2020

Seattle. Ça faisait quand même une paye que j'étais pas revenu ici. Mais j'en suis pas mécontent. C'est sûr que ça a vachement changé depuis ces dernières années et que ça fait bizarre de voir ces bâtiments partiellement détruits dans lesquels la vie battait son plein avant, ou ces rues désertées de toutes les bagnoles et tous les piétons qui les arpentaient tout le temps avant. Sauf que dans le fond, tout ça j'en ai pas grand chose à foutre. Quand on est revenus ici avec le frangin, au moins ça nous a permis de retrouver nos sœurs. Et ça... Bon c'est sûr que ça me casse les couilles ce qu'elles font. Vendre leur cul, sérieusement ? J'ai envie d'en prendre une pour claquer l'autre. C'est abusé quand même. Mais Wyatt arrête pas de me dire de pas les emmerder, d'arrêter d'être un con, ce genre de trucs. Pff.

C'est un peu la raison qui m'a poussé à aller faire un tour tout seul plus loin dans la ville. Histoire de me changer les idées et de reprendre un petit peu mes marques ici. Et puis peut-être aussi me défouler un peu si jamais je trouve des cons qui ont envie de m'emmerder. Vivants ou morts, j'en ai pas grand chose à foutre. Tout ce que je veux c'est passer mes nerfs sur des trucs qui méritent d'en manger dans la tronche. C'est aussi simple que ça.

Hache sur l'épaule, je me balade dans les rues à l'affût du moindre bruit un peu trop suspect qui pourrait me donner des indices sur quelque chose à me mettre sous la dent. Jusqu'à ce que j'entende, à l'entrée du bâtiment à côté de moi, des bruits d'objets tombant au sol. Tiens tiens. Un sourire étire le coin de mes lèvres et je m'étire lentement avant de changer de trajectoire pour entrer là-dedans. La porte est ouverte, donc y'a de fortes chances que ce soit un cadavre ou deux qui ont décidé d'aller se perdre ici.

Je ne tarde d'ailleurs pas à distinguer une silhouette dans la pénombre, levant ma hache pour aller l'abattre sur la tête de ma cible. Enfin, c'est ce que je pensais. Parce qu'au dernier moment – quand je suis assez proche pour le voir – un visage parfaitement humain et pas du tout hostile se tourne vers moi. Plutôt avec un air effrayé finalement. Heureusement que j'ai des réflexes parce que j'arrive à arrêter mon mouvement à peine à quelques centimètres de la tête de la blonde. Oups. Désolé, je t'ai prise pour un mort. Qu'est-ce que tu fais là toute seule dans l'obscurité ? Bah oui c'est sa faute aussi là. Elle a de la chance que je sois vif, sinon elle serait morte pour rien. Et j'ai pas tant envie que ça d'avoir un truc de plus sur la conscience hein.

Émilie n’avait jamais été très rassurée de faire tous les voyages à Seattle dans ce No Man’s Land comme ils appelaient tous ça. Mais elle savait aussi qu’elle le faisait pour la bonne cause. Pour trouver de quoi troquer des denrées médicales qui se voulaient de plus en plus rares au fur et à mesure que le temps passait. Elle prodiguait des soins de premières nécessités contre des ressources qu’elle allait ensuite échanger contre des plus rares. Même si, finalement, à The Haven ils en avaient moins besoin qu’ailleurs. Mais c’était devenu un principe de base en fin de compte. Et puis, elle en profitait aussi pour essayer de ramener des petites bricoles pour les enfants du camp dont elle s’occupait.

Mais ce jour-là, elle avait surtout décidé de ne pas écouter les conseils avisés de ses amis qui lui avaient demandé de ne pas trop s’éloigner. Ce n’est pas comme si elle savait se défendre. Contre des revenants, oui, elle arrivait à faire quelque chose, mais contre des survivants, elle ne faisait pas le poids et elle avait malheureusement prouvé cette théorie plus d’une fois. Mais la curiosité avait pris le dessus cette après midi là quand en passant dans un quartier abandonné, elle avait cru trouver une cache aux trésors.

