C’était l’une de ces rares journées où son sourire en coin ne quittait pas ses lèvres. Aujourd’hui, Aamir se sentait étrangement léger et, il devait l’avouer, plein d’énergie. Son esprit était bien loin des ennuis, des tours de garde, des réveils aux aurores et des séances de tortures de la militaire. Le fait qu’il s’était offert le plaisir de lézarder au lit ce matin y était, à n’en pas douter, pour quelque chose. Mais il y avait bien plus dans la balance que ce petit et trop simple bonheur. Ce qui rendait l’indien si serein, c’était surtout de savoir que sa journée, il la passerait uniquement avec Chris ; à des kilomètres des murs aussi rassurants qu’étouffants de l’ORB ou de la Cage. C’était toujours une rare parenthèse plus que bienvenue  pour lui. S’échapper de cette routine un peu bancale, de changer de décor et de ne pas avoir à contrôler tous ses faits et gestes aux côtés de la personne qui comptait le plus à ses yeux.

Le chauffeur était bien incapable de dire combien de temps ils avaient roulé, alternant discussions et silence paisible. Mais ce qu’il pouvait affirmer, en tout cas, c’était qu’il était presque déçu de devoir déjà s’arrêter. Après avoir caché sa précieuse voiture, le duo décida de terminer les derniers mètres à pied. L’air était frais mais agréable en ce début d’automne et la pluie avait décidé d’être aux abonnés absents. Un parfum de mort flottait toujours dans les airs mais ils y étaient tristement habitués. Alors, Aamir déambulait avec Chris dans les quartiers Nord de la ville, son sourire discret toujours accroché au visage. Du moins, jusqu’à ce qu’il ne soit balayé par une moue faussement surprise et que ses sourcils ne se dressent légèrement.

- Ça fait plus d’un an, t’es sûr de toi ? dit-il en feintant de réfléchir.

Mais bien rapidement, son sourire revint au galop. Bien-sûr que lui aussi le savait. Comment pouvait-il oublier cette nuit où ils avaient finalement osé s’avouer que ce qu’ils partageaient était bien plus que du sexe ? Tout n’avait pas été facile depuis ce jour mais ils s’étaient accrochés et Aamir était plus que reconnaissant que d’avoir Chris dans sa vie. Parce que c’était grâce au tatoueur qu’il goûtait au bonheur et à l’amour.

Les lèvres toujours étirées, l’indien se laissa entraîner vers Chris, l’embrassant avec toujours cette même passion qui ne semblait pas vouloir s’estomper. Une lueur s’alluma d’ailleurs dans ses yeux sombres dès lors que le tatoueur mentionna un souvenir tout particulier. La main d’Aamir remonta doucement vers la gorge de Chris, avant de finalement venir se loger dans sa nuque.

- C’était la meilleure des…

Mais la fin de sa phrase mourut dans sa gorge alors que des voix lui parvinrent aux oreilles, au même moment que son compagnon. Par réflexe, sa main lâcha à la hâte le tatoueur pour aller se poser sur son arme.  D’un signe de tête, il approuva les dires de Chris et entreprit de reprendre sa marche. Mais grand mal lui avait pris que de songer pouvoir partir si simplement dans ce triste monde. Trois des hommes pointèrent le bout de leur nez devant eux, accompagnés de belles paroles à leurs égards. Aamir leva les yeux au ciel avant de se rendre compte qu’ils étaient encerclés. Une boule se forma instantanément dans son estomac et toute sa légèreté s’envola, laissant place à une peur sournoise. Il jeta un coup d’œil vers Chris, son regard en disant certainement plus long qu’il aimerait le dire.

-    Le truc, c’est qu’on a pas vraiment envie de s’amuser avec vous, tu vois ? dit-il alors que son doigt venait se rapprocher de la détente de son arme.

L’homme en face de lui se rapprocha avant de le pousser sur l’épaule.

- C’est que t’as pas vraiment le choix, sale pd

Un bref instant, Aamir baissa les yeux, analysant toutes les solutions qui pouvaient s’offrir à eux. Mais rien ne venait. Il releva le regard.

- Vous voulez quoi ?
- S’amuser, j’ai dit

Un rire gras quitta les lèvres de l’homme qui semblait être leur chef et d’un signe de tête, les autres se mirent en mouvement ; deux d’entre eux se plaçant entre Chris et Aamir pour les séparer. Ensemble, ils ne faisaient déjà pas le poids face à six hommes. Séparément, les choses ne pouvaient que mal se passer.

Spoiler:

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Naïvement, à trop vivre entre les murs rassurants de l’ancienne brasserie ou de La Cage, Aamir s’était laissé à penser qu’une meilleure vie était possible. Il en avait presque oublié les atrocités qui pouvaient régner dehors. Ou peut-être avait-il inconsciemment choisi de les oublier, ces horreurs. D’oublier qu’en dehors de ce petit monde qu’ils avaient fini par se créer, que le chaos était le roi, que la haine était reine. Il n’y avait pas que les Bastards, il n’y avait pas que Chris dans ce monde. La triste réalité dans laquelle il survivait venait de le rattraper pour le fouetter douloureusement en plein visage.  

