L'extérieur de la plateforme donne une drôle d'allure au petit jour. Je regarde l'horizon, alors que l'évacuation de Tony et Salem prend du temps. Ces deux couillons sont vraiment faits pour être ensemble, y'a pas à dire. Mais je suis inquiet de pas avoir revu Moon pour l'instant, et quand elle réapparait avec d'autres à la surface, j'ai un souffle soulagé qui m'échappe très clairement. Je réalise pas que j'ai encore les mains pleines de sang, même pas en m'approchant d'elle.

Le temps passe, jusqu'à ce que je puisse me planter devant elle et faire signe aux autres de se barrer. Elle pourra faire le point plus tard sur toutes ces questions, moi j'ai autre chose à foutre, et elle peut respirer deux secondes. Eh, je l'attrape par le bras et l'attire fermement contre moi : Qu'est-ce que je disais sur le fait d'pas faire de conneries ? Je fronce les sourcils. Y'a pas de vraies reproches dans ma voix. Te tirer toute seule dans cet enfer sans moi, plus jamais tu me refais ça, quelle putain d'têtes de mule.

Regard inquiet et muscles tendus, je finis par trouver l’extérieur, avec Reese et Daphne, dont les sanglots nous ont accompagnés tout du long. Et je vois les autres. Si mes épaules se détendent presque instantanément, je sursaute quand la gamine se met à hurler. Je suis possiblement un peu à fleur de peau. Je lance un regard désolé à Reese, me sentant quand même un tantinet coupable de l’état de la petite, avant d’esquisser un sourire quand Thaïs et d’autres se précipitent vers elle.

Sourire qui s’agrandit en apercevant Lennox un peu plus loin qui s’approche. Je le rejoins rapidement, me retrouvant l’instant d’après contre lui, à froncer les sourcils quand il commence à parler. « Tu sauvais Salem et Antony. C’était un peu important non ? Comment vont-ils d’ailleurs ? » Je regarde autour de nous, les cherchant du regard, mais je l’aurais vu si ça n’allait pas. Je reporte mon attention sur lui. « Je n’ai pas besoin que tu me protèges… Pas tout le temps en tout cas. » Je sais bien que c’est une seconde nature chez lui, je ne vais pas l’engueuler pour ça. Je laisse filer un soupir, me laissant aller un peu plus contre lui.  « Je ne voulais pas t’inquiéter. Mais je ne servais à rien sur place. » Simple constat. Et il sait à quel point j’ai horreur de ça. « Oh et Ruby avait raison. C’était Jack. Et je l’ai retrouvé. » Je tente d’avoir l’air plus fière, ou heureuse, que ce que je ressens vraiment. Je suis évidemment super soulagée de l’avoir tué et d’avoir aidé à mettre fin à tout ça, mais… j’aurais préféré faire autrement. Je le dévisage un peu plus attentivement. « Tu vas bien ? Tu n’as rien ? »

Leurs blessures sont préoccupantes mais on va faire en sorte qu'ils survivent... que je souffle tout bas en la serrant contre moi. C'simple geste me rassure je crois, j'ai l'impression qu'elle est bien vivante, qu'ça donne une finalité à tout c'qu'il s'est passé. Inutile d'lui parler de ce qu'il s'est passé, d'la pile qu'a fondu Ruby dans tout ça, seulement d'la réalité. Alors... Tu l'as trouvé, que j'ajoute à propos d'Jack, et de ce que ça implique finalement.

Un soupir m'échappe. C'est d'autant plus dangereux qu'elle y a été toute seule. J'passe une main sur sa joue : Oui, oui, ça va, qu'j'lui assure simplement. Miraculeusement, rien d'casser, pas d'sang non plus, et c'lui sur moi m'appartient pas. Toi, tu n'as rien ? Ouais, je redemande, je sais pas, j'y croirais quand je pourrais tout vérifier par moi-même, dans l'intimité, pas au milieu d'tout le monde. J'aurais dû te suivre, je suis désolé, que j'ajoute simplement dans un soupir. J'me sens coupable d'pas avoir été là. Mais tant pis, elle l'a dit.

Préoccupantes… Je hoche la tête, me contentant de souffler un « D’accord. » , ne pouvant guère faire quoi que ce soit de plus que lui ou Chiara. Je me note dans un coin de la tête de lui demander, ou à Kaycee à son retour, de m’apprendre les bases… histoire de… Même si je me dis qu’il s’en servirait sans doute pour que je reste en arrière à m’occuper des blessés.

Je fronce les sourcils d’inquiétude en voyant sa main pleine de sang. Mais ce n’est pas le sien. Il n’est pas buté au point de refuser d’avouer qu’il aurait pu être blessé. « Je vais bien, c’est promis. » Regard ancré dans le sien, cherchant à le rassurer autant que possible, je le détourne néanmoins pour observer les autres plus loin. « Il était avec elles quand je suis arrivée. » Je désigne le petit groupe qui se prépare à partir. « Reese et… Daphne. » Je pique du nez. « Sa fille. Je l’ai tué devant sa fille. » J’aurais probablement tiré quand même en le sachant, mais… ça reste dérangeant. Plus que ça même. Mais j’aurais pu hésiter. Et lui me voir. Heureusement que je ne savais pas.

