Il terminait sa course. Exceptionnellement, il avait laissé à Sean l’occasion de se reposer et de reprendre des forces, surtout que son enseignant lui avait visiblement confié de quoi faire le matin même et qu’il n’était pas en avance. Comme à son habitude, Zelda – sa partenaire – lui avait causé du tort, en lui faisant tout simplement faux bond. La faute à son comportement quelques jours avant et des échos qu’il y en avait. Levi n’était pas au courant de tous les détails, mais étrangement satisfait tout de même de savoir que ses actes avaient finalement des conséquences.

Soufflant, il croisa la route d’Eddie qui rentrait pour sa part d’une garde nocturne. Lui aussi avait eu quelques ennuis, et par ça, Levi comprenait l’absence soudaine au sein du campement. Il n’avait pas eu les détails là encore, le militaire tenant à faire le tri entre toutes ses pensées entre temps, mais ça n’était que partie remise : il finirait par s’expliquer et par prendre des mesures, à n’en pas douter. Là-dessus, Levi le salua tout juste. Eddie semblait un peu à la ramasse étrangement, surtout depuis son « retour » :

Passe plus tard, ok ? fit Levi dans la foulée, l’invitant à prendre : Le pasteur m’a filé quelques bouteilles, ajouta-t-il pour finir de le convaincre.

Ce fut chose faite.

Le soir même, Sacha était de garde au laboratoire, travaillant d’arrachepied pour les infectés avec Clarke. Nathan, lui, était parti au Summer pour prendre du bon temps et rejoindre quelques amis. Levi avait donc la maison pour lui seul, et quand il ouvrit à Eddie ce fut avec un bref sourire en l’invitant à faire comme chez lui. Il ne tarda pas à revenir dans le salon avec une bière décapsulé contre le plan de travail qu’il tendit au brun, avant de porter la sienne propre à ses lèvres.

Il en avait des questions à poser, mais en premier lieu, beaucoup de curiosité. Il se passait de la courtoisie : Eddie le connaissait suffisamment bien pour comprendre qu’il n’aimait pas s’en embarrasser, trop en faire revenait à ne rien faire au bout du compte.

Alors ? Tu vas enfin raconter ce que t’as foutu ? Demanda-t-il de but en blanc.

Offrant sa bière à Eddie, il le scruta rapidement lorsqu’il lui posa sa première question. Ce qu’il pensait de Zelda ? Il n’en avait globalement parlé à personne mais il n’en pensait évidemment pas du bien. Il se contenta d’un haussement d’épaules, comme pour dire que ça l’indifférait alors que dans les faits, il était persuadé qu’il finirait un jour par la tuer. Lorsque ses mains passeraient autour de son cou, qu’il la priverait d’air. Qu’il lui briserait la nuque. Il en rêvait la nuit, et se réveillait dès lors plus serein que la veille lorsque ça arrivait. Un bref rictus sur les lèvres, il écouta pourtant son ami.

Il eut du mal à comprendre où il voulait en venir. Il n’y avait pas vraiment de suspense : visiblement, Zelda était tombée amoureuse d’Eddie et avait, pour le moins, outre passée les limites. Elle avait perdu tout bon sens, au point de s’en prendre à lui. L’étonnement le trahit, Levi haussa un sourcil lorsqu’Eddie lui expliqua qu’il avait été séquestré par la jeune fille. Qu’elle l’eût drogué au somnifère pour le ligoter à un radiateur, et si Eddie semblait physiquement détaché de tout ça, il y avait un trouble tout de même dans son regard.

La question qui roulait désormais dans la tête de l’agent du Mossad, c’était : pourquoi ne l’avait-il pas tué ? S’il était là aujourd’hui, c’était parce qu’elle l’avait finalement libéré. Lui aurait sauté sur l’occasion pour la saigner, il aurait eu là un bon prétexte. Et ensuite, il aurait probablement eu suffisamment de sang-froid pour justifier son acte. Il se serait fait mal, juste pour appuyer les preuves, pour dire qu’il était en danger. Eddie n’avait pas eu cette présence d’esprit, sans doute déjà dépassé par les événements en eux même.

T’es sérieux ? Demanda tout de même Levi. Non pas qu’il ne le croyait pas, mais ça semblait si gros. Zelda avait pourtant un culot monstrueux, mais il avait du mal à se dire qu’elle pourrait tout simplement perdre la tête. C’est grave, Eddie, toqua-t-il fermement.

Il ne prenait pas ça à la légère pour sa part. Si elle passait ce pas là aujourd’hui, quel serait le prochain ? Un jour, quelqu’un se réveillerait avec le canon d’un flingue au-dessus de la tête, tenue par Zelda, et ça serait déjà trop tard. Levi l’estimait instable, dangereuse et particulièrement emmerdante.

T’as été voir un médecin ? Demanda-t-il alors, fermement. Les somnifères auraient pu le tuer si elle en avait trop mis. Se rendait-il compte que sa situation était sérieuse ? Et tu dois le remonter à June. Là-dessus, Levi était sans appel.