Elle avait cependant bien vite déchanté quand elle s’était rendu à l’intérieur de l’un des bâtiments et qu’elle n’avait trouvé que des canettes en aluminium vides. Et puis son éternel maladresse l’avait rapidement rejoint quand elle avait trébuché et failli s’ouvrir la tête, bêtement, contre le sol poussiéreux. Pourtant, ce n’était pas d’elle même dont elle aurait dû se méfier immédiatement, mais d’un jeune homme, munis d’une hache et qui clairement s'apprêtait à lui couper la tête. Elle ressemblait à un animal pris dans les phares d’une voiture en pleine nuit, en train de traverser la route. De gros yeux ronds et surtout un cris de surprise. Ah ! Ne me faites rien ! J’suis pas armée ! Et elle lève ses deux mains en signe de reddition.

Et puis il lui pose une question particulièrement bien trouvée. Qu’est-ce qu’elle foutait là, seule dans le noir. Effectivement. Je … Je crois que je me suis perdue. Avoue-t-elle finalement en baissant les bras doucement. Tu … Tu vas pas me faire de mal dis ? qu’elle demande. Comme si, il allait lui répondre si c’était le cas. Je suis pas une menace qu’elle ajoute, juste au cas ou.

C'est pas contre elle hein. Mais cette fille a clairement l'air d'être un lapin prêt à se faire rouler dessus par un semi-remorque quand elle lève les mains et s'écrie rapidement qu'elle n'est pas une menace. C'est quoi comme instinct de survie ça, de dire directement à la personne qui a failli te fendre la tronche avec une hache que t'as pas d'arme ? C'est complètement con non ? Si j'étais un bâtard, j'en profiterais pour lui faire du mal. Enfin, à moins que ce soit juste une ruse pour me planter un surin dans la cuisse dès que je baisse ma garde. Parce que ça, y'en a aussi qui le font. Et c'est vachement fourbe comme technique. Mais efficace, en un sens. Bref.

Je soupire un peu et viens poser ma hache sur mon épaule pendant qu'elle me répond tout en baissant lentement les mains. Perdue ? Hm, je sais pas. T'as quand même l'air vachement propre sur toi pour quelqu'un de perdu. Tu fais partie d'un groupe et ils t'ont abandonnée ? Ou bien tu leurs sers d'appât et dans cinq minutes je vais me faire enculer par une bande de types planqués je sais pas où? Je dis les choses comme je les pense. Et puis de toute manière avec ma chance, c'est sûrement la seconde option qui m'attend.

Levant rapidement les yeux au ciel, je repose ensuite mon regard sur la blonde face à moi. C'est quoi cette question, sérieusement ? Tu crois vraiment qu'un type qui compte te faire du mal va te le dire et se lancer dans un monologue comme un méchant de bande dessinée ? Je pose la question en toute franchise, parce que vraiment sur ce coup là ça m'échappe un peu sa logique. Ce serait débile. Enfin, ça existe vraiment les gros méchants qui lâchent un rire gras en mode « Frêle petite demoiselle, je suis le grand vilain et je vais te faire du mal, mouahahaha ! » ? Quoi que, je suis presque sûr que ça doit exister maintenant que j'y pense.

Je finis par lui tendre la main pour l'aider à se relever, regardant rapidement autour de nous pour tenter de voir si y'a pas du mouvement. Bah ouais, j'ai toujours des doutes sur une potentielle embuscade dans laquelle je viendrais de me jeter la tête la première comme un débile. Ce serait bien mon genre faut dire. Tu t'appelles comment ? Moi c'est Jim. T'as besoin d'aide pour retrouver ton chemin ? Même si c'est juste pour retourner au No Man's Land, je te demande pas de me dire où tu vis t'inquiète pas. J'en ai pas grand chose à foutre faut dire.

Émilie n’avait jamais vraiment fait preuve d’un grand discernement quand il s’agissait de se sortir de situation délicate, particulièrement dans celle dans laquelle elle se trouvait actuellement. Si devant du sang et des viscères, elle ne cillait pas, là, c’était tout à fait autre chose. Elle se retrouvait seule, sans arme devant un homme armée lui, d’une belle hache. Fort heureusement pour elle, encore une fois, elle était tombée sur quelqu’un qui ne semblait pas lui vouloir de mal, en apparence en tout cas.

