C’est la petite rengaine qui s’échappe, en même temps que des volutes de buée, de la bouche de Lily. Jean classique, t-shirt à la gloire d’un groupe de rock à la mode, écouteurs vissés sur les oreilles, Lily s’enfonce dans l’allée de sa maison de banlieue, banlieue ni cossue ni craignos, ses pas grinçant dans la neige de décembre. Les lumières de Noël de ses parents clignotent piteusement, qu’est-ce qu’elle peut détester Noël, putain. C’est une fête dont tous les principes lui échappent et qui, elle en est convaincue, finira par mener l’humanité à sa perte. Rien de moins, et si vous lui demandez si elle n’exagèrerait pas un peu, par hasard, ses grands yeux marrons vous aurait foudroyé et son doigt, le grand au milieu, se serait gentiment levé dans un joli fuck.  

Son grand-père était mort il y a quelques mois. Cancer des poumons ravageur. Lors de l’annonce, déjà, il ne lui restait plus que quelques semaines, voir mois avec un peu de chance, à vivre. Il était mineur dans les mines d’amiante au Canada pendant les années 70, avait immigré aux Etats-Unis pour sa femme, une américaine rencontrée au Yukon dans un bar du style Crazy horse. Morte, elle aussi. Pas pour les mêmes raisons mais elle était partie quand même, peu de temps après son mari. Et Lily ne s’en était pas remise, avait trouvé terriblement injuste que son grand-père, cet homme formidable, soit mort à cause d’un gouvernement qui n’avait rien fait déjà de son vivant pour le protéger et qui avait tout nié, ou presque, quand il était mort des suites d’un lent empoisonnement à l’amiante. Tout était parti de là et avait fait changer sa perspective sur tout.

Tous les scandales sanitaires, environnementaux, camouflés ou non par ces gouvernements en qui elle n’avait plus aucune confiance, plus une crise d’adolescence particulièrement redoutable avait transformé Lily en une créature terrifiante que ses parents ne comprenait plus.

Lilinator, ou tofuzilla comme son frère ainé l’appelait.

Espèce de créature végétarienne revancharde et gueularde, Lilinator allait le jour en cours et passait ses soirées avec des amis tout aussi terribles qu’elle. Jeunes et cons, ils pensaient refaire le monde avec leurs panneaux et leurs tags sur les murs des grandes multinationales pharmaceutiques. Pour la plupart d’entre eux, cette ère ingrate avait prit fin lorsqu’ils avaient obtenus leur diplôme et était entré à l’université. Certains étaient allés en fac de droit, d’autres d’histoire, certains de médecine, bref ils avaient tous réussit. Tous ? Nooon. Il restait une indestructible activiste qui avait choisit de ne pas grandir pour continuer à lutter contre ce système qu’elle détestait. Rien dans son enfance tranquille et classique entourée de parents aimant ne laissait présager que la jeune femme allait devenir ce qu’elle était devenue.

Les cours de piano ? Effacés. Les après-midi passés à servir le thé à des peluches duveteuses et principalement roses ? Envolés. Les coloriages, les dinettes, puis les clubs de débat, de theâtre ? Pfff. Imposés par le gouvernement pour conditionner ses petits pions au métro boulot dodo. Lily était passé de jeune femme tranquille, presque effacée à bénévole engagée chez Greenpeace, fièrement logée dans la cave aménagé de ses parents. Elle vivait de troc, de partage et particulièrement, principalement, grâce à l’argent que ses parents lui donnait encore malgré sa vingtaine bel et bien sonnée. Son high school diploma prenait gentiment la poussière dans son coin, EVIDENT signe du patriarcat qui pourrissait la société. De coups d’éclat en coup d’état, Lily accumulait les petites infractions et les encouragements de ses parents à faire vraiment quelque chose de sa vie, encouragement qu’elle balayait d’un coup de main crasseuse.

