Pourquoi ça ? Je fronce les sourcils et le fixe. Il a beau en rire, moi je suis pas sûre que ça me fasse spécialement marrer de mon côté. Et puis, sa remarque sonne comme une menace que je suis pas persuadée d'apprécier, pour tout dire : Je devrais en avoir quelque chose à faire de ce qu'ils pensent ? Sinon quoi ? Je hausse les épaules en le disant, l'air d'évoquer le fait que j'en ai absolument rien à taper : Ils vont me frapper ? Déjà fait. Ils vont me violer ? Déjà fait, je marque une pause en le fixant : Ils vont me tuer ?

Un rire soufflé m'échappe en le disant, comme si ça avait aucune putain d'importance pour moi à cet instant. C'est bête mais, comme je suis pas sûre de repartir d'ici, je sais que je finirais soit comme un sac à foutre, soit à me jeter à la mer pour échapper à cet enfer. Parce que ça n'est pas déjà leur but ? Ils veulent nous broyer ici, on est déjà du bétail tatoué pour être différencié des autres. Je ne sais pas si je sortirais d'ici vivante, et il faudrait que je passe mes possibles dernières heures à faire semblant d'en avoir un truc à taper des vindictes d'abrutis consanguins qui se pensent tout puissants ?

Et puis quoi encore ? Je roule des yeux : Regarde-moi bien ne pas du tout changer d'attitude, parce que y'a pas un monde où ça me touche. Je le suis simplement, dans un silence froid, tandis qu'on va vers... Je sais pas trop qualifier ça. Son atelier ? Je ne crois pas que la question soit en rapport avec la féminité, que je lui souffle en réponse alors qu'il veut me faire une leçon : Plutôt avec le fait que tu sois possiblement gay, ça me tue de devoir le lui expliquer, tiens : Plus facile de trouver des stylistes homosexuels qu'hétérosexuels, non ? Souvent, ils s'en cachaient pas, ça allait avec le package. Mais ça va avec l'image du métier : un peu comme les coiffeurs, quoi.

Et puis comme tu dis aussi : en cuisine, y'a surtout des hommes qui sont considérés comme des chefs, alors qu'on vient nous balancer des saloperies sur la place de la femme derrière les fourneaux, je hausse les épaules en l'disant avant qu'un soupir m'échappe, sans faire très attention à son attitude j'crois. Après, ils sont sans doute avisés d'pas me laisser cuisiner personnellement, et d'laisser ça à d'autres : j'suis une terreur avec un micro-onde et en plus, si c'est là où sont rangés les couteaux, j'aurais limite envie d'les récupérer pour les suriner avec, oh ouais, je me verrais bien en finir avec deux ou trois connards rapidement.

Ouais dommage mais, ça va rester de l'ordre du fantasme il faut croire, parce que ça ira pas plus loin. Pas très envie de croiser Ulrich pour vérifier tout ça, et d'comment je vais prendre cher derrière. Mais bon, ça ferait des tâches, puis ensuite des trucs à nettoyer, et vu qu'le ménage c'est aussi un truc de nanas, ça veut dire que j'devrais tout laver derrière, ça fait un peu chier, cette vie est un cercle vicieux d'préjugés quoi, on va pas aller chercher plus loin, et c'est pas dans notre nouveau monde qu'on va révolutionner le truc. C'qui était en chacun, et qu'y'avait de pire, c'est juste devenu le bon côté de leurs personnalités.

Je scrute l'atelier, m'en étonne un peu : C'est tout à toi ? J'ai envie d'attraper tous les trucs, les regarder, les remettre dans le désordre. Mais c'est tellement ranger que j'me dis qu'il va me faire une crise de nerfs comme Valérian si j'm'y mets. Tu travailles pour le capitaine ? Ouais ça me frappe d'un coup : J'crois que j'comprends pourquoi ils s'en prennent pas à toi, que j'ajoute, en réfléchissant et en levant les bras comme il me le demande : Il doit aimer que tu lui fasses des pièces uniques, il doit se sentir comme un roi avec toi, ça paraitrait cohérent non ? C'était ton métier, avant ? Il s'y connait déjà plutôt bien. Est-ce que je peux m'asseoir ? J'ai le ventre qui tire, que j'lui demande après coup. J'sais pas si t'as déjà porté une boule de bowling sur ton ventre, mais ça fait le même effet...

