J’ai le ventre qui gargouille. On est au beau milieu de la nuit et je n’arrive pas à fermer l’œil. Emmitouflée dans mes couvertures, j’ai les yeux grands ouverts, fixés sur ce que je devine être le plafond de mon tipi dans la noirceur totale.

Mon estomac grogne de nouveau.

Je me recroqueville dans mon lit. Un lit… j’en ai de la chance. J’ai encore du mal à le réaliser. J’ai des vêtements aussi. Je suis protégée. J’ai de la nourriture et je ne sers encore à rien à ses gens. Je ne veux pas abuser et c’est sans doute ce qui me retient dans mon tipi jusqu’ici. La peur d’ambitionner en allant me chercher une petite collation nocturne.

Je soupire longuement en me retournant sur le dos.

Ok, j’ai faim. Je vais me lever, aller chercher n’importe quoi, un tout petit quelque chose, puis revenir. Je pourrai sortir demain et aller cueillir quelque chose d’autre pour remplacer la nourriture que je prendrai ce soir. Oui, voilà.

Je repousse mes couvertures et j’enfile un grand pull dans lequel j’ai l’air perdue, puis des leggings. Hop, mes bottes et je me cogne deux ou trois fois contre des meubles sans le vouloir. Je trouve un briquet et j’allume finalement une bougie, puis je sors silencieusement de ma tente avec ma tignasse toute échevelée. Je me déplace comme une petite ombre, mais au tournant d’un tipi je suis surprise par quelqu’un et je sursaute.

- AHH… Je place ma main sur ma bouche pour retenir un petit cri de surprise, espérant ne pas avoir réveillé personne.

Son tour de garde prend fin et il est temps pour lui de retourner au tipi et de trouver le sommeil. Il est repassé par les réserves de nourritures pour prendre sa ration du soir - ayant manqué l’heure du souper. La nuit est restée silencieuse tout le long de sa garde, à peine dérangée par le bruissement des arbres et les hululements d’une chouette au loin.

Le campement ici était calme. Reste encore quelques mouvements près des tipis. Une vie nocturne s’est installée, plus lente, plus posée. Surtout cachée, à l’abri des habitations. Il était en train de croquer dans un morceau de viande séchée quand quelqu’un apparaît soudainement face à lui, manquant de le percuter. Sans cri, il sursaute lui aussi, le morceau de viande séchée entre les dents.

« Perdona… J’essayais de ne réveiller personne » Dit-il, dans un murmure en avisant la jeune femme qu’il n’avait que croiser jusqu’ici, se rappelant qu’elle était nouvelle au campement. « Tu cherches quelqu’un ? Je peux t’aider ? » S’interroge-t-il, en la regardant. Puis il se rappelle qu’elle ne le connaît sans doute pas. « Lisandro… Je m’occupe de l’infirmerie. » Se présente-t-il, alors.

Je me mords l’intérieur de la joue pour ne pas sourire en comprenant que j’ai en face de moi quelqu’un qui a aussi eu un petit creux au beau milieu de la nuit.

- Rebekah, enchantée Lisandro. Il entendra certainement mon accent, tout comme je perçois le sien. L’Amérique est belle pour ça. Je voulais me faufiler au réfectoire pour grignoter un petit peu. Que je lui avoue avec une petite grimace coupable, mais comique.

Bien sûr, on chuchote pour ne déranger personne. Je ne voudrais pas déjà m’attirer les foudres de certains, même si c’est simplement impossible de s’entendre avec tous. Je ne vais pas chercher les problèmes non plus !

- C’est permis ? Après tout, j’y allais sans me poser de question, sauf que… ce n’est peut-être même pas possible !

Rebekah. Il note, mentalement. Hoche la tête en souriant. Sa grimace l’amuse un peu, et c’est vrai qu’il pense à ce qu’il tient dans la main - sa ration du soir. « Disons que voler dans la réserve, ce n’est pas très règlementaire. » Lui dit-il, avec un peu d’humour.  

« On commence seulement à se remettre de l’hiver… C’est un peu délicat de demander un peu plus mais… On peut partager si tu veux. » Dit-il, en montrant, non pas ce morceau de viande séchée qu’il avait encore à la main, mais plutôt le panier à son autre bras. « J’étais de garde pendant le souper… Il y a un peu de viande et de pain, quelques baies… » Ce n’était pas une avance qu’il lui faisait, loin de là. Juste un peu de générosité et partage envers une nouvelle membre qui devait s’habituer au campement. Il le ferait sincèrement pour n’importe qui. « Un peu de pain ? » Pour une fringale du soir, c’était ce qui remplissait bien mieux l’estomac.