Je relève la tête. « Ai-je besoin de te rappeler que j’ai survécu quelques temps toute seule dehors ? » Je parviens à avoir un semblant de sourire amusé, qui disparaît rapidement. « Et puis quoi ? Si ça avait mal tourné – et ce n’est pas le cas – ça aurait changé quoi ? Tu te serais mis en danger comme Salem l’a fait pour Antony ? » Je ssecoue la tête. « Non, parce que tu as des enfants, qu’ils sont plus importants et qu’ils ont besoin de toi. » Je hausse les épaules à cette évidence. Et puis… ce n’est pas le même genre de relation. Même si de mon côté, j’aurais sans doute réagi aussi bêtement que Salem, ou que j’aurais sans doute pu sortir une idiotie comme Antony, ce n’est pas pareil. Et ce n’est pas grave, peu importe qu’il ne tienne pas autant à moi que le contraire, ça me va. J’ai déjà plus que je ne l’aurais jamais cru possible. « Lennox. Tu ne peux pas toujours être derrière moi. Tu n’as pas à l’être. Alors ne t’excuse pas d’avoir fait ce qu’il fallait. »

Elle a vu son père mourir ? J'écoute Moon, je tente de la rassurer. Peut-être que mes bras se serrent un peu plus autour d'elle à mesure qu'elle déroule quelques phrases qui, mises bout à bout, m'aident pas spécialement à tout saisir. Elle risque pas trop de t'apprécier en grandissant mais... mais j'en sais rien. Qu'est-ce que ça change ? Elle vivait sur une plateforme remplie d'enflures de la pire espèce, qui ont torturé, violé, tué, pour rien du tout. J'essaie de comprendre, où est-ce que vous étiez quand tu les as trouvé ?

Je soupire, je culpabilise d'autant plus, et la coréenne me rappelle rapidement à l'ordre. Je fronce les sourcils avant de prendre un air clairement fâché : Je te permets pas, je suis un peu plus malin que ces deux-là ! Bordel, je suis vexé là : Au moins, j'avais un gilet pare-balle ! Contrairement à ces deux idiots. Je secoue la tête. Elle recentre la discussion, et c'est pas forcément pour me faire déculpabiliser. Je viens plonger mon visage dans son cou, dans ses cheveux, seulement content qu'elle soit vivante.

« Il y avait une trappe, dans une chambre, la chambre de Jack en toute logique... Je crois que c’était là qu’elles dormaient. Ce connard gardait sa fille enfermée sous une trappe. » Ou c’était juste Reese ? Pourtant, non, je pense que les deux y dormaient. Y vivaient ? La laissait-il seulement sortir parfois ? « … Ils étaient en bas, tous les trois, il hurlait. C’est comme ça que je les ai trouvés. Et que je l’ai vu. » Je secoue la tête. « Elle peut me haïr et chercher à se venger, je sais que c’était le bon choix. » J’ai une ombre de sourire, mais il disparait bien vite. « Mais elle a vu son père mourir oui. »

Un rire m’échappe, spontané et presque incongru après tout ces horreurs, après ces quelques mots échangés. « Un peu ? » Souriant toujours, riant toujours à moitié, je passe tendrement mon pouce sur sa joue. « Je ne pensais pas te vexer autant je le reconnais. » Mon sourire se transforme en une légère grimace. « Je devrais sans doute éviter de te rappeler que je n’en ai pas non plus ? » Je crois qu’il en est bien assez conscient, même si je doute qu’il se serait moins inquiété si j’en avais eu un.  

Et puis, même s’il ne ferait rien d’aussi idiot, il est là avec moi. Ma main effleure son dos et remonte le long de sa nuque pour se mêler à ses cheveux. Je tourne la tête, l’embrassant dans le cou. J’inspire contre sa peau, souriant stupidement en me rendant compte d’à quel point son odeur me rassure. D’à quel point je l’aime. « Je t’aime. » Murmure soufflé contre sa peau, spontané et incongru lui aussi. Je reste contre lui, refusant de croiser son regard, quelque peu effarée, apaisée, effrayée, soulagée, terrifiée, par cet aveu chuchoté.

Putain, c'que Moon a vu, je crois que j'aurais mis du temps à l'comprendre, avant d'mettre du temps à me retenir de le massacrer. Ouais... je soupire, m'pince l'arête du nez, sans bien piger c'qu'il faut pour en finir à être une enflure pareille. De toute façon, tu as fait ce qu'il fallait, que j'ajoute simplement. C'est con, mais j'le crois vraiment : Limite, c'est généreux de ta part de l'avoir abattu tout de suite... J'aurais pas donné cher de sa peau si Valérian, Thais ou Ruby lui avaient mis la main dessus avant toi... que j'souffle dans un soupir.

Je secoue la tête : Vu ce qu'ils avaient à lui faire payer... elle a échappé au massacre commis par Romy, et la torture. L'genre de trucs où faut avoir les nerfs bien accrochés si on veut s'en remettre de voir ça. Un grognement m'échappe néanmoins : Tu dis ça pour que je te soulève et te jette à la flotte, c'est ça ? Je sais bien qu'elle a pas pris de gilet. Mais pas que : Tu penseras à prendre tes brassards la prochaine fois, comme ça, je me moque un peu, l'occasion de venir la serrer contre moi.

Elle se laisse faire, en profite aussi. Je l'étreins fermement, j'ai presque envie d'l'absorber, pour qu'elle puisse jamais m'échapper, mais j'me retiens. Elle plonge dans mon cou, réveille mes instincts, et ses mots murmurés m'font me raidir sans me défaire d'elle. Oh. Ok. Je me redresse et croise son regard, j'ai l'air d'l'interroger des yeux, d'la fixer comme si je la découvrais. Mais c'est pas ça. C'est pas que ça : Dès qu'on est rentrés, tu viens me voir tout de suite, que j'annonce d'un ton ferme. C'est pas une question, ça. C'est une affirmation. C'est avec force que je l'embrasse pour l'empêcher de parler. Et pour lui transmettre toute la tension qui m'habite après ce qu'elle a réveillé.