Ouais, j'te le fais pas dire, je baisse les yeux, un bref sourire passe sur mes lèvres notamment parce que j'essaie de m'amuser un peu d'la situation. Et à l'abri de cet atelier, on est pas audibles pour les autres. Mais bon... T'attends quoi de gens qui pensent que leur pénis est magique, et qui l'ont mal pris quand ils ont découvert que les femmes sont capables d'orgasmes sans eux, hein ? Mon sourire se fait moqueur évidemment, ça me fait évidemment repenser à la dernière engueulade avec Valérian, et m'pousse à me dire que je préfèrerais encore retourner dans cette chambre pour me battre avec lui plutôt qu'être ici.

Comme quoi, absolument tout est une question de perceptive, n'est-ce pas ? Je cherche pas plus loin que ça, j'ai conscience que j'aurais pas mieux de toute façon. Je me contente de soupirer de plus belle : Tu sais quoi ? Je crois que je détesterais être un mec en fait, y'a peut-être une part de moi qui les plains parce qu'ils sont pas toujours très futés, qu'ils voient le monde par un prisme obtus et stupide, qu'ils se pensent fort alors qu'ils ont des faiblesses évidentes à n'importe quelle occasion, ouais, c'est ça leur problème : le fait qu'ils sont un peu trop misérables, incapables d'empathie, d'estime, de bienveillance.

Ils ont tout, tout cuit, dans la bouche et ils en sont encore à merder à plein tube, que je soupire alors en le laissant prendre mes mesures : Imagine si nous, on avait le pouvoir de tout réussir quand ça nous chante ? On merderait pas autant, c'est sûr, ouais, on s'en sortirait mille fois mieux. N'empêche que je l'écoute finalement et fronce les sourcils. J'ai l'impression d'entendre un double discours quand même. Ou une révélation : Tu es arrivé quand ici ? que je lui demande, avant d'être plus franche : T'étais comme moi, avant, non ? Enfin, ça me semblerait logique, qu'il ait été otage. Non, je crois pas, ça m'ira déjà très bien, que j'ajoute à sa question, avec un petit signe.

Donc, tu étais comme moi, et tu as fini par accepter ton sort ? Si on peut le dire ainsi, je sais pas si c'est le bon mot. Je le scrute, en serrant mes bras contre moi l'espace d'une seconde. Les yeux plongés dans les siens, je le scrute ensuite s'atteler à ce qu'il sait faire, sans doute la meilleure manière qu'il ait de se changer les idées et de pas se noyer dans cet enfer personnel : Si j'accepte le mien, je vais finir à faire la pute avec les autres, j'admets que ça me motive pas... J'esquisse une grimace de circonstances, en tentant de faire de l'humour.

C'est un peu stupide mais bon. Et voilà qu'il me questionne, sur d'où je viens, et sur les gens qui me recherchent... Apparemment. J'en doute un peu, et j'espère pas trop finalement : Je viens de Seattle, y'a un an de ça, on vivait sur place avec mon groupe, dans un endroit qu'on appelait "la Cage", on organisait des combats entre survivants en échange de ressources, paris et tout ça, que je lui explique pour lui mettre un peu de contexte. Je sais pas si c'est facile à suivre mais bon, c'est factuel au moins.

Il y a un gros groupe, New Eden, qui a rasé la zone et pris le contrôle du lieu où nous étions tous, il y a eu des morts, des gens crucifiés pour leur politique, leur loi, et on a dû fuir, bref, les New Eden sont les méchants de l'histoire quoi, je résume pas trop mal l'idée : On a reconstruit cette cage en se promettant de plus jamais se faire attraper, avec mes amis, et un sourire ironique m'échappe : Et puis de passage dans le coin, c'est là-bas où ils nous ont trouvé... Les pirates, son équipage par défaut.

Je hausse les épaules : Ils ont décapité un garde, tué un autre, tabassé une fille gratuitement, si on se rebellait, on était tué, ou pire, pour une femme en tout cas, le pire est vite admis, quoi. Mais bon peu importe, j'insiste pas. Ils ont tué l'un des notres, ici, Joaquin. Parce qu'il s'est dressé contre eux de la pire manière. Et pour qu'on se tienne gentiment, ils nous l'ont montré, à moi, et... Un ami, Roman, qui s'en remettra probablement jamais. Si tu es là depuis longtemps, tu as dû voir pire que ça, clairement. C'est nul...