Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là, comme un con, le sourire aux lèvres, à l’observer sans savoir aller vers elle, dans cette tenue bien trop étroite pour moi, mais que j’ai accepté de mettre pour elle. Comme cette coiffure ou ma barbe taillée, après des mois passés à vivre comme un animal enragé dans les égouts, j’ai vraiment eu envie de faire des efforts pour celle dont la perte présumée m’avait presque détruit. Presque une éternité à la penser morte, a ne voir son visage qu’en rêve et a avancer sur un chemin aussi sombre que sanglant en la pensant perdue a jamais mais en refusant de l’oublier… la revoir bien vivante est un bonheur tellement intense en lui-même que je suis terrifié de tout gâcher en en voulant plus.

Je n’ai pas eu trop de mal a la trouver sur la base, Yulia m’a bien aiguillé, le reste… c’est sa voix qui m’a guidée. Même dans les souvenirs que j’avais chéris de cette femme merveilleuse que j’avais épousée, ce son ne m’avait pas paru si envoutant. Je l’ai découverte occupée a s’affairer pour nettoyer des restes de cette maudite tempête et j’ai presque eu le souffle coupé de sa beauté. Incapable de bouger, je suis resté a la regarder, presque hypnotisé devant celle a qui j’avais donné mon cœur. Malgré sa pâleur, les signes de fatigue ou le poids qu’elle a perdu depuis ce maudit mois de novembre, je la trouve magnifique et rayonnante. Solaire, forte, belle, j’ai presque l’impression d’être devant un mirage fugace qui pourrait disparaitre dès que je m’approcherais.

Je la vois manquer de trébucher avec une branche qu’elle n’avait pas vue et cela met fin a cette léthargie. D’un mouvement souple, je me précipite pour la rattraper avant qu’elle ne tombe. Cette fois, impossible de fuir ou d’hésiter, je suis là, devant ses yeux, craignant de voir sans son regard le rejet du monstre que je suis devenu. Avec un sourire presque gamin, je brise le silence en tentant un :

« On m’a dit qu’une belle blonde avait des soucis de carrosserie et besoin d’un partenaire pour chanter du Disney sous les Etoiles. »

Puis, avec une voix vibrante d’émotions, mes prunelles plongés dans les siennes, j’ajoute :

« Je t’avais dit que je reviendrais…. Excuse moi d’avoir mis autant de temps… »

Le moment semble se figer alors que ses yeux rencontrent les miens et que je vois son air surpris d’être dans mes bras, moi-même, j’ai du mal a y croire tellement cela semble irréel. Si je me perds dans ses iris azurs, je n’ose pas bouger, de crainte qu’elle me repousse ou de briser cet instant où tout parait suspendu. Puis, je vois les larmes arriver et mon cœur se serre du mal mais, avant que je sache en dire plus, ses lèvres trouvent les miennes et je lui rends son baiser avec d’autant plus de passion que je me pensais privé a tout jamais d’elle. Ma main de libre passe sur son visage dans une caresse tendre, redécouvrant ce visage tant adoré, alors que l’autre garde sa taille fine prisonnière contre moi.

J’ai presque du mal à accepter que sa bouche s’éloigne de la mienne. Je voudrais que le monde s’arrête, je voudrais que nous ne soyons que deux dans cette chambre du bord de mer ou nous avions fait notre lune de miel, avec l’éternité devant nous pour nous retrouver, mais c’est un luxe que je ne peux lui offrir malgré la joie touchante que je lis sur ses traits. J’ai un sourire qui se dessine sur les miens, un sincère et lumineux comme je n’en ai que peu eux depuis novembre. Avec plus d’émotions que je ne suis capable d’en contenir, je lui dis :

« Je… je t’ai cru morte Emie… je… j’ai pensé que j’avais merdé… j’ai… je vous ai cherchés avant de me dire que je m’étais planté comme une merde pour vous protéger… je voulais vous retrouver dans la mort après en avoir tué le plus possible…»

La suite n’était qu’une longue errance sur le chemin stérile de la vengeance, bravant tous les dangers dans l’espoir fou que la mort me fauche après une ultime valse sanglante ou je tuerais en son noms ceux qui nous avaient attaqué. Je perds ma main dans les cheveux de sa nuque, la serrant un peu plus contre moi, comme si j’avais peur qu’elle disparaisse. C’est peut-être un peu le cas après ces nuits à la pleurer et ces journées a la venger. Je finis par la relâcher légèrement pour la regarder encore et encore avant de briser ce silence :

