Crescent Bay – au lendemain de l’attaque des pirates.

Faut que j’arrête. Ca va m’rendre dingue. Sans compter que les filles vont vraiment s’demander si j’suis pas totalement cinglé. J’veux dire, ça fait combien de temps que j’regarde les otages sans rien dire ? Franchement, aucune idée. Mais j’arrive pas à détacher mon regard d’elles, sans trop arriver à savoir pourquoi. Bon, en vrai, j’sais parfaitement. J’arrête pas de m’demander si les choses auraient pu s’passer autrement, si j’aurais pu retrouver Alessha. Ou ma sœur.

Et je m’demande si des gens cherchent encore ces filles. Si elles ont des parents, des amis. Des mecs. Des femmes. Ou si elles sont toutes seules. Si c’est le cas, j’me dis que la vie est vraiment mal foutue. Parce que t’as des gens qui attendront des proches qui reviendront jamais. Et d’autres qui … bref. On s’en fout. J’suis surtout crevé et j’ai pas les idées bien claires.

J’finis par détourner les yeux, ramassant quelques couvertures et autres conneries pour leur filer, avant de m’éloigner. Sans oser poser de questions sur ce qu’elles ont pu vivre. Sur ce que celles avec le soleil noir de tatoué aurait pu vivre. Parce que j’ai peur de la réponse. Horriblement peur. J’ai déjà imaginé le pire, mais j’ai l’impression que j’suis loin du compte. J’avoue que là, j’me sens un peu démuni. J’devais probablement dormir un peu. Le soleil est levé mais franchement, on va pas s’arrêter à ce genre de détails. Ou aller voir les autres. Mais pour dire quoi ? Là encore, je sèche.

Pfff… quelle merde.

D’un coup, j’vois une silhouette pas vraiment familière. J’ai une hésitation, avant d’finir par me décider à me rapprocher d’elle rapidement, me plantant d’vant elle quelques instants sans rien dire. « Euh ouais. Salut. Moon, c’est ça ? » J’suppose. J’ai quand même un vieux doute. Faut dire que ouais, à part Alice, j’ai pas causé à grand-monde de leur groupe. J’me frotte la nuque, laissant filer un nouveau silence, sans trop savoir comment aborder le truc. « T’as… b’soin de quelque chose ? On a des gourdes de flotte et d’quoi bouffer un peu. » Ouais bon, c’était pas ça le projet d’base, mais bon, j’suis genre accueillant comme type. Il parait. « J’m’appelle Echo… Dean. Bref. Je… » J’ai un froncement de sourcils. « C’est toi qui as tué Jack ? » Okay, j’aurais ptet dû trouver une tournure moins… plus… enfin voilà quoi.

Je suis retournée à l’intérieur, j’ai pu voir ce qu’il restait de certains pirates ici et là, ce que les explosions avaient provoquées, ou encore le résultat de la colère de Ruby. Je n’ai éprouvé ni pitié ni peine ni écœurement. Sans doute suis-je un peu cassé là-dessus aussi. Mais je ne peux m’empêcher de me dire que j’aurais fait pire à mes tortionnaires, si j’en avais eu l’occasion à l’époque. Et surtout, on ne peut ignorer ce qu’ils ont fait, tous, ici. Pas alors que Joaquin n’est plus parmi nous. Pas alors qu’il y a une vingtaine de femmes qui témoignent par leur simple présence, par leur comportement et leur peur, de ce qu’elles ont vécues et subies durant leur captivité ici. Dès lors, il est difficile d’avoir une quelconque indulgence à l’égard de ces monstres qui n’avaient d’humain que l’apparence.

Je n’ai pas vraiment réussi à dormir, je ne suis pas sûre qu’aucun d’entre nous n’ait réellement dormi cette nuit. La présence de Lennox a réussi à me rassurer suffisamment pour que je reste et somnole contre lui, mais ça n’a pas vraiment suffi. Parce que j’ai été quelque peu irréfléchie, mais c’est un autre sujet, sur lequel je n’ai aucune envie de m’appesantir pour le moment.

