« Salut » souffle Allïa en se rapprochant de Dana. Elle n'est pas mécontente de les retrouver enfin Emilie et elle. L'archère désespérait d'avoir des nouvelles après le long hiver passé à Crescent Bay. Maes et Maya sont toujours loin et la distance commence à être plus que difficile. Sa fille lui manque tellement, elle a du grandir en presque deux mois. Ici, ils multiplient les sorties pour tenter de mettre la main sur les pirates mais c'est peine perdu. Personne ne sait où ils se trouvent et tant que leur menace restera dans les parages, les chances de revoir son enfant sont faibles. Il est hors de question de faire revenir les petits dans le coin. Qui sait ce que les pirates pourraient leur faire ?

Allïa s'adosse à la porte. Elle tient son arc et quelques flèches dans son autre main et porte un long manteau, épais vu la saison. Les températures sont basses, encore plus en bord de mer où un vent assez désagréable souffle. « Je vais chasser, tu veux m'accompagner ? » Les sorties à deux sont généralement plus sûres que seule. Entre les morts, les animaux, le danger est omniprésent.  

La chasseuse continue : « Il nous faut de la viande, les ressources fondent beaucoup trop vite... » A plusieurs factions et avec tout ce qu'embarquent les pirates chaque début du mois, ils vont vite se retrouver à court de nourriture. Elle ne serait pas contre une bonne grosse dinde ou quelques lapins pour faire un vrai festin. « Tu as déjà essayé l'arc ? » demande-t-elle. Chasser en extérieur peut difficilement se faire avec une arme à feu, ou en prenant le risque d'attirer tous les rôdeurs du coin sur eux et ce n'est pas vraiment ce dont ils ont besoin en ce moment. Gérer des pirates est déjà bien suffisant ! « On peut aussi aller vérifier les collets que j'ai posé hier » Avec un peu de chance, des animaux s'y seront retrouvés piégés. Ce serait de la nourriture sans effort au moins...

« On va éviter les armes à feu de toute manière, j'ai vu des rôdeurs trainer dans le coin l'autre jour » affirme Allïa. « Mieux vaut y aller à l'ancienne : les collets ou les flèches » Alors si Dana n'a rien de tout ça et bien tant pis, elle sera ses yeux pour la journée. « On sera pas trop de deux pour repérer des traces. » La brune lui montre son arc. « Il faut comprendre le truc et s'entrainer » Il n'y a pas de miracle. Elle en fait depuis des années quotidiennement. Elle avait commencé à Détroit, à la fac. « Tu essaieras ! » promet-elle. C'est l'occasion après tout. « Tant que tu me perds pas toutes mes flèches » Un bref sourire soulève ses lèvres.

Lorsque Dana s'inquiète pour elle, l'archère hausse les épaules. « J'ai pu leur échapper, je suis pas la plus à plaindre » souffle Allïa. « Valérian et Anton ont pas mal morflé.. Et Ruby... » Elle ne poursuit pas, Dana a bien dû voir dans quel état les pirates l'avaient mise « Sans parler de Kat et de Gin... Qui sait ce qu'ils sont en train de leur faire. » Ses poings se serrent. Elle se sent impuissante ici. « C'est plutôt pour eux qu'il faut s’inquiéter. Moi, j'ai juste la dalle et puis... » La chasseuse jette un petit regard vers son amie. « Ils me manquent. » Maes et Maya, forcément. La séparation est difficile, même si ce n'est pas la priorité. Il y a plus urgent à s'occuper forcément, mais le manque est tout de même bien présent.

Le premier collet se trouve non loin et dès qu'elle l'aperçoit, Allïa laisse échapper un juron. Le piège a bien attrapé un animal, mais il ne reste que du sang et quelques touffes de poils. « Un autre animal a dû le choper. C'était surement un lapin. » Elle montre des traces autour. « Un gros chien ou un loup peut-être » Elle ne s'y connait pas suffisamment pour l'affirmer, mais ça l'embête bien. « Je passe pourtant tous les jours.. » Elle grommelle, furieuse d'être passée si près d'une source de nourriture dont ils auraient bien besoin.

«  Et toi ? Comment tu te sens ? » Allïa lui retourne la question de manière assez prudente. Elle sait que Dana a dû laisser Yulia et son bébé là-bas, à Telve et ne plus pouvoir veiller sur sa sœur doit être insupportable. Et puis, l'histoire des pirates et de la prise d'otages commence à durer et pèse sur le moral de tous. Si les deux femmes ne sont pas les plus à plaindre physiquement, il n'empêche qu'elles ont le droit d'avoir un coup de mou elles aussi. « Et les autres, ils ont le moral ? » Axelle, Yulia, Maes, Cesare... les exilés qui ont du fuir.

