Depuis sa récente arrivée ici, Zahra se réhabituait doucement à côtoyer d'autres enfants. Après des années entourée uniquement d'adultes, elle se sent un peu en décalage et ne sait pas toujours comment agir ou réagir, même si elle est ravie de pouvoir passer du temps avec des jeunes de son âge, notamment Malik, Evan, Julia, Elijah et sa soeur, Rosie.
Si cette dernière est plus jeune que Zay, elles ont en commun des cordes vocales silencieuses et se sont immédiatement bien entendues. Même si plusieurs personnes ici connaissaient le langage des signes, pour le plus grand bonheur de la sourde-muette, le fait de côtoyer quelqu'un d'autre qui ne parlait réellement pas est différent à ses yeux. Parce que les autres l'utilisaient pour un côté pratique, alors que pour elles, c'était une évidence naturelle.

Alors, l'occasion de traîner avec Rosie était bien trop tentante pour ne pas en profiter, et les deux filles avaient décidé de passer la journée ensemble sitôt le petit-déjeuner avalé. Sans intention de quitter la sécurité du campement, aucune des deux filles n'a songé à prévenir qui que ce soit. L'objectif étant simplement de profiter des lieux, il leur semblait évident, à l'une comme à l'autre, qu'elles allaient croiser des adultes qui sauraient facilement où les trouver.
Et de fait, la journée est passée très vite, trop. Ca ne l'a pas empêchée d'être chargée et riche en émotions et fous rires silencieux, que ce soit quand la canadienne avait appris à sa benjamine à grimper aux arbres ou quand elles s'étaient amusées à jouer les espionnes en suivant l'un des adultes sans se faire remarquer, avant de passer au suivant.

Après avoir couru dans tous les sens pendant des heures et des heures, les deux filles sont arrivées dans la zone d'élevage et se sont extasiées sur les animaux. Peu habituée à en voir, Zay s'est montrée plus qu'enthousiaste devant le nombre, et à grands renforts de sourires, Rosie et elle n'ont eu aucun mal à convaincre les adultes présents de les laisser s'approcher davantage. Presque trois bonnes heures ont été nécessaire pour pouvoir papouiller chaque animal visible et de façon naturelle, les deux muettes ont aidé à nourrir et abreuver les créatures à poils, plumes ou fourrures avant de repartir.
Requinquées par ce moment plus calme, Rosie et Zahra se sont lancées dans une partie de cache-cache endiablée, avant de finalement s'écrouler dans le stock de foin, les flancs douloureux à force d'avoir ri et couru, le souffle court. Sans s'en rendre compte et vaincues par cette journée, les filles s'assoupissent sans s'en rendre compte, l'une à côté de l'autre et le sourire aux lèvres.
Sans savoir vraiment ce qui l'alerte, ni combien de temps s'est écoulé, Zay ouvre des yeux endormis sur une silhouette dressée devant elles. La posture et l'attitude qui se découpent dans la pénombre indique clairement un mauvais moment à venir et l'esprit encore embrumé, Zahra se redresse pour se placer devant Rosie, prête à la protéger, pendant que son cerveau lui envoie paresseusement l'info que si elle ne distingue qu'une silhouette, c'est parce que la nuit est tombée. Ah, elles ont dû manquer le dîner...

Le soleil se couche et j'ai toujours aucune trace de ma fille dans les environs. Si je suis pas inquiet outre mesure parce que je l'imagine mal s'éloigner du campement, j'admets sentir une pointe d'agacement à la voir trainer aussi longtemps le soir quand elle connait les règles. Son frère, déjà revenu au tipi, a le nez plongé dans son bouquin. Il a délaissé Malik pour me rejoindre rapidement, l'appel du ventre sans doute alors que le repas va pas forcément tarder.

Je m'extirpe du tipi sans attendre, scrutant dehors pour essayer de la trouver. Mais rien. Rosie ? Un silence me répond, ce qui fait que croître mon agacement certain là-dessus. C'est une blague... Où est ta sœur ? Que je demande en revenant à l'intérieur, alors qu'Elijah lève les yeux de son livre pour me scruter finalement. Elle jouait avec Zay, m'assure-t-il. Lui hausse les épaules, c'est visiblement pas très important, il peut rien arriver de grave à sa sœur.

On en sait rien, de toute évidence. Si j'imagine mal un rôdeur franchir les barricades, elle pourrait très bien s'être blessé à la cheville et pas pouvoir nous rejoindre. J'attrape ma veste et l'enfile, avant de glisser mon couteau à ma botte. Elijah me demande si c'est bien nécessaire et je prends pas forcément la peine de lui répondre là-dessus. C'est l'agacement qui parle à ma place alors que je quitte le tipi pour aller vers là où m'a indiqué mon fils, la dernière fois qu'il l'a vu en tout cas. Bordel... que je grogne pour moi.

D'ici quelques jours, je vais revenir dans les environs de Tacoma, je sais même pas pour combien de temps. En attendant, c'est apparemment mon rôle de gérer une gamine qui se sent soudainement assez en sécurité et libre pour même plus obéir à son père. Hallucinant. Du bout de ma lampe torche, je parviens à trouver des traces de ses jeux, et ce n'est qu'après que je la trouve fermement endormi avec Zay, effectivement. Une main passe sur mon visage. Zay se réveille maladroitement, et sursaute en me voyant.

Si elle s'interpose vite devant Rosie qui émerge également, mon regard augure rien de bon pour elle. Je baisse la lampe pour éclairer seulement le sol et pas les aveugler, mais honnêtement, je fulmine de leur comportement : Vous êtes sérieuses toutes les deux, je vous ai cherché pendant une heure ! Que je rétorque froidement, en passant de l'une à l'autre. Rosie me fait les gros yeux et une petite moue désolée. Qu'est-ce que vous faites ici ?! Surtout pour dormir...