Je me retrouve donc à errer dehors alors que l’aube fait à peine son apparition. A marcher pieds nus dans le sable. J’avais oublié comme j’aimais ça. C’est idiot de s’en rappeler en de telles circonstances, alors que le sang versé n’est pas encore sec et que les larmes sont encore en train de couler. Mais je me dis que c’est aussi grâce à ce genre de petits détails, ces petites choses insignifiantes, que ça vaut le coup de continuer.

En route pour revenir vers les baraquements, je stoppe et lève la tête. Ah. Je ne sais plus de quel groupe il fait parti, mais c’était le navigateur d’un des autres bateaux. Mes sourcils se haussent alors qu’il prend la parole. « Salut… Moon c’est ça. » J’attends sagement en l’observant. Nerveux, agité, inquiet. Je penche la tête sur le côté, fronçant les sourcils alors qu’il s’emmêle les pinceaux et ne semble pas comment savoir s’y prendre. « C’est ta technique de drague ? Proposer de l’eau et de la nourriture ? Remarque, par les temps qui courent, c’est une valeur sûre. » Une ombre de sourire amusé étire mes lèvres malgré moi. Je ne me moque pas vraiment, je doute très sincèrement que ce soit ça, mais j’ai perdu l’habitude de voir un homme aussi… hésitant. « Echo ou Dean ? Si tes parents t’ont donné les deux à la suite, c’était vache. » Ah. Non, ce n’était effectivement pas ça. Mon sourire disparaît et je le dévisage un peu plus attentivement. « Oui. Il parait que j’ai fait ça. » Je jette un coup d’œil autour de nous, avant de me dire que c’est débile, et je reporte mon attention sur lui. « Si j’avais pu, je l’aurais gardé en vie, mais l’opportunité ne s’est pas présentée à moi. » Je n’ai pas trop attendu non plus il faut dire. « Pourquoi ? »

C’est probablement une mauvaise idée. Surement même. Vu que j’ai envie d’faire ça, c’est forcément complètement con. Sauf que ouais, maintenant que j’suis lancé, difficile de faire marche-arrière. Et j’inspire, sans savoir quoi faire de ce que j’ai dans les mains. J’lève un sourcil quand elle me confirme que ouais, c’est bien Moon et, au reste, j’ai quand même un rire nerveux. « Nan. Si j’étais en train de te draguer, tu le saurais. T’aurais vaguement pitié de moi et j’aurais l’air particulièrement pathétique. » Là, avec mes bouteilles, j’crois que c’est pas le cas. Pas trop quoi. J’lui tends quand même de quoi boire et manger donc, plus pour me décharger qu’autre chose.

Et j’me frotte la nuque à sa remarque. « Dean. Mais tout le monde m’appelle Echo. Longue histoire. » Et pas très intéressante surtout. Ou plutôt, rien qui pourrait vraiment l’intéresser. Bref, c’est pas le sujet de toute façon. D’autant que je me lance direct, avec la subtilité d’un bulldozer, sur le sujet qui m’intéresse. Qui m’obsède plutôt. J’crois que c’est le bon terme. Elle m’confirme qu’elle l’a bien tué et, surtout qu’il est bien mort. Ouais, ouais, je sais, c’est débile, les deux vont forcément d’paire, sauf que j’suis pas vraiment sûr d’arriver à être objectif et cohérent à propos de quoi que ce soit dans cette histoire.

J’la vois jeter un coup d’œil aux alentours et j’me demande vaguement pourquoi, avant de laisser filer un silence. « Il… il a dit quelque chose en particulier ? » J’sais pas trop à quoi je m’attends en vrai. Genre la confession du méchant à la fin du film. Ouais, le type qui raconte pourquoi il a fait tout ça ou une merde du genre. J’suis pas assez con pour imaginer qu’il pourrait avoir eu des remords hein, faut pas pousser non plus. Et j’me rends compte que j’ai pas répondu à sa question. J’hésite un instant, sans réaliser que cette fois, c’est moi qui regarde autour de nous comme pour être sûr qu’on nous écoute pas. « Je… ptet qu’il a tué mes parents. Ma femme. Et ma sœur. » C’est un peu la version courte de l’histoire, mais au moins, ça pourrait expliquer pourquoi j’ai autant b’soin de m’assurer que c’est bien terminé. Et de savoir comment ça s’est passé. Ptet que ça m’aidera enfin à tourner cette foutue page et avancer. Après trois ans, ce serait bien non ?