Oui crasseuse, parce que c’était dans sa période sans douche pour protester contre le manque d’accès à l’eau potable des femmes malawiennes.
Autant dire que ses parents avaient lourdement insisté à l’époque pour investir dans une porte afin de bien privatiser la grotte de Lilinator qui leur faisait autrefois office de sous-sol et de salle de sport.

L’apogée de sa ‘’carrière’’ fut lorsqu’elle s’infiltra un soir pluvieux sur le territoire gouvernemental, et donc très privé, d’une centrale nucléaire gouvernementale. Trois cons de 25 ans qui, encore une fois, croyaient pouvoir changer le vilain et grand monde avec leurs revendications et leurs tags. Sauf que cette fois-ci, ils avaient décidés de faire plus fort, histoire de bien marquer le coup. La jeune femme s’était renseignée, avait tourné et retourné la problématique, les tenants et aboutissants de la globalité de la merde que les lobbyistes avaient engendrés à force de mauvaises décisions et d’opportunisme et… Elle avait donc prit un mannequin tout ce qu’il y a de plus réaliste, avait gentiment fait imprimé la tête d’un des dirigeants de l’usine, l’avait collé sur sa jolie création et avait bien l’intention de le trainer jusque sur le terrain de la dire usine pour, voilà.

Le pendre. Court et haut.
Mais Lily était contre peine de mort hein, oh !
Etre conséquente n’était tout simplement pas sur son CV, fallait pas chercher trop loin.

Coup de cisaille dans le barbelé, course ralenti par le mannequin, souffle court. La corde se prend dans des broussailles, le nœud coulant se ressert sur une broussaille. La merde. Lily tire, beugle, intérieurement bien sûr et finit grâce à l’aide de ses deux comparses à pendre son œuvre d’art. Ils prennent des photos, ils sont heureux, fiers et encerclés. Encerclés ? Encerclés. Par les agents de sécurité qui braquent leur lampe de poche et leur sourire complaisant sur eux. La brunette va prendre cher, et elle le sait. Ses petites infractions, bout  à bout, plus ça… Ces enfoirés ne seraient que trop contents d’avoir sa peau.

Elle prit 3 mois. Ce furent 3 mois… intéressants.

Elle rencontra des femmes intéressantes, qui partageaient des idées intéressantes. Il y avait eu cette femme, Joan, qui beuglait dans son sommeil et pourchassait les femmes asiatiques dans les couloirs en les traitant de sales rouges et Miranda qui considérait que de collectionner les mouchoirs de ses codétenus était une activité particulièrement intéressante et glorifiantes. Miranda qui se trouvait du fait même à être sa codétenue et qui avait une fâcheuse tendance à étaler sa collection dans toute la cellule, les jours d’ennuis. Oui, 3 mois très intéressants.

Lily en ressortie toujours, sinon plus convaincue, que le système en place voulait tout sauf le bien de la population qui le faisait tourner. En prison, elle avait côtoyé des femmes plus radicalisées qu’elle et si les magistrats avaient espérés que son court séjour en prison l’aiderait à relativiser ses convictions, ils s’étaient trompés. Lily était devenue plus convaincue, plus concernée par le sort de sa planète et était persuadée que tôt ou tard, tout finirait par se casser la gueule.

…

QUUII avait raison, HEIN ?

Journal de bord de septembre.
Minneapolis, Minnesota.
Manifestation contre les OGM.

Fous. Ce sont tous de putains de malades mentaux qui font peur. Ca doit être une mutation génétique, on dirait qu’ils veulent nous manger tellement ils sont agressifs.  Saleté d’OGM, c’est très clairement leur faute. C’est pour ça qu’on est ici, il faut absolument que ça cesse. Ne reste plus qu’à espérer qu’on réussira à changer les choses, il faut absolument que ces bâtards comprennent qu’on va tous finir avec un troisième bras et 7 doigts de pied à force de bouffer leur maïs mutant.

