Il court, encore et encore. Pour aller où ? Il n’en a aucune idée. Il a du mal à respirer, c’est comme si ses poumons le brûler. Il jette un coup d’œil par-dessus son épaule. Une silhouette imposante le traque, il peut entendre des grognements sourds à quelques mètres de là. Il trébuche, plusieurs fois, sa course foule est ralentie par des branches d’arbres tombées sur le sol ; jusqu’à ce qu’il tombe pour de bon. Il n’a pas vraiment le temps de reprendre ses esprits, il se relève tant bien que mal, sentant le danger se faire de plus en plus proche. Un nouveau coup d’œil en arrière. La créature est là, il peut la voir. Bientôt, elle sera trop proche pour qu’il puisse lui échapper, il le sait. Il appelle à l’aide mais personne ne viendra l’aider. « Bruce… Non… » Souffle-t-il, désespéré. Mais son ami ne l’écoute pas et la masse impressionnante finit par lui attraper le bras. Il chute encore une fois. Celui qui fut jadis son ami, le tire jusqu’à lui, s’approchant de son visage pour finalement s’attaquer à sa gorge…

« Non ! » C’est son propre cri que le réveille. A bout de souffle et couvert de sueur, le métis met quelques instants à comprendre qu’il est dans son lit. Ce n’était qu’un cauchemar. Il a besoin d’air et vite. Il peine à respirer au bord de la crise d’angoisse. Il peine à mettre ses chaussures, trébuchant et faisant un boucan pas possible. Une fois que c’est fait, il se précipite jusqu’à l’extérieur, prenant enfin une bouffée d’air apaisante.

Planqué dans l'infirmerie depuis des semaines, j'ai fini par avoir certains rituels. Comme lorsque je n'arrive pas à dormir. Je m'installe devant la fenêtre, le menton sur les bras. Je peux voir quelques personnes passés de temps en temps. Mais pas tout le temps. Au fond, ce n'est pas plus mal. C'est signe que tout le monde dort. Il fait nuit et j'ignore vraiment qu'elle heure il est. Mais une silhouette passe devant la fenêtre assez précipitamment. Et c'est suffisamment rapide pour être surprenant.

Je pousse alors sur mes bras, récupère ma machette dans le cas où il faudrait me défendre et je passe la porte de l'infirmerie. Je reconnais rapidement la silhouette d'Otis. La respiration complexe. Alors, je glisse finalement la machette dans mon dos. Il n'a pas l'air d'aller bien.

- Otis ? Est-ce que ça va ?

Non, évidemment que non. Je ne sais même pas pourquoi je pose la question. Mais je réfléchis finalement pour ensuite me mettre en face de lui. Réfléchis, réfléchis. Les cinq sens, c'est ça.

- Otis, regarde moi... Tu peux me dire cinq choses que tu vois ? Quatre choses que tu entends..

Un cauchemar, ce n'était qu'un simple cauchemar. Otis tente de reprendre son souffle mais c'est trop tard, la crise d'angoisse est déjà là. Les mains posées contre sa gorge, il suffoque. Il faut qu'il se calme, il faut qu'il se concentre sur sa respiration. Malheureusement, il est trop agité pour réussir à apaiser les craintes et les peurs qui le tourmentent. Chasser les mauvais souvenirs, le visage de son ami... C'est comme s'il était toujours en plein mauvais rêve.

Un écho se fait entendre alors, une voix qui l'appelle. Durant quelques instants, le métis pense que son esprit lui joue des jours ; jusqu'à ce que la voix se fasse plus claire, plus proche. Il découvre alors une silhouette qui s'approche de lui, il la reconnaît « E... Evan... » Le prénom de son ami sonne comme une complainte douloureuse, un appel à l'aide dans cet obscurité qui les entoure. Dans la nuit fraîche, voilà peut-être une chance pour l'artiste de se raccrocher à la réalité, de chasser ses vieux démons.

Il agrippe les mains du brun, faisant de son mieux pour se concentrer sur sa voix. Que voit-il ? Otis scrute les alentours, à la recherche de ce qui pourrait le calmer. « Euh... Une voiture, le ciel, la... la lune derrière les nu-nuages, un caillou, euh... Toi... » Il ferme les yeux, pour tenter de percevoir les bruits de la nuit mais c'est l'image de Bruce qui lui revient subitement. Et qui le fait perdre pied, à nouveau. « Je... J'y arrive pas... Je... Bruce... Il est... Il est... » Des sanglots résonnent, bruyants, avant que de chaudes larmes coulent le long de ses joues.

- C'est moi, oui.

Que j'ajoute précipitamment. Je le laisse attraper mes mains. Je me doute que dans cette période, la seule chose que tu veux faire, c'est te raccrocher à quelques choses. A la moindre chose pour avoir les pieds sur terre, la tête plus calme, l'esprit moins embrumé. J'essaye d'aider et j'espère vraiment que ça va fonctionner. Mais je ne suis pas bien sûr.