« Je t’aime tellement… je n’arrive pas encore a réaliser…»

Je fronce les sourcils, un peu inquiet en notant les petits signes de fatigue et les traces des angoisses qu’elle a vécues. Moi je n’ai gagné que des cicatrices et du muscles malgré les privations et la maladie, de toute façon, je ne m’en rends pas compte. Avec autant de douceur que de prévenance je lui demande :

« Tu veux qu’on aille se mettre ailleurs ? Un peu a l’ombre peut être ? Tu as mangé ce matin ? Et promis, je ne te chante pas de sérénade sans ton accord. »

Je lui fais un clin d’œil a ce petit souvenir de notre premier rencard.

Ces mots me font mal, je ne peux qu’imaginer ce qu’elle a traversé parce que je n’ai pas été foutu de les retrouver, parce que je me suis merdé, comme je devine ce qu’elle va devoir vivre juste parce que je suis prisonnier d’une promesse. Je n’ose dire a Emie ce que Yulia m’a confié sur le fait qu’elle m’a vu revenir, pas seulement parce que j’ai pitié de l’état de la patronne, mais plus que ca ne servirait a rien alors que l’histoire ne peut être refaite.

« J’ai été tous les jours au devant de la mort en espérant qu’elle nous réunirait enfin, mais elle n’a pas voulu de moi, et, pour la première fois depuis novembre, je crois que j’en suis heureux. »

Je m’étais vautré dans une violence sans complaisance, bien décidé a faire offrande d’une mer de sang de fanatiques sur l’autel de la vengeance de cette famille qu’on m’avait arrachée. Sans complaisance, distillant autant d’horreur que la souffrance que je ressentais d’avoir tout perdu, je me suis enlisé dans une guerre que j’avais, pourtant, voulu éviter. Si, au final, le destin a épargné les miens ce qui suffisait a tous les bonheur de ce monde merdique a mes yeux, il n’en restait pas moins un enfoiré de me la rendre après avoir écorché a vif mon âme déjà bien abimée. J’ai un sourire tendre qui passe sur mes traits alors qu’elle parle de ce qu’il y a de plus précieux a mes yeux : mes enfants.

« J’aimerais tellement les revoir… je ne sais même pas si je reconnaitrais Logan. Gemma aussi a du bien changer…»

Mon visage reprend un air de chien affamé qui sait que le repas n’est pas pour de suite, si tant est qu’il sera la un jour. Avec autant de prudence que de gravité, je lui demande :

« Ils… enfin… tu leurs a dit pour moi ? Ils savent que je suis en vie? »

Risquent ils de devoir me pleurer une deuxième fois parce que leur père a préfère se battre qu’être a leur coté ? Rien que d’y penser, mon cœur se broie un peu plus. Je pense qu’Emie lit en moi et devine qu’il y a un souci, je vois bien les efforts qu’elle fait pour me rassurer. Je ne peux que l’embrasser a nouveau a ses mots. J’ai été tellement trahi, tellement manipulé, on m’a fait miroiter de l’affection pour mieux m’utiliser et me tromper. Je pensais que ma vie était vouée a jamais a n’être que ce chien galeux qu’on ne veut pas vraiment ramener a la maison a moins d’y être forcé. Et puis, il y avait eu Emie. Trop douce, trop belle, trop parfaite pour une raclure de caniveau comme moi. Elle avait su me montrer un autre chemin en m’aimant, simplement, sans rien me demander d’autre en échange que de l’aimer en retour. Mon baiser n’a rien de chaste, bien au contraire, d’ailleurs, je dois prendre sur moi pour calmer le jeu tellement ce qui était, a la base une démonstration d’affection, semble m’enflammer de cette passion toujours intacte. Dans un souffle, d’une voix presque rauque, alors que j’ai fait un effort surhumain pour la relâcher, je lui souffle :

« Je serais tiens jusqu’à ce que la mort nous sépare et même au-delà… »

Docilement, ma main dans la sienne, je la suis vers un coin ombragé et m’assoie a ses côtés. Je lui laisse le temps de me regarder, comme si elle avait besoin de s’habituer a ma présence, tout en essayant de ne pas la dévorer des yeux avec cette fièvre d’un homme perdue devant un mirage. Je suis incapable de lâcher sa main, pourtant, il faudra bien tot ou tard… enfin, plutôt bien trop tot que tard. Son sourire ravive le miens même si mon visage se durcie, autant a cause de la colère, la frustration que de la culpabilité de ne pas savoir aider.

