La grecque prenait peut-être pour la première fois la mesure de l’enfer qu’avait vécu son ancien compagnon entre les grilles closes de Portland. Si elle n’avait jamais minimisé l’horreur de son séjour là-bas, elle n’était jamais parvenue à l’imaginer concrètement. Sans doute était-elle trop innocente, trop inexpérimentée dans la cruauté et le sadisme pour admettre que des scénarios aussi monstrueux puissent exister à quelques centaines de kilomètres de chez eux. Elle comprenait mieux la position de Sebastian et Camila vis-à-vis de New Eden, leur opinion moins extrême que la sienne à ce sujet. Finalement, si Walla Walla était un fléau à éradiquer, il avait su conserver un semblant de civisme en son sein, contrairement aux barbares d’Oblivion…

« Nous avons tous nos cadavres dans le placard, Sebastian… » Tous les Fuckers ne pouvaient pas se targuer d’avoir les mains propres. Peter avait son lot de casseroles, sans parler de Gabriel, Richard, et que dire de Zack ou elle ? Ils étaient sans cesse poursuivis par leurs démons, le passé était accroché à eux comme une ombre indissociable. Le sang qui tapissait leurs mains était indélébile. Méritaient-ils l’absolution pour leurs crimes ? Méritaient-ils cette seconde chance ? « Certains plus que d’autres, certes… » Elle se risqua à un trait d’humour avant de se réfugier derrière son verre. « Vous devriez peut-être faire le décompte de victimes avec Gabriel, ça en soulagerait au moins un des deux. » Elle esquissa un sourire complice en essayant de faire briller une lueur familière dans le regard sombre du brun. Elle détestait l’avoir replongé dans ces souvenirs douloureux, et sauta sur l’opportunité de dissiper la brume.

« Je suis sûre qu’elle t’a préparé des tonnes de plats plus succulents les uns que les autres ! » réagit-elle à sa remarque sur Olivia. « Je suis même un peu jalouse. » Elle regrettait le temps où elle aussi pouvait jouir des talents culinaires de la jeune femme à The Haven. « Je suis sûre que tu as fait exprès d’étirer ta convalescence pour en profiter au maximum. » renchérit-elle en rivant sur lui une œillade suspicieuse.

La légèreté de l’atmosphère ne fut qu’éphémère, comme souvent… Le sujet de sa grossesse surprise lui fit l’effet d’un courant d’air glacé. « Je n’en veux pas, je… Je pars à The Haven dès demain avec Gabriel pour faire le nécessaire. Ce sera l’histoire de quelques jours, une semaine tout au plus. » répondit-elle mécaniquement. Elle réalisait qu’en parler rendait tout beaucoup trop concret. C’était terrifiant. Les sourcils froncés, elle releva le menton vers Sebastian seulement pour secouer la tête, sévère. « Ne dis pas n’importe quoi. Tu as été exemplaire du début jusqu’à la fin. Tu ne pouvais juste pas savoir que j’étais maso. » sourit-elle tristement. C’était le pire dans leur histoire. Elle n’avait jamais rien eu à lui reprocher, elle n’avait toujours rien. « Du jus de fruit ? Je… non, ça va pas ! » protesta la grecque en secouant la tête. Elle avisa son verre, en bougeant mollement les épaules. « De toute façon, demain, il n’y aura plus de raison de s’en préoccuper. » N’est-ce pas ? Elle esquissa un sourire en le regardant avec un mélange d’affection et d’amusement. Il ne pouvait pas s’en empêcher. « Ce n’est pas idiot, je n’arrête pas de vomir depuis plusieurs jours. C’est ce qui a mis la puce à l’oreille à Faith. Mais je n’ai pas spécialement faim, non, c’est même plutôt le contraire pour l’instant. » La simple vue de la nourriture l’écoeurait.

« Je ne devrais même pas t’en parler, je ne sais pas pourquoi je t’impose ça. » s’excusa la brune en se redressant pour laisser son ami tranquille.