~ 20 Avril, Enchanted Island

Ca fait presque un mois que je suis sur l'île, et je me sens un peu surprise de m'être fondu dans le quotidien des autres. Enfin, je crois que je le suis. J'ai une chambre, des repas et ils font des efforts pour m'intégrer, je crois. C'est difficile avec certains, bien plus facile avec d'autres. Comme Matéo, par exemple.
Au départ, je les ai suivis parce que j'étais inquiète pour lui, je voulais m'assurer qu'il guérirait bien, après ce qu'il avait subi. Et puis les jours ont passé, et je suis restée. Personne ne m'a demandé de partir non plus, mais je préfère me dire que ça peut arriver à tout moment, je tomberais de moins haut.

Je dois avouer qu'être sur un île a de sérieux avantages. Il n'y a qu'un seul accès, facile à contrôler et ça évite les mauvaises surprises. Même si honnêtement, ça ne m'empêche pas de faire des cauchemars quand j'arrive à m'endormir. Je suis toujours inquiète, à propos des Sinners, je reste sûre qu'ils sont en train de préparer leur vengeance. Parfois, j'ai même presque hâte que ça arrive, je me dis que ce sera moins angoissant que cette attente, même si je redoute la terrible sanction qui en découlera.

Par réflexe, je vérifie encore que mes paupières sont à leur place, soulagée de sentir mes yeux intacts. Je cligne plusieurs fois des yeux en regardant mes mains, surprise de les trouver mouillées et rougies, et regarde autour de moi, perplexe. Le moment me revient quand j'aperçois Hope, de dos, juchée sur un escabeau de fortune pour déloger des toiles d'araignées en hauteur.
Ah oui c'est vrai, on nettoie une maison et tout va bien. On ne peut trouver aucun Sinner ici, pas vrai ? J'essaie de me repérer par rapport au temps, et j'observe l'état intérieur de la bicoque. Vu son état, on ne doit pas y être depuis très longtemps donc, on doit être le matin, je pense. En tout cas, je préfère taire mon doute et j'essaie de me concentrer sur ce que je suis censée faire. Lessiver, d'après le seau rempli d'eau savonneuse, mais quoi ? Le sol ou les murs ?

Je me baisse pour récupérer la brosse qui flotte dans le seau à mes pieds. Voyons voir, j'ai les mains mouillées, donc j'ai déjà commencé, et...voilà ! Je trouve une partie humide et profite du sentiment de soulagement qui se fait ressentir. Sauf qu'au lieu de soupirer, j'inspire et j'avale une grande goulée de poussières en suspension dans l'air, lâchant un éternuement que j'espère discret.
Sans plus perdre de temps, je me remets au travail, tout en observant Hope à la dérobée quand elle regarde ailleurs que dans ma direction.
L'inquiétude me reprend à la voir sur ce tabouret peu stable et pendant...des heures, je crois ? Bref, je réfléchis à ce que je pourrais dire ou lui proposer pour éviter de se blesser.
Finalement, l'inquiétude se transforme en angoisse et je me redresse subitement, parlant sans réfléchir.
Est-ce que ça t'ennuie si on change ? Je...j'ai envie d'essayer...

Je ne finis pas ma phrase, consciente de ma stupidité. Je n'ai pas envie de nettoyer des nids à bestioles, pas plus que je n'ai envie de heurter sa susceptibilité. Et puis, même si elle se débrouille bien avec sa prothèse, lui donner la corvée du lessivage des murs n'est pas beaucoup plus adapté à mes yeux que se percher sur un trépied inégal. C'est d'ailleurs pour ça que je me suis auto-désignée pour nettoyer les murs, non ?
J'essaie de me souvenir ce que maman me disait sur les prothèses, mais j'en sais assez peu, au final, et je me mords la lèvre, dépitée.
Je peux finir toute seule, si tu préfères...
Sans attendre sa réaction, je secoue la tête, comme pour chasser les mots qui viennent de sortir, et retourne à mon lessivage sans rien ajouter de plus. Je raconte n'importe quoi, il vaut mieux que je me concentre sur mon travail plutôt que d'essayer de réfléchir. Ce n'est clairement pas une réussite, je ne sais même pas quel jour on est.