« Yulia m’a fait un petit résumé. J’ai appris ce qui s’était passé et ce que vous aviez subi. Toi, comment te sens tu ? Es-tu sure de te sentir en sécurité là-bas ? »

Elle a pas mal de questions et je n’ai que des réponses affreuses que je n’ai pas envie de donner de peur de tout gâcher. Après un léger silence pensif, je finis par l’attirer contre moi, la prenant risque sur mes genoux, trop heureux de sentir sa chaleur et son odeur.

« Je vais bien pour le moment, je suis avec toi… on est vivant. »

Je finis par me décider a lui raconter :

« Je suis resté en arrière, je pensais qu’Anton et Dana resteraient avec moi se battre, mais, quand je me suis retourné, on aurait dit le refrain d’une mauvaise chanson Française : ils étaient plus là. J’ai géré au mieux. Val et Allia sont arrivés pour me couvrir mais… les trones étaient trop nombreux… vraiment trop. Il a fallu se barrer. Allia et Val étaient blessés alors c’est moi qui ai été allumer la bombe. J’ai couru pour vous rejoindre… mais c’était trop tard. La seule chose que je pouvais faire, c’était essayer d’en coincer le plus possible dans les tunnels pour vous donner une chance. »

Tout en parlant, je lui caresse doucement la nuque, la serrant un peu plus dans mes bras. Reparler de ca est compliqué car mes craintes ont pris le pas sur la réalité de ce moment. Je suis incapable d’être sur d’avoir vu le bateau partir.

« La suite est une longue errance autour de ce qu’est devenu le NML, traquant tous les NE que je pouvais, leur faisant payer vos morts le plus chèrement possible et jurant de les déloger de cette ville que les TE n’avaient pas voulu quitter quand il était encore temps. »

Je soupire et, le regard douloureux, je me penche vers le visage d’Emie pour lui avouer :

« Emie, je suis tellement désolé, je suis là, je suis ton mari, je t’aime a un point ou vivre sans toi était un supplice… mais… je ne suis pas encore vraiment revenu… je ne le peux pas. J’ai… je n’ai pas fini ce que j’ai commencé. »

« Ou c’est juste que je suis vraiment increvable. »

Je lui lance une œillade complice. Est-ce que je me crois vraiment immortel ? La vraie réponse est « ca dépend des jours et des moments » mais, dans mon fort intérieur, je sens que je mourrais quand même un jour et que ca sera en décembre. Ca a toujours été le pire mois de ma vie, celui on je pensais crever, il y aura bien un jour ou ca ira plus loin que ma penser. Mon regard se voile d’une réelle douleur quand elle me parle de Gemma. Si je suis soulagé que ma fille n’est pas a souffrir d’attendre un retour qui ne se ferait peut être pas, je suis a l’agonie de la laisser dans ce deuil et de ne pas la revoir. En fait, la douleur est terrible, plus que je ne saurais la décrire et je dois prendre sur moi pour ne pas craquer. Les yeux piqués de rouges, je cherche un point invisible sur le bitume en essayant de chasser cette tentation trop douce de rentrer avec Emie retrouver ma famille, redevenir juste son époux et un père, ce que je n’aurais jamais du cessé d’être. Les dents serrées, d’une voix qui trahi mon effort pour prononcer ces quelques mots, j’arrive a articuler un :

« C’est surement mieux que ca reste comme ca pour le moment… »

Heureusement, les baiser de ma femme semblent réanimer une partie plus animale de ma personne et chasser les douloureuses préoccupation des lendemains pour revenir a cet instant. Je sens bien que mon corps aimerait bien lui montrer a quel point elle m’a manquée de la même façon que sa passion me laisse penser qu’elle, aussi, aimerait bien une autre forme de retrouvailles. Apres autant de temps séparés et si peu a passer ensemble, je voudrais tout en même temps. Comme un affamé qui sort du désert voulant manger boire se laver et faire un point sur la situation sans pour autant être capable de déterminer l’ordre de ses priorités. Je souffle contre sa peau, la main dans ses cheveux, les yeux dans les siens, avec un sourire presque timide sur les lèvres :