J’espère bien que ça servira à quelque chose en tout cas parce que ces nazes m’ont obligé à prendre l’avion pour Minneapolis. Et je déteste l’avion. Et les mecs dans l’avion. Tous. Heureusement, on a pas crashé.
Vu la tête qu’avait mon voisin de siège, j’aurais eu le temps de mourir 10 fois avant qu’il comprenne qu’il fallait pas rester dans l’avion si il cramait et il aurait bien été foutu d’utiliser le masque à oxygène pour s’en faire un chapeau.

Je déteste l’avion.

Lily avait prit l’avion en ce chaud début de septembre, donc, pour aller manifester dans le Minnesota, plus grand producteur de maïs du pays et donc, par logique, grand producteur de pesticides et de produits OGM. Tout ce qu’elle adorait. Devant un des bureaux principaux des distributeurs des dits produits transgéniques, la jeune femme, accompagnée d’une petite centaine de personnes, fait le pied de grue et ensembles font ce qu’ils font le mieux : revendiquer, râler, beugler. Et à contrario de l’avion, Lily profite vraiment de ces moments ; c’est dans ces instants là, seulement ceux-là, qu’elle se sent vraiment à sa place. Air renfrogné et vindicatif, panneaux à  la main, slogans accrocheurs, Lily avait vraiment l’impression de faire changer les choses et cette impression lui suffisait largement.

Le soir, ils étaient tous rentrés gentiment au terrain de camping improvisé par les manifestants à l’écart de la ville, avaient sortis quelques douceurs, du genre Quality street pour adultes, guitare, saucisses au tofu qu’ils avaient fait griller au coin du feu et avaient chanté jusqu’à ce que le soleil reprenne ses droits sur la lune et qu’ils n’aillent faire une petite sieste avant de reprendre les manifestations.

C’était le calme avant la tempête.
Au sens propre, puisqu’il s’était mit à pleuvoir averse sur Minneapolis, un gros orage d’été bien lourd.
Et puis au littéral, aussi.

Journal de bord de septembre.
Minneapolis, Minnesota.
15 septembre 2015

On était censés être rentrés depuis 2 jours déjà. C’est ce que la grande patronne nous avait dit, en tout cas. Elle raconte que de la merde de toute façon, jamais là quand il s’agit de vraiment foutre quelque chose de son cul. ‘’Agitation problématique’’ qu’elle avait dit.
Bullshit. Il y a des barrages policiers de plus en plus fréquents, plus de flics, plus de tout. Il y a une couille, il y a une couille parce qu’on a quand même voulu se rendre au centre-ville pour manifester hier et qu’ils ont été plus rapides et plus violents que d’habitude à nous dégager.

Il y a une couille.

Et il y avait bien une couille. Les journaux avaient commencé à relayer les informations et au sein du petit camp de hippies des temps modernes, les ragots s’étaient colportés à une vitesse impressionnante et ce, même si ils étaient passés d’une cinquantaine de personnes à une petite dizaine en l’espace de quelques jours. Lily avait peur et elle avait surtout peur de le dire. Valait mieux faire comme d’habitude et mettre tout sur la faute de ce gouvernement qui semblait encore avoir merdé. Pourtant, la mince toile de leur tente semblait être un rempart désuet pour les problèmes qui n’allaient vraisemblablement pas tarder à s’abattre sur leur tête.

IL Y AVAIT UNE COUILLE LA, PUTAIN.

Il n’avait que des rumeurs à se mettre sous la dent, des rumeurs de virus et de morts qui se relevaient. Dans sa tête deux voix se disputaient la raison. La plus sage – et qui ressemblait à celle de sa mère -  disait que le gouvernement finirait bien par régler la situation et l’autre disait qu’ils étaient tous en train de récolter les fruits de la shitstorm qu’ils avaient semés au cours des dernières décennies.