Et finalement, il décide même de lui répondre. Il est surpris par ce qu’elle dit alors que ce n’est que la stricte vérité. Mais très vite, il est aussi méfiant et elle ne peut pas lui en vouloir, après tout, ils viennent simplement de se rencontrer. Une rencontre fortuite. Quoi ? qu’elle lui demande, pas sûr de comprendre. Non non ! Je me suis vraiment perdue ! Elle essaie de se justifier. Pas le choix dans des situations pareilles. Il fallait qu’il la croit si elle voulait s’en sortir vivante. Je veux dire, j’étais avec mes amis et … J’ai été attirée par le bâtiment, je pensais pouvoir trouver quelque chose d’intéressant, mais … Enfin, à part des morts et de la poussière, il ne reste pas grand chose. Je n’ai pas fait attention et ils ont dû partir sans moi. Je te promets qu’on est pas du genre à faire … Ce que tu penses qu’on aurait pu faire. Elle hausse les épaules. Après tout, elle n’a que sa parole pour le convaincre.

Elle est toujours au sol et ne sait pas trop si elle peut bouger sans qu’un malheur ne survienne et finit par plonger son regard dans celui du jeune homme. Hé, on sait jamais ! Ça c’est déjà vu. Et puis … Je ne suis pas armée tu te rappelles ? Faut bien que j’essaie de tenter des trucs si je ne veux pas que tu me fasses quelque chose que je n’aurais clairement pas envie que tu me fasses. Elle avait entendu et vécu toutes sortes d’histoires horribles, elle ne voulait pas que cela se reproduise.

Mais il lui tend la main pour l’aider à se relever et elle en profite, une fois debout pour se dépoussiérer un peu le pantalon. Encore mieux, il se présente et lui propose son aide. Et bien, elle est tombée sur son ange gardien ou bien ? Elle finit par être quelque peu rassurée et lui sourit. Enchantée Jim, j’suis Émilie. Et … Oui, je veux bien que tu m’aides. J’crois avoir aperçu quelques rôdeurs pas loin. J’viens d’un groupe qui … Pourras te remercier pour ton aide qu’elle précise. Elle ne lui donne pas trop d’informations non plus, pas qu’il ait dans l’idée de la prendre en otage ou un autre truc tordu comme ça contre des denrées.

Je sais pas à quel point cette fille a pas d'instinct de survie mais si elle dit vraiment la vérité bah... Elle se rend compte à quel point elle se met en danger ? N'importe qui de mal intentionné en profiterait pour la choper et lui faire tout ce qu'il a envie de lui faire. Sérieusement, elle a vraiment de la chance d'être tombé sur moi. Qui sait comment ça aurait pu finir autrement.

Bon, en un sens j'ai pas vraiment montré que ça m'intéressait pas, mais je l'ai pas non plus invitée à me raconter sa vie. Mais d'un autre côté, quand j'apprends que ses potes ont juste tracé sans se retourner quand elle s'est détachée de leur groupe... Attend, t'es sûre que ce sont tes potes ? Ils savaient que t'avais pas d'arme et ils t'ont laissée toute seule ? Ou pire encore, ils se sont même pas rendus compte que t'étais partie ? Sérieux, change d'amis meuf. Enfin, c'est mon avis hein, t'en fait ce que tu veux. Dans le fond je m'en fiche. C'est pas mes oignons.

Quoi qu'il en soit je lève les yeux au ciel à sa nouvelle réponse et me contente de venir me masser la nuque en soupirant un peu quand elle m'avoue qu'elle veut bien de mon aide. J'aurais espéré que ce soit pas le cas et qu'elle décline la proposition mais... Bah j'ai proposé donc je peux m'en prendre qu'à moi-même dans le fond. Bon, déjà ce serait bien qu'elle se lève du coup, si elle veut qu'on bouge. Ouais bah s'ils me remercient comme ils font gaffe aux gens de leur groupe, j'ai rien gagné moi. Enfin bref.

Je finis par lui tendre la main pour qu'elle se lève, lui faisant un signe de la tête pour qu'elle comprenne un peu mieux au cas où c'était pas clair. Aller viens, on se bouge. Les rôdeurs que t'as vu, ils étaient vers où ? J'imagine en plein sur le chemin qu'il faudra qu'on prenne hein? Avec ma chance, c'est sûr. Me taper des morts avec un boulet au pied. Évidemment que c'est ce qui va arriver. Et surtout tu t'éloignes pas. T'auras qu'à me servir d'yeux et je te servirai d'armes. Par contre, évite de me la faire à l'envers parce que ça me ferait vraiment chier.