Dana a raison malheureusement. Ils ne peuvent pas vivre avec un prédateur potentiellement dangereux dans le coin. Les sorties sont déjà périlleuses, si en plus une nouvelle menace pèse sur eux, ils ne vont pas s'en sortir. « On y va... » Du bout de son arc, elle montre les traces qui s'éloignent en direction de la forêt. « Je sais pas trop ce qui peut trainer dans le coin par contre. » Elle est attentive aux empreintes, assez grosses. « Un loup peut-être. Ou un chien errant. » Elle montre les traces, plus semblables à un canidé qu'un félin.

Elle reste attentive et repère des branches cassées un peu plus loin. « Elles s'enfoncent dans la forêt » Elles vont devoir y aller elles aussi. Allïa écarte des branchages pour s'avancer. « Attention » Elle relâche le feuillage dès que son amie est passée. Elles n'ont pas trop de mal à suivre les empreintes durant une quinzaine de minutes. Soudain, une vieille maison apparait devant elles. Dissimulée par la végétation, Allïa ne l'avait jamais remarqué avant. « On va voir ? » Elle pousse la porte qui grince dangereusement.

A ce moment-là, un rat surgit des ruines pour se glisser entre ses jambes et la chasseuse retient un petit cri de surprise. Elle dresse alors l'oreille et entend des râles. « Il y a un rôdeur, peut-être deux » murmure-t-elle en sortant son couteau. Lorsqu'elle s'avance dans ce qui fut autrefois un salon, elle a un temps d'arrêt en remarquant les cadavres qui se balancent au bout d'une corde. Les corps sont dans un état de décomposition avancé et l'odeur qui s'en échappe est insupportable. Elle plaque sa manche devant son nez en grimaçant. « Faisons le tour et cassons-nous » A ce moment-là, un craquement retentit et une partie du plafond s'écroule non loin d'elles, libérant les deux morts.

« Je sais bien » affirme Allïa. « Mais aux dernières nouvelles, t'es humaine aussi, t'as des sentiments, des émotions » Elle lui jette un regard en coin, un sourire aux lèvres. « Enfin... Je crois » Elle a rarement vu Dana craquer, même jamais. Elle l'a déjà vu en colère, mais c'est probablement la seule émotion qu'elle a pu discerner chez elle. L'archère hoche la tête quand son amie affirme qu'ils tentent tous de tenir bon malgré l'éloignement. Ils sont tous logés à la même ancienne, oui.

La chasseuse est surprise de l'effondrement de la poutre. En même temps c'était un peu prévisible. En entrant dans la maison, elles ont réveillé les deux morts qui ont fait bouger le toit de la maison en ruine. « Non, rien de cassé, et toi ? » Elle regarde rapidement autour d'elle. « Fais attention, que le reste du toit ne nous tombe pas sur la gueule. » Dana prend celui de gauche. Allïa s'occupe donc du deuxième. Elle s'avance, lève son couteau de chasse. Le mort s'avance vers elle et lève un bras vers elle. Dans sa chute, la moitié de la peau de son visage s'est arraché, dévoilant une dentition noirâtre et pleine de sang coagulé. « T'es vraiment écœurant » lâche-t-elle à la charogne. La lame vient pénétrer le cerveau pour l'achever et le mort retombe au sol, inanimé.

La brune enjambe les ruines et tente de se frayer un chemin jusqu'à la seconde pièce. Elle l'ouvre avec beaucoup de difficulté. C'est la cuisine. Allïa fait rapidement le tour. « Ils n'avaient plus rien à bouffer, c'est surement pour ça qu'ils se sont suicidés. » Classique et terriblement barbant. Allïa a déjà crevé la dalle et elle n'a pas renoncé pour autant à se battre. « On ressort ? » Visiblement, elles n'auront rien à tirer de cet endroit.

Les deux femmes font le tour de la maison et tombent sur un garage, fermé par une lourde chaine. « T'as de quoi ouvrir ? » demande-t-elle à Dana. Ses yeux cherchent aux alentours, mais à part une grosse pierre, elle ne déniche rien de plus. L'endroit était fermé solidement, elle est forcément intriguée et veut en savoir plus.