Janvier 2017

C'était une des plus mauvaises périodes de sa vie. L'épidémie était désormais globale depuis de nombreux mois, et si le fort lui offrait toutefois un semblant de sécurité et un peu de stabilité, celle-ci avait pourtant été pas mal mise en déroute quand ses proches furent emportés, quelques mois plus tôt.

Aaron s'était alors peu à peu renfermé sur lui-même, meurtri et dépressif. Son deuil fut difficile, et aussi il passait le plus clair de son temps à entretenir sa forme physique, se traînant parfois dans les bars plus pour chercher la bagarre qu'autre chose, afin de se sentir encore vivant. Il ne repartait pas toujours à la maison seul, mais n'était que peu réconforté par ces quelques moments de lâcher prise, finissant invariablement par boire jusqu'à être complètement soul et trouver le sommeil enfin.

La vengeance finit par être envisagée, et si dans un premier temps, il chercha à se rapprocher du principal responsable, les choses s'envenimèrent très vite, et il n'eut d'autres choix que de garder le secret du meurtre qu'il avait commis. Depuis, malgré le deuil, et les remords, il s'impliquait dans la vie du Fort, à sa manière. Donc pas forcément toujours avec beaucoup de pertinence, son tempérament n'aidant pas vraiment à ce qu'il se fasse bien voir, il fut toutefois volontaire pour être formé à l'extérieur.  Et c'est lors d'une expédition de routine avec d'autres membres du groupe qu'ils rencontrèrent un homme d'une trentaine d'années, qui leur causa pas mal de problèmes.

C'était lui qu'il était venu chercher, ce matin-là. Sous la surveillance de certains militaires, depuis deux jours, ils avaient enfin décidé de lui lâcher un peu la bride. Le blond s'était alors annoncé, frappant trois coups à la porte, avant d'entrer. " Yo, c'est le grand jour pour toi ! " il remarqua alors le bleu qu'il présentait à la pommette, à cause du coup que le blond lui avait porté, pour lui remettre un peu les idées en place, il n'y avait pas été de main morte ! " Je t'attends dehors, on va aller faire un tour. " déclara-t-il, avec un rictus mauvais, avant de sortir.

Le gars, d'origine polynésienne visiblement l'avait alors rejoint, alors qu'il l'attendait à l'extérieur, avec Happy. Le husky, un peu méfiant, grogna un peu avant d'aboyer, mais le coursier lui fit signe d'arrêter. " Alors, Elias... Apparemment, ils ont décrété que t'avais rien d'un taré, et que tu pourrais te faire ta petite place ici... Heureux ? " il ricana alors en l'observant dans le détail, avec la mine un peu déconfite qu'il arborait, il était plus petit que lui, mais il arborait une certaine carrure, et sans doute une bonne condition physique aussi. " Allez on bouge... Et affole toi un peu steplait … C'est ton visage que j'ai cogné, pas tes giboles... " ricana-t-il avant de commencer à revenir sur la route principale, pour un petit tour du propriétaire improvisé. Mais c'était de Aaron qu'on parlait, et étant donné que le premier contact entre les deux hommes ne s'était pas très bien passé, il fallait s'attendre à tout.

Ce serait un doux euphémisme de dire qu'ils étaient partis du mauvais pied, tous les deux. Mais Aaron se fichait bien de la courtoisie, et de ce genre de conneries, il préférait vivre à l'instinct. Et son instinct lui disait que ce petit gars savait définitivement pas quand la fermer. Au lieu de s'estimer au moins heureux que les responsables du Fort avaient pris une décision favorable en ce qui le concernait, ce cher Elias préférait plutôt jouer les ingrats de toute première catégorie. Après, il le comprenait, en partie. Il n'avait pas été accueilli de la manière la plus agréable qu'il soit, mais la méfiance était une des premières choses dont il ne valait mieux pas être dépourvu, si on voulait éviter de se retrouver dans une mauvaise passe, il les comprendrait sans doute, plus tard.

Mais à croire, qu'à ce moment précis, ça ne lui avait pas suffi d'avoir causé tout ce remue-ménage, il avait du cran ! " Ah ouais ? " le blond avait alors pouffé de rire à la remarque du polynésien, alors qu'il s'était accroupi pour caresser Happy. " Alors laisse moi juste mettre les choses au clair pour toi, petit con. " il se releva alors, le toisant désormais en reprenant un air un peu plus sérieux. " T'es encore plus ou moins incognito ici, et à côté de certaines personnes qui vivent ici, ces troufions de soldats, c'est clairement des enfants de cœur... "

Le coursier hocha alors gravement la tête, comme pour appuyer encore un peu plus ses propos, avec un petit sourire en coin. " Donc, je trouve ça quand même sympa de ma part de te filer un coup de main pour tes premiers jours ici. Maintenant, si t'as pas peur de te faire flinguer ou planter... " il haussa alors les épaules, prêt à partir. " Il y aura pas besoin de me le dire, pour que je me sente pas responsable. " comme il avait de bonnes raisons pour lui suggérer qu'il lui était nécessaire de rester dans son sillage ! Ne restait de toute façon plus qu'à Elias, sacrée tête brûlée qu'il était, de prendre la bonne décision.