Oh… donc ça n’est pas permis ! J’allais faire une grosse erreur sans le savoir.

- Chara ! ¹ Ça m’échappe et je pose une main sur ma bouche avant de rigoler toute seule.

Je jure rarement, surtout dans ma langue natale. Sauf que la fatigue et l’angoisse viennent de prendre le dessus. On m’aurait traitée de voleuse, alors que je viens tout juste d’arriver ? Heureusement que je suis tombée sur cet homme. D’ailleurs, il me propose de partager son repas. Alors qu’il était de garde et qu’il n’a pas mangé encore.

- Oh, je ne veux pas vous prendre votre souper. Ce n’est qu’une petite fringale nocturne, vous vous avez besoin de votre repas. J’apprécie votre offre par contre. Franchement, ça me fait sourire de plus belle cette générosité.

Je ne la sens pas feinte, je ne sens pas non plus de sous-entendu et c’est réellement agréable.

- Vous étiez de garde à l’infirmerie ou… dans le camp ? Je suis curieuse pour le coup. C’est tellement immense cet endroit ! Sauf qu’il parle peut-être de patients ? Elle est grande l’infirmerie ?

L’injure lâchée par mégarde lui arrache un sourire, puis il l’accompagne quand se met à rire à son tour. La nouvelle semble franche et joviale, et il doit dire qu’il apprécie. Le chilien est rarement adepte des humeurs sombres et froides - bien que, certaines femmes ayant partagé sa vie témoigneraient du contraire mais… ce n’était pas pareil.

« Non, ça ira, tu ne me priveras pas… Tiens. » C’est la générosité du Sud qui le pousse à lui mettre dans les mains un morceau de son pain. « Si tu viens d’arriver, c’est normal que tu aies besoin d’un peu de temps pour t’acclimater. » Ajoute-t-il, avec bienveillance.

« Dans le camp ce soir, à l’infirmerie demain » Dit-il, en souriant. L’un n’empêchait pas l’autre et les motivations du chilien étaient pour tous, évidentes. Il hausse un sourcil à la question. « Grande comment ? » C’était peu banal comme question. « Comme un petit dispensaire ? Tu viendras voir demain si tu veux, je te présenterai notre équipe. » Propose-t-il ensuite.

Et puisque les voilà à partager un repas, il l’invite à s’éloigner un peu des tipis et de rejoindre un feu de camp pas loin. « Tu étais où avant ? Ça doit te sembler grand tout ça… » Demande-t-il, curieux.

Je me retrouve bien malgré moi avec un morceau de pain entre les mains. Ça me fait sourire bêtement, il semble que je n’ai pas mon mot à dire et ça me fait rigoler intérieurement.

- Merci ! Je sais quand il ne faut pas s’obstiner et ça me semble tout à fait être une situation où il vaut mieux accepter et être reconnaissante.

La personne qui me fait face me semble assez… bienveillante ? En tout cas, il me rassure rapidement sur le fait que je vais finir par m’acclimater et connaitre les petites règles de l’endroit. C’est agréable de rencontrer quelqu’un de jovial comme cela. J’en ai trop vu à l’air renfrogné ou sombre. Je ne juge pas du tout les humeurs ou les raisons de ce type d’humeur, mais c’est tellement… à l’opposé de la mienne qu’il m’est parfois difficile de m’adapter.

- Ah… oui je suppose que tout est assez… relatif en fait. Je pouffe de rire en posant une main sur ma bouche pour ne pas faire trop de bruit entre les tipis. Avec plaisir ! Ce sera pratique de savoir où aller si je suis maladroite. Je préfère en rire, mais Dieu sait que je vais visiter la clinique régulièrement. C’est immense oui ! Que je réponds avec enthousiasme. J’ai été longtemps sur les routes et j’étais dans une église abandonnée avant de venir ici. Je n’ai jamais rien connu d’aussi grand ! Soyons honnêtes, enfin… je n’ai pas besoin de tout raconter non plus. Et toi ? Ça fait longtemps que tu es ici ?