Le réveil est soudain et brutal et le faisceau de la lampe-torche, s'il est vite rabaissé vers le sol, éblouit Zahra qui se frotte les yeux. puis les cheveux, pour en enlever quelques brindilles accrochées dans ses boucles. Avec le changement de luminosité et le visage de l'adulte en contre-jour, la muette ne peut compter que sur son attitude, visiblement mécontente, et la réaction de Rosie, qui émerge aussitôt après elle.
Toujours avec cette incertitude au coeur de se faire éjecter du groupe au moindre prétexte, Zay n'hésite pourtant pas une seconde avant de défendre sa camarade.
C'est ma faute, Rosie m'accompagnait, c'est tout.

La canadienne grimace en se rappelant que si plusieurs personnes ici connaissaient le langage des signes, d'autres ne le maîtrisaient pas du tout. Dans le doute, elle attrape son carnet pour répéter ses excuses, sans même comprendre vraiment ce qui le met autant en colère.
Pas sorti. On a joué dedans. Ma faute
Zahra essaie d'écrire vite pour ne pas impatienter davantage le père de son amie, et ne prend pas le temps de s'appliquer. Son écriture déjà laborieuse est à peine lisible et Zay stresse et s'énerve en cherchant ses mots. A présent parfaitement réveillée, elle tend son bloc en direction de l'homme, tentant dans le même temps un sourire destiné à l'amadouer. Dédramatiser la situation d'un sourire était devenu une habitude avec Randy ou Helen, qui ne restaient jamais bien longtemps fâchés puisqu'elle n'insistait pas spécialement face à un non.

La sourde jette un coup d'oeil en direction de sa benjamine avant de revenir poser les yeux sur son père, attendant qu'il déchiffre son charabia. Elle essaie toujours de comprendre ce qui a pu le mettre dans cet état et réfléchit en observant les lieux. Elles n'ont pas abîmé ou sali le foin et  ça ne peut pas non plus être lié aux animaux, puisqu'elles les ont nourri sous la surveillance d'un adulte. L'adolescente est donc certaine qu'aucun d'entre eux n'a pu s'échapper à cause d'une porte mal refermée. Et elles avaient pris soin de faire leur partie de cache-cache loin des endroits où les adultes travaillaient, justement pour ne pas les gêner.
Zahra se repasse mentalement la journée écoulée et sourit à nouveau. Ca faisait vraiment très longtemps qu'elle ne s'était pas amusée comme ça, depuis....avant l'apparition des rôdeurs, en fait.  
Alors s'il n'y a pas de raison évidente d'être fâché ça veut dire que...ça vient d'elle ? Le père de Rosie ne voulait pas qu'elles jouent ensemble ? Peut-être parce qu'elle était nouvelle ici ? Un peu blessée par cette pensée, Zay fait un pas en arrière et glisse à son amie.
Désolée, je voulais pas t'attirer d'ennuis...Dis que c'est ma faute, tu seras pas punie.
Il ne servait à rien de l'être toutes les deux, de son point de vue.

Le réveil de Rosie a pas l'air des plus simples mais ça enlève rien à la colère que je ressens. J'ai jamais été très tendre de base, même si mes enfants m'ont adouci, la patience fait pas forcément partie de mes attributions en règle générale. Là ? C'est à peine mieux considérant que je me suis inquiété pour elle. Le camp est sécurisé, je le sais, pour autant, ça enlève rien aux accidents et au fait qu'elle aurait pu se casser une jambe et se retrouver en difficulté sans pouvoir me prévenir. Que je puisse l'avoir sous les yeux, ça permet d'éviter ça. Mais Rosie est trop petite pour comprendre, visiblement.

On s'amusait, signe-t-elle alors que je relève la torche vers ses mains. Elle refait les signes, sa voisine essaie de la protéger et d'endosser la responsabilité, même si j'ai plus de mal à comprendre ses signes. Encore, ça va que je sais lire, à l'évidence. Peu importe, Zay est pas ma fille, c'est pas à moi de lui remonter les bretelles. Tu sais quelle heure il est, au moins ? Que je rétorque à Rosie en lui désignant l'extérieur, qu'elle regarde en se penchant. Il fait noir, l'éclairage vient des torches placées. Pardon, signe-t-elle.

Je réalise qu'elle culpabilise, évidemment. Rosie a le coeur tendre, elle aime pas décevoir, et encore moins qu'on la gronde. Quoi que je connais personne qui apprécierait de se faire passer un savon de toute façon. Tu as une heure où tu dois rentrer, on t'attend avec ton frère pour le repas depuis un moment, c'est sans doute froid désormais, que j'ajoute. Rosie baisse le regard rapidement : Et toi, je scrute Zay un temps. Non, je suis toujours pas son père pour la gronder. Tes tuteurs t'attendent pas ? Je sais qu'elle est là depuis peu... Mais quand même.

Rosie s'approche et tire sur ma manche pour attirer mon attention : Elle peut venir manger avec nous ? Me demande-t-elle. Je soupire. Voilà que j'ai le droit au regard du chat botté pour me convaincre maintenant. Rosie... Que je grogne, signe dans un premier temps que je suis pas d'accord avec ça. S'il te plait, insiste-t-elle. On rangera, et on fera la vaisselle pour se faire pardonner, plaide-t-elle. Elle est hallucinante de culot. Je sais pas de qui elle le tient. Ok, que je concède finalement. Elle se tourne vers Zay : Tu veux venir manger avec nous ? Lui demande-t-elle.