Les jours avaient continué de filer et à l’écart de la ville, dans leur petit camp improvisé, ils avaient vu la lente exode des gens  qui avaient choisi de quitter la ville. Et plus  le temps passait dans leur petit camp improvisé, plus ils se disaient qu’ils devraient eux aussi quitter la proche banlieue et s’enfoncer dans ces champs qu’ils avaient cherché à protéger des OGM au cours des dernières semaines. Lily avait eu sa mère au téléphone, un bref moment avant que ça ne coupe, puis reprenne étrangement, juste le temps que cette dernière lui dise bien de rester sur place et de ne pas chercher les regroupements. Il n’était plus que quatre, eux qui avaient été cinquante, quatre pauvres jeunes adultes qui n’avaient jamais su s’occuper d’eux tant ils étaient occupés à essayer de sauver les autres de dangers invisibles. Ils ne savaient pas se battre et leurs armes, c’était les mots. Ca avait toujours suffit jusque là…

Sur le conseil avisé d’un homme qui avait aperçu la fumée de leur feu de camp, ils suivirent la longue caravane de gens qui allaient rejoindre un camp de réfugiés à une cinquantaine de kilomètres de leur position. Lily ne le savait pas encore, mais c’était là le début d’un long pèlerinage vers une paix incertaine. Dans le coffre du pick up de leur sauveur, la jeune femme regardait des paysages étranges et sa perpétuelle indignation avait fait place à une peur qu’elle préférait encore taire. Max, Nicholas et Ginny était ses compagnons d’infortune, seuls rescapés du groupe de manifestants contre les OGM. Ca ne faisait qu’une paire de semaine et pourtant Lily avait l’impression que ça en faisait douze.

Leur paquetage sur le dos, ils remirent leur sécurité entre les mains de ces militaires qu’ils avaient pourtant passés des heures à critiquer.


Journal de bord du 31 octobre.
Camp de réfugiés de Minneapolis.

ET ON AVAIT BIEN RAISON DE LES CRITIQUER, PUTAIN.

Tout allait bien. La vie suivait son nouveau cours chelou, avec les morts qui s’étaient relevés. Pas plus étonnant que ça, en soit, quand on sait la quantité de merdes radioactives et transgéniques que le gouvernement nous faisait avaler de son plein gré. Le camp est tombé, les morts ont prit le dessus sur les militaires. Chance parmi l’horreur, dans la panique nous avons pu récupérer un pick up de l’armée. Max est mort, bouffé par les macdo. Les macdos, oui. Parce qu’ils sont partout et qu’ils représentent les conséquences de l’impérialisme américain et des conséquences d’une alimentation exécrable sur l’organisme.

Je n’ai plus de nouvelle de maman et de papa.
J’espère qu’ils vont bien.
Ginny a de la famille dans le Montana. Avec un peu de chance, ils seront vivants.

Encore choqués de ce qui venait de leur arriver, le trio erra de route secondaire en route secondaire pour rejoindre le chalet de la famille de leur amie. Le mois qu’ils avaient passé au camp militaire leur avait permis d'apprendre deux ou trois choses sur les monstres qui avaient envahis les rues de tout le pays.

Viser la tête.
Grimper pour leur échapper.
Eviter les hordes.

Ils avaient finit par atteindre le Montana fin novembre, après avoir changé quelques fois de véhicule. Les derniers kilomètres, ils les avaient parcourus à la force de leurs jambes, à défaut d’avoir trouvé de l’essence pour alimenter leur dernière voiture. De toute façon, dans les montagnes, ils valaient mieux ne compter que sur leurs muscles. Les premiers morts avaient été laborieux à éliminer, et Lily ne pourrait jamais effacer le souvenir de sa première altercation en tête à tête avec un macdo. Nicholas et Ginny montaient la tente, elle avait été chargée d’aller récupérer un peu de bois pour allumer un feu. C’était début novembre, une petite neige tombait en flocons légers sur la route déserte qu’ils avaient emprunté. Couteau à la main, lampe frontale, Lily était partie à l’assaut du petit boisé qui bordait leur camp d’infortune. Un crissement de feuille, un grognement et son pouls s'était emballé. Dans un mouvement sec, qui ne le fut pas assez visiblement, elle se retourna et la chose en profita pour lui tomber dessus. La jeune femme le repoussa d’un coup de pied brutal et dans un long hurlement bestial, le poignarda à de multiples reprises sans véritablement savoir si c’était la tête ou le torse qu’elle visait.