T’as de la pitié pour elle ? Questionna soudainement Levi en posant sur Eddie un regard curieux.

Il ne comprenait pas. Il y avait dans les mots de l’homme une sorte de doute : il savait reconnaitre que, dans le comportement de la jeune fille, il y avait clairement des regrets. Mais Levi n’était pas dupe pour sa part : Zelda ne regrettait que parce qu’elle avait perdu le pouvoir qu’elle avait eu sur son crush du moment. Elle regrettait parce qu’elle avait davantage peur des conséquences qu’un véritable sens moral. Et si l’israélien était si sûr de lui là-dessus, c’était parce qu’il avait beaucoup travaillé avec des gens de cette trempe. Il les reconnaissait.

Zelda n’était pas encore assez maline ou calculatrice, ses plans étaient grossiers, ses envies primaires. Elle était une chatte en chaleur qui miaulait pour de l’attention de la part du mâle alpha du coin. Mais quand elle saura se faire avec le désir qu’elle susciterait chez les autres, quand elle saura se canaliser, être intelligente, réfléchie, comme June peut-être, alors il deviendrait difficile de la mettre sous cloche. C’était maintenant ou jamais.

Elle finira par te tuer si elle peut pas t’avoir. Elle a le comportement d’une obsessionnelle, tu sais déjà jusqu’où elle est allée pour son petit délire d’adolescente. Son avis était donc tranché et il n’en démordait pas. Une gorgée de bière plus tard, il reprit : C’est pas un jeu pour elle, elle déraille complètement, ajouta-t-il.

Elle finirait par tuer quelqu’un, ou par le faire tuer. Ça serait forcément une personne innocente, qui ne mériterait pas son sort. Mais elle en serait responsable d’une manière ou d’une autre. Elle avait besoin de claques pour comprendre peut-être, puisqu’elle crachait à la figure de tous ceux qui lui tendaient la main. C’était peut-être aussi là où Eddie avait tort : à force de vouloir lui expliquer de manière pédagogique, il l’encourageait à croire qu’il n’y avait aucune conséquence à ses actions.

June pourra peut-être pas la cadrer, par contre… Il haussa les épaules : Elle devra prendre des mesures pour que ça arrive plus jamais, fit-il encore plus tranché. Sinon, je prendrais ces mesures moi-même.

Et dans ce cas, elles seraient définitives et expéditives.

Moi, j’suis pas si sûr de ça, rétorqua Levi à la remarque d’Eddie. Est-ce que c’était vraiment une question d’éducation, ou d’épidémie ? Il eut un bref rictus mauvais : Elle se comporte pas comme une gamine traumatisée, ou un soldat rentré d’la guerre : t’en as vu comme moi des gens marqués par ce qu’ils ont vécu, ils font pas ça. Elle, c’est qu’une merdeuse qu’a pas pris assez d’coups.

Et non, il n’avait aucun scrupule à dire quelque chose comme ça. D’autant plus qu’au vu de la situation, l’accent de Levi reprenait doucement le dessus sur sa maitrise. Zelda avait un don pour lui taper sur les nerfs, mais à l’armée et ensuite au Mossad, il en avait vu des plus tordus que ça se fait discipliner comme un petit écolier parfait. Cette gamine ne souffrait pas l’autorité ? Quand on viendrait arrêter de lui mettre la main sur l’épaule en lui expliquant quinze fois les mêmes choses, et qu’on remplacerait les mots par les coups et les privations, peut-être qu’elle se rentrerait dans le crâne qu’on avait pas envie de l’entendre.

L’avis de l’arabe était tranché là-dessus : il n’était pas là pour écouter des enfants se plaindre de sentiments qu’ils ne maitrisaient pas. Alors venant d’une adolescente, quasiment adulte ? Encore moins. Lui était dans le contrôle, et tout ce qui s’en dédouanait, par principe ou par mépris, méritait d’être remis dans le rang rapidement et sans sommation. Levi aurait probablement été un instructeur très dur à l’armée. Pour cette raison, le Mossad ne l’avait jamais mis en équipe : il ne valait mieux pas.

Elle a pas peur de faire du mal aux gens qu’elle aime, parce qu’elle aime personne, elle sait pas ce que c’est, souffla-t-il après une gorgée de bière : Tu sais comment on gère les psychopathes en puissance ?

Il ne pensait à rien d’autre. Parce qu’au fond, les gens avec le même mental que lui, il les reconnaissait un peu. Levi frisait avec la sociopathie, il en avait conscience. Cependant, il avait vu suffisamment de psychopathes en soif de pouvoir et de désir de tester les limites qu’il savait avec quoi il jouait.

Elle fait exprès de pas comprendre la pédagogie, si la méthode douce marche pas, je connais la méthode dure, proposa-t-il à Eddie alors, en réponse à sa question. June était peut-être trop douce avec elle, pensant pouvoir la canaliser. La preuve en était que non, ça semblait impossible par les biais ordinaires. Qu’importait ! Elle avait à disposition des hommes qui n’étaient pas tous soumis à une morale hors pair ! Qu’elle en profite…