Elle n'avait pas vraiment eu son mot à dire Hope. Enfermée dans le bureau d'Alex, elle passait ses nuits à essayer de tout mettre en ordre pour que Connor n'ait pas grand chose à faire, sans parler des enfants aussi à surveiller, et puis la nourriture, la sécurité.. bref, elle ne savait plus où donner de la tête, et la présence de Nick dans les environs n'arrangeait rien du tout. Sans parler de la disparition d'Isha. Putain, ils ont tous choisi le bon moment ! Alors l'arrivée de toutes ces nouvelles têtes n'arrangeait pas l'humeur maussade de l'actrice qui avait pas mal de retard sur son sommeil.

Bon, elle a quand même attendu avant de se présenter, histoire de pas ressembler à une folle furieuse. Connor lui semble raser les murs, ou peut-être qu'elle a pas encore assez dormi. Putain elle n'arrivait même pas à aligner deux pensées. Bref c'était peut-être le bon moment pour faire connaissance, et Hope jette son dévolu sur celle qui semble le plus amochée. Salut, t'as cinq minutes ? Qu'elle demande avec un grand sourire, sans vraiment lui laisser le choix. Elles se croisent dans le couloir, et Hope l'invite à rejoindre ce qui sert de salon commun. J'ai pas eu le temps de vous accueillir, il serait peut-être temps de faire connaissance. Même si elle avait clairement des cernes de dix kilomètres.

Je ne sais pas si j'ose remettre en question notre décision de rester. J'ai l'esprit embrouillé. Si j'ai toujours été particulièrement nomade à travers les aléas de l'épidémie, j'ai l'impression de ne plus être très douée à ce jeu là, depuis le bidonville. Et ça me frustre, étrangement. Je suis épuisée, toujours sur mes gardes - et je dois l'avouer, particulièrement chiante envers mes nouveaux copains. Je ne sais plus si c'est moi qui excelle pour ignorer tout le monde ou si les autres sont tout simplement heureux de pouvoir m'ignorer si facilement. Je devrais faire un effort. Mais non.

J'ai la dalle, n'empêche. Mais comme je n'ai pas l'habitude de pouvoir bouffer à ma faim, j'ai l'estomac qui s'emballe et qui refuse de coopérer dès que je mange plus qu'un grain de riz. Je tente alors de me convaincre qu'une bouffée d'air frais pourra m'aider, mais je croise plutôt Hope, qui m'offre un grand sourire. Je la regarde timidement, les billes rivées sur ma canne - avant de lui signifier que oui, j'ai peut-être cinq minutes. Et pendant un instant, je me demande même si j'ai fait un truc qui fallait pas.

« T'inquiète pas pour ça. C'est déjà un accueil cinq étoiles si je compare avec New Eden. » que je lâche en ricanant, alors que je fais de mon mieux pour la suivre sans trop avoir l'air d'un escargot. « Toi non plus, tu dors pas? » Peut-être que ses nuits sont agitées, elle aussi. Non parce que ses cernes sont probablement encore pires que les miennes - et tant pis si je devrais la fermer plutôt que de le lui faire remarquer.

New Eden. Il est vrai que celle-ci n'avait pas été récompensée par la vie après son passage là-bas, même si elle ne connaissant que des bribes de l'histoire. Aucune pitié ne brillait dans le fond de ses yeux à cette pensée, ni même lorsqu'elle croise la canne du regard ; après tout elles ne se connaissaient ni d'Eve ni d'Adam, et peut-être qu'elle avait fait quelque chose d'horrible pour mérité son sort ? J'connais pas vraiment le coin, mais de ce que j'ai pu entendre ouais, clairement, on a rien à leur envier. Fait-elle à son tour avec un sourire amusé. De sa main, elle montre alors le chemin à suivre jusqu'au salon.

A sa dernière question, la blonde se pince les yeux. Pas vraiment non, j'ai pas mal de tri à faire dans notre bureau, et avec cette histoire de fantômes chez les enfants, c'est pas la joie. Elle hausse machinalement les épaules. M'enfin, j'vais trouvé un moment demain de dormir entre deux corvées. Plaisante la femme. Dans le salon, elle lui présente un fauteuil et lui prête même son bras si elle a besoin de s'appuyer pour correctement d'installer.

Donc toi c'est Harper c'est ça ? Comment t'as réussi à te faire une telle blessure ? Là-bas ? Est-ce qu'elle en avait parlé aux autres, à Connor ? On aurait pu croire à un interrogatoire, mais Hope ne se souvenait même plus si on lui avait glissé l'info. Tu veux boire ou manger un truc ? Tant qu'à faire.

Je tente de sourire à sa réplique, comme elle, mais c'est difficile. Rien à leur envier, certainement pas, mais je pense qu'il est peut-être trop tôt pour que je puisse être capable de m'en moquer. Enfin, je continue de la suivre jusqu'au salon, comme elle l'indique. Je fais de mon mieux pour avancer à son rythme, quitte à marcher comme une imbécile et à me faire mal. Je n'y peux rien, j'ai l'impression de devoir me préparer pour un interrogatoire, et à Walla Walla, les périodes de questions se terminent toujours en séance de torture. Mais elle mentionne ensuite son boulot et des histoire de fantômes pour justifier sa fatigue. Je plisse les yeux, ne comprenant rien à ce qu'elle veut dire par là, sans pour autant poser de questions en retour. Je me contente d'hocher la tête.

Elle est chanceuse, en un sens. Moi, même quand j'ai un moment, même quand je tente de dormir de toutes mes forces; j'arrive à rien. C'est vachement frustrant. Bref, on arrive bientôt à un fauteuil dans lequel elle veut que je m'installe, de toute évidence. Je m'accroche brièvement à son bras pour venir poser mes fesses, non sans une grimace momentanée. « Harper, oui. » que je répète, un peu machinalement. « Et toi c'est bien Hope? » C'est ce que Connor avait dit, non?

« C'était lors de notre fuite du bidonville. J'ai été projetée au sol par la force d'une explosion. Une explosion causée par mes propres bombes. » Aussi bien lui dire la vérité, après tout. « J'ai pas pu recevoir de soins avant que les os - » Je tente d'imager le mot que je cherche. Je ne sais pas quel terme utiliser - je ne suis pas du tout calée en médecine. Je reste ensuite un brin surprise, quand elle me propose de l'eau et de la bouffe. Mon ventre gargouille à la simple mention d'un repas. Mais mon visage se crispe un peu, presque gênée. Je souffle du nez, ne sachant pas trop comment je dois agir, ici. J'ai passé trop de temps enfermée, peut-être.

« Je - j'ai pas de quoi payer. »