- C'est bien. Respire profondément. Quatre choses que tu entends.

J'essaye de l'encourager mais je vois bien qu'il peine à me suivre. Encore une fois, je ne sais pas qui est Bruce mais je me précipite pour lui répondre. Pour m'assurer qu'il n'y pense pas.

- Pas là. Bruce n'est pas là. Je suis désolé, Otis, mais il n'est pas là.

Je ne sais même pas vraiment pourquoi je m'excuse. J'ai envie de l'aider au mieux. Alors, j'agite légèrement ses mains pour qu'il repose son regard dans le mien. J'affiche un sourire rassurant. J'espère vraiment qu'il a l'air plus rassurant que fatiguer. Mais je ne pense pas qu'il va en tenir rigueur.

- Il n'y a que toi et moi. Respire profondément. Et donne moi quatre choses que tu peux entendre. Et trois que tu peux toucher.

Evan l'encourage mais le métis semble complètement perdre pied. La crise d'angoisse est violente, c'est souvent comme ça lorsqu'il se réveille brusquement après un cauchemar. Le fait d'être dans l'obscurité et le réveil brutal n'arrangeant en rien son état. Et si la plupart du temps il parvient à retrouver son calme avec des exercices de respiration, il n'y parvient pas cette fois.

« Je... Je ne sais pas. Je... » Il se concentre pourtant, tentant de se concentrer sur son environnement. « Toi... Je... J'entends ta voix, et... » Paupières closes, il essaye de repérer d'autres sons mais sa respiration saccadée ne rend pas les choses aisées.

Alors il serre les mains du brun encore plus fort, faisant de son mieux pour respirer, comme lui indique Evan. « Tes mains... » Murmure-t-il alors avant de les lâcher pour venir poser sa paume contre la poitrine du brun. Il se concentre pour essayer de caler sa respiration sur celle de son aîné. « Le tissu de ton pull. » Continue-t-il en faisant bouger légèrement ses doigts. Puis, il vient poser son autre main sur le côté de son visage, les mèches sombres du boulanger venant chatouiller la pulpe de ses doigts. « Tes cheveux. » Finit-il par dire alors qu'il semble se calmer un peu.

C'est toujours difficile de combattre ses émotions. J'en ai déjà trop fait les frais. Mais je ne veux pas laisser Otis comme ça. C'est quelqu'un de gentil. Je ne veux pas le laisser comme ça. Je préfère lui venir en aide que de me dire que je le laisse tomber comme un idiot. Et si Otis a besoin de serrer ses mains, de toucher ses cheveux ou de venir sentir sa respiration. Alors, je le laisse faire.

- C'est bien. J'aurai accepté des adjectifs sur ma beauté légendaire mais je prends.

Que j'ajoute en souriante. J'essaye de l'aider. Je me dis que quelques conneries, ça peut toujours aider à se focaliser sur autres choses. Je sais que mon frère utilisait beaucoup ce genre de technique. Et je crois que ça a toujours fonctionné pour moi. Les yeux rivés sur Otis, je me contente de hocher la tête avec un sourire.

- Quasi fini, deux choses que tu aimerais sentir ou que tu sens. Avec ton nez. Et une chose que tu goutes.

Ouais, c'est bizarre dit comme ça. Normalement, à part sa salive, il ne devrait pas me dire quoi que ce soit d'autres. Mais je sais que c'est compliqué pour lui. Je glisse la main sur son épaule. J'aimerai avoir un remède plus rapide, plus simple pour lui. Mais je n'ai malheureusement pas grand chose pour lui.

Evan fait tout son possible pour l’aider. Otis se concentre sur sa voix et le brun semble avoir trouvé un moyen de le calmer. Accroché à lui, le métis réussit à esquisser un timide sourire lorsque le pâtissier reprend la parole. Il relève la tête, captant alors le regard du jeune homme. Son sourire bienveillant lui fait du bien et il sent sa respiration se faire plus régulière. Le poids dans sa poitrine se fait de moins en moins oppressant et lorsque que l’autre lui demande ce qu’il sent ou ce qu’il aimerait bien sentir, le dessinateur prend une nouvelle inspiration. Tout en fermant les yeux, il souffle alors « L’herbe fraîche… » Puis il se raccroche à son ami, venant caler sa tête contre son épaule. « Et… Ton parfum… »

Puis quand l’autre lui demande ce qu’il goûte, Otis reste silencieux un instant. Il ne sait pas trop quoi répondre à ça. Alors, il vient doucement déposer un baiser sur la joue d’Evan, restant accroché à lui. Quelques minutes passent et l’artiste parvient finalement à se calmer. L’étreinte du brun est tellement réconfortante qu’il n’ose plus bouger, craignant que son angoisse revienne. Néanmoins, il lui murmure quelques mots. « Merci. Je crois que ça va mieux… C’est… C’est une très bonne technique… »