Toujours était-il que la chose était morte et ressemblait à un vieux bout de viande avariée.
Elle avait préféré ne pas en parler.

Courant novembre, ils avaient finit par atteindre leur destination pour se rendre compte finalement qu’il n’y avait plus personne pour les atteindre. Plus personne de vivant, en tout cas. Au bout d’un nœud coulant se balançaient en gémissant les cadavres de l’oncle, la tante et les cousins de Ginny.

Journal de bord de son s’en bat les couilles.
Au pays de je vais te niquer ta race.

Ginny est morte. Je suppose qu’elle a dû vouloir poursuivre cette honorable tradition familiale de se pendre au bout d’une corde. Bonne année, sinon. Après le choc de les avoir tous découvert violet et gémissant, on avait finit par achever la famille de pendus et on les avait enterrés au fond du jardin. Mon amie ne s’en est visiblement jamais remise et à préféré aller les rejoindre. Tant mieux pour elle. Ce n’est pas que je manque de sensibilité – enfin si, un peu – mais le temps n’est plus à s’indigner des injustices. J’appellerai ça du pragmatisme, simplement. Pourtant, maintenant que Ginny est morte aussi, il y a un malaise, un truc.

J’ai plus envie de rester ici.

Lily avait laissé passé l’hivers, lovée dans les bras de Nicholas. Ils avaient vécus de la réserve de conserves de leurs hôtes, de la pêche que le petit étang adjacent au chalet leur avait fourni et des livres qu’ils leurs avaient permis de passer le temps. Quand le printemps était venu, la jeune femme avait décidé de partir. Nicholas préférait rester là, coupé du monde, de la civilisation. Peut-être n’avait-il pas tort puisque de toute la saison hivernale, ils avaient dû abattre en tout et pour tout une quinzaine de macchabés. Sur un dernier aurevoir, la brunette avait chargé le pick up de la famille de Ginny – qui avait certes connu de meilleur jour mais que Nicholas avait eu la gentillesse de lui laisser avec un jerrican d’essence qu’ils avaient trouvé au fond du garage et elle avait prit la route, direction Seattle.

Elle avait toujours voulu voir Seattle. Et quelque chose lui disait que c’était maintenant ou jamais, puisque dans cette vie plus rien ne vous était dû.  

Journal de bord du ras-le-cul d’écrire dans ce journal.
Plouf, fit le journal, dans les eaux d’un lac qu’elle croisa vers Spokane.

Il lui fallu plus de deux mois pour parcourir les milles kilomètres qui séparaient Helena, capitale du Montana, de Seattle. Sur la route, elle trouva un chien a l’air bien con qui lui plu tout de suite. Il s’appelait Garfunkel en l’honneur de la cassette qui jouait en boucle dans l’habitacle de la vieille Jeep qu’elle conduisait au moment de le trouver. Pas assez courageuse pour affronter la grande ville toute seule, Lily planta sa tente dans les contrées reculées-mais-pas-trop du National Olympic Park.

Toute seule.
En sachant pertinemment qu’elle ne pourrait pas le rester trop longtemps. Elle était activiste, pas GI Joe. Et Garfunkel ne lui était pas d’une grande aide face aux Macdo.

Si quelqu’un m’entend...
L’échos seul lui répondit.
Si quelqu'un m'entend

...

Bite
Bite

Elle ricana.