La voix de son amant, la façon dont il crachait ses mots et pas que, le ramena à cette réalité. L’indien jeta un rapide coup d’œil vers lui. Une courte seconde. Une fraction de seconde d’inattention et le voilà qu’il se retrouvait séparé de sa plus grande force. Il n’avait pas envie de se battre, il n’en aurait sans doute pas la force. Mais pour lui, pour Chris, il serait prêt à tout. Même à perdre sa propre vie. Les mots de son compagnon résonnèrent dans ses oreilles alors que machinalement, sa main droite relâcha son arme à feu pour venir glisser sur la machette qui pendait à sa ceinture. Il l’avait écouté. Il l’avait entendu. Il savait ce que le tatoueur s’apprêtait à faire. Mais jamais il ne fuirait. Jamais il ne le laisserait derrière. Jamais il n’abandonnerait cette partie de lui.

Aamir n’attendait qu’un seul mouvement. Le signal de Chris pour transgresser cet ordre qui venait de lui être donné. Et à peine vu-t-il la batte s’élever et s’élancer dans les airs que l’indien se cramponna à sa machette, se lançant sur l’homme qui lui faisait face. Le poing de l’inconnu se rapprochait dangereusement de ses côtes mais boosté, sans doute par l’adrénaline et la peur, Aamir abattu sa lame sur ce poing refermé.  Un cri de douleur échappa à l’homme qui se remit tant bien que mal de ses émotions, la moitié de sa peau arrachée sur sa main. L’effet de surprise était à leur avantage. Cet avantage qu’Aamir ne voulait pas perdre. Il n’avait qu’une chance à saisir. Qu’une brèche dans laquelle s’engouffrer. Son bras se leva dans les airs et, sans crier gare, sa machette vint s’enfoncer dans le crâne de l’homme. Un coup. Puis deux. Un ultime coup de pied dans le ventre pour que l’inconnu ne s’effondre au sol. Le regard noir de l’indien se releva vers le deuxième homme.

- Il se battait comme une tapette ton putain de pote cracha-t-il cyniquement entre ses dents

Il décala légèrement, tentant de se rapprocher de Chris. Mais le deuxième homme était déjà prêt à attaquer, à venger son ami, tué par un « PD ».

Spoiler:

Seul, il aurait fui. Seul, Aamir aurait été jugé de lâche par certains, de sage par d’autres. Seul, jamais il n’aurait enfoncé la lame de son arme dans le crâne d’une personne bien vivante qui ne se battait qu’avec ses poings. Il aurait sans doute fait ce qu’il fallait faire pour survivre mais jamais il n’aurait tué cette personne sans même essayer de négocier quoique ce soit. Seulement voilà, aujourd’hui, l’indien n’était pas seul. Il était avec sa plus grande force, avec sa plus grande faiblesse.

Sa plus grande faiblesse, parce que c’était sans doute son amour pour lui qui l’avait conduit à cette situation. Sa plus grande faiblesse, parce que tout ce qui pourrait arriver à son amant l’anéantirait et que jamais, Aamir en était persuadé, il ne pourrait s’en relever. Mais c’était surtout sa plus grande force. La personne pour laquelle il se lèverait, se battrait tous les jours. La personne pour laquelle il tuerait. La personne pour laquelle il mourrait, sans même réfléchir. C’était lui. C’était Chris qui le faisait rester, qui le faisait se battre. Parce qu’après tout, Mister Hyde ne pouvait exister sans Docteur Jekyll.

Sa main se crispa autour du manche de son arme en voyant le tatoueur cracher du sang. Son regard, lui, balayait avec frénésie les hommes qui leur faisaient face avant de se fixer sur le corps presque inerte de l’homme qui venait de tomber sous le coup de Chris. Ce fût la présence de ce dernier à ses côtés et ses mots qui le firent relever les yeux. La situation semblait sans issu. C’était soit eux, soit les autres.

Le revers de sa main libre vint effleurer celle du tatoueur, dans un geste furtif. Un trop simple geste sur lequel il ne pouvait pas mettre de mots. Un trop simple geste pour lui indiquer qu’il se battrait à ses côtés, jusqu’à la fin s’il le fallait.

Un rire gras quitta la gorge du plus grands des hommes, visiblement le chef de cette meute d’abrutis.

- Au contraire, je m’amuse plutôt bien moi… J’pensais pas que les pédales savaient se battre. On continue ? lâcha-t-il en poussant le dos d’un de ses hommes qui se jeta sur les deux Bastards

Sans vraiment réfléchir, dans un réflexe aussi idiot que protecteur, Aamir fit un pas en avant pour se recevoir cet homme de plein fouet.

- N’y pense même pas pesta-t-il en voyant le regard de l’homme se poser sur Chris.

S’en suivit alors un enchainement de coups, autant donnés que reçus. Tout son corps lui criait sa douleur mais son esprit lui hurlait de ne rien lâcher. Pour Chris. Du sang commençait à perler de son nez au moment où le côté tranchant de sa machette rencontra la gorge de l’homme qui tomba, inerte, à ses pieds. Aamir n’avait plus réellement la notion du temps, moins encore de l’espace. Tant et si bien que lorsqu’il releva les yeux, pensant trouver ceux de Chris, il tomba nez à nez avec le chef. Ce dernier profita de la confusion et de la faiblesse physique de l’indien pour le ceinturer avant de le retourner face au tatoueur.

- Maintenant tu vas regarder et tu vas voir, c’est putain d’amusant de voir un pd se faire défoncer

Incapable de se défaire de son emprise, le regard d’Aamir se posa sur l’un des hommes qui s’approchait de Chris, prêt à en découdre.

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