Je ne vous dérange pas ? A l'entrée de cette boutique en reconstruction, qui souffre encore de sa nouveauté, Neela avise l'homme qui s'y trouve. L'endroit est organisé, elle ne peut pas dire le contraire : les tissus sont nombreux, et visiblement, l'atelier ne désemplit pas de besogne à bien y regarder. Il y a deux couturières présentes, qui relèvent le nez vers elle avant de repartir sur leurs tâches sans attendre. L'ambiance est studieuse, mais elle n'a pas l'impression qu'il y ait un fond d'exploitation. Son premier avis est, étrangement, positif, surtout quand on la connait.

C'est un homme qui lui fait face : grand, distingué, peut-être un peu guindé, elle ne se l'explique pas. C'est ça qui lui pose souci en temps normal : qu'un homme ait à son service des femmes. Elle l'a vécu, trop de fois, des patrons autoritaires, surtout ici. Pour cette fois, parce que les femmes semblent autonomes et concentrées, elle ne dit rien, ne se renseigne pas. Du moins, pas encore. Un temps passe, alors qu'elle esquisse un sourire poli, mais qui ne gagne pas le coin de ses yeux : Je me présente, je m'appelle Neela, fait-elle en tendant la main vers lui.

Fini pour elle les faux-semblants, elle se veut diplomate pour l'instant mais ferme pour autant, hors de question de retomber dans des ronds de jambes plus pénibles qu'autre chose qui ont eu tôt fait de la contrarier. Je viens vous voir au sujet de l'équipement dont nous aurons besoin dehors, pour les femmes, mentionne-t-elle. Sous son bras, elle a ramené une pochette de divers croquis, dessins, mesures aussi, une liste de ce dont elle a besoin, avec les autres, pour pouvoir regagner l'extérieur comme les hommes en ont le droit. C'est un gros chantier qui se prépare, mais elle aimerait que ça soit effectif le plus rapidement possible. Pour elle, et pour toutes ses soeurs. Pour que l'histoire de Jordane ne se répète pas encore une fois.