« J’en reviens toujours pas que tu es vraiment là… »

Je suis rassuré de ce qu’elle m’explique. Ma crainte qui lui soit arrivée la même chose qu’a Yulia ou Axelle est présente mais je ne vois pas, dans ses prunelles, cette petite fêlure pleine de dégout que j’ai vu dans celle de la patronne ou les miennes a chaque fois que je croise un miroir. Je ne sais pas trop qui est Hayden, ni Eccho mais je n’ose lui dire, captivé par le son de sa voix, par son ton qui n’arrête pas de me dire qu’elle va bien, qu’elle est vivante. Pour autant, je la connais, assez pour savoir que sous ses sourires ou son masque tranquille il y a surement bien plus de choses sombres qu’elle cache. Cela tranche tellement avec ce que m’a dit Yulia…

« Emie… enfin… tu peux tout me dire tu sais ? J’ai parlé a Yulia avant de te trouver. Elle m’a raconté pour… enfin… tu vois quoi ? »

Je la regarde avec un air de chiot inquiet. Les pirates, les cannibales, les menaces. Au moins, Connor est là-bas, ca me rassure un peu. Enfin, pas autant que si j’y étais ou si elle restait ici… ou sur le Yacht. Une idée folle qui me traverse l’esprit. Et si elle venait avec nous ? Je la balaye vite au regard des risques avec les NE, pour autant, ca n’a pas l’air mieux ou ils sont. Je retrouve mon sourire quand elle me parle de l’hôtel ou nous avons vécu notre demande en mariage, sans y penser, ma main va chercher le bracelet que je lui avais offert, triste de ne pas avoir eu le temps de lui trouver un autre brol a ajouter pour témoigner de nos retrouvailles. Avec une prévenance maladroite, je lui demande :

« Tu.. tu es heureuse là-bas ? »

J’aurais pu ne pas lui dire tout de suite, nous laisser dans une petite bulle de bonheur avant de la crever impitoyablement, me disant que ce qui était pris n’était plus a prendre. Mais je ne suis pas assez hypocrite et j’aime trop Emie pour lui faire cela. A défaut de pouvoir rentrer, de lui rendre son époux, le père de ses enfants, je lui offre ma sincérité. C’est tout ce que je peux lui donner avec mon amour pour elle. J’ai un regard de cocker battu et elle n’imagine pas la souffrance que je ressens a chacun des mots. Je préférais affronter des milliers de fanatiques que la déception douloureuse que je devine dans ses yeux.

« Emie… »

J’entends à sa voix qu’elle va pleurer et l’attire contre moi, embrassant le sommet de son crane avec tendresse alors que je la serre dans les bras. Je sens ses larmes couler contre mon torse alors que les miennes menacent

« Je voudrais…. Vraiment… je t’aime, tu n’as pas idée a quel point. Les enfants… ils me manquent et tu ne devrais pas avoir de la peine pour les élever sans moi et a devoir m’attendre tant que cette merde durera… mais… mais je peux pas, pas encore. Si je le fais, ça serait ouvrir la porte au NE, ca serait abandonner trop de promesses. On ne quitte pas un combat avant sa fin… Pardonne moi…»

Je suis attaché a mes promesses, incapable d’abandonner ce que je n’ai pas finis au prix d’un déchirement qui me rendrait presque fous. Par les décisions de nos patrons, par les miennes, par ses serments qui ont été mes bouées dans cette marrée de chaos, je me suis consumé dans un combat dont je ne peux pas sortir. Je desserre mon étreinte pour prendre son visage entre mes mains calleuse et lui relever le visage vers le mieux. Mon regard humide brule de cette détresse, de cette culpabilité et de cette résignation qui me déchirent alors que je lui dis :


« Vous etes la plus belle chose qui me soit jamais arrivée. Vous êtes ma force et vous êtes mon ancre. Ou que j’aille, quoi que je fasse, je veux te revenir, a toi et à eux. Je peux te jurer que je ferais tout pour que tu n’aies pas a repleurer a cause de moi… Emie… je m’en veux tellement, je voulais te rendre heureuse, pas te faire pleurer ni t’infliger tout ca. »