Ils n'avaient même pas fait deux mètres que les arguments fusaient déjà de toute part entre les deux hommes. Sauf que Aaron n'était pas vraiment d'humeur, il se serait fait une joie de lui flanquer son poing dans la gueule, histoire de lui faire un autre joli coquard de l'autre côté du visage. Mais force était de constater que Elias ne manquait définitivement pas de cran ! La manière dont il lui tenait tête et son air sauvage le démarquaient facilement des autres. S'il restait dans les parages, il ne risquerait certainement pas de s'ennuyer.

Le blond eut toutefois un mouvement de recul quand son interlocuteur cracha à ses pieds, alors que ses poings se serraient, instinctivement. Et l'air de rien, il osait se foutre de lui en lui demandant où il comptait l'emmener. Le jeune homme demeura silencieux, l'observant avec un air très contrarié sur le visage. Happy avait du capter les sentiments de son maître puisqu'elle avait commencé à grogner à l'attention du polynésien, qui ne se laissa toutefois pas démonter, et pour une fois, il marquait un point. Peut-être n'avaient-t-ils pas forcément envie de traîner ensemble tous les deux ? Sauf que c'était pas si simple. Ce demeuré n'en avait pas conscience, mais ça faisait partie d'un accord tacite entre le coursier et plusieurs des militaires. S'il se chargeait de la très pénible besogne d'orienter Elias lors de ses premiers jours au fort, ils pourraient fermer les yeux sur certaines choses, comme par exemple le fait qu'il possédait une arme à feu, ou qu'il avait tout bonnement refusé de partager la maison familiale avec d'autres survivants.

" Mais c'est que t'es perspicace … Tu me rappelles Sammy dans Scooby Doo... " ricana-t-il avec un grand sourire narquois. " Aussi débile que lui … Excuse moi deux neurones, mais tu croyais peut-être qu'ici tu allais te poser dans un coin et te les gratter toute la sainte journée ? " il devait le convaincre de lui être agréable, afin d'arriver à ses fins, mais n'empêche qu'à son égard, il était loin d'avoir de bonnes intentions... Et si il lui réglait son compte, qui s'en soucierait ? " Il faudra que tu te rendes utile d'une manière ou d'une autre mon salaud, et personne ne plie à la règle... " il avait alors haussé les épaules, l'air de dire que ça le concernait aussi, mais qu'il n'était pas celui qui décidait de tout ça.  " Je te file un ou deux tuyaux pour pas que tu fasses de la merde et je montre les bons endroits … C'est pas trop te demander connard ? "  et puis, c'est pas comme s'il devait quelque chose en échange, ou qu'il lui soit redevable, difficile à imaginer vu comment les choses avaient commencé.

Il était loin d'être enclin à collaborer, et au grand désarroi de Aaron, ils étaient entrain de perdre un temps qu'il aurait sans doute préférer à consacrer à autre chose, alors qu'ils n'avaient même pas fait deux pas ! Elias campait sur ses positions, et qu'il ait envie de le provoquer, ou de se comporter comme un parfait ingrat importait peu. Le blond avait une furieuse envie de le cogner pour lui remettre les idées en place. C'est bien parce qu'il avait quelque chose à y gagner, sinon il serait déjà parti.

"  Fais toi plaisir ... " souffla-t-il devant l'envie du nouveau venu de résumer l'histoire jusqu'à présent. Happy manifesta son ennui pour eux deux, avec de petits couinements, signe qu'elle n'avait plus envie de rester sur place. Pour ne rien arranger, le blond ponctua chacun des temps morts du récit de Elias par un air faussement choqué. " Non … On a fait ça? " ricana-t-il. " Tabasser ? Allons allons... "

Pour sûr que le polynésien avait mal pris la démarche, personne ne pourrait le blâmer pour ça. Mais ce qui agaçait le coursier, c'est qu'il était incapable de voir la finalité, que maintenant qu'il était ici, les choses finiraient par aller mieux pour lui. Mieux que s'il avait été à l'extérieur en tout cas. Mais bon, ça semblait plus facile de tout nier en bloc et de se plaindre visiblement, le baratinant avec un exemple plus ou moins concret, qu'il écouta à peine. " Tu dis toujours autant de conneries !?  … Ça chouine pas autant une biche … Un dindon à la limite... "

Même s'il commençait à perdre un peu patience, il avait préféré prendre les choses avec légèreté autant qu'il le pouvait, observant son interlocuteur qui avait initié quelques pas en sa direction, le touchant à deux reprises avec le bout de son index, jusqu'à ce qu'Aaron se recule, très contrarié -il ne supportait tout simplement pas qu'on le touche- " Génial... Tu penses vraiment que c'est mieux à l'extérieur de toute façon et que t'es qu'une victime en fait ? " il répliqua de la même manière, le poussant du bout du doigt. " … C'est bien, au moins, t'as des projets... Attends... " il fourra ses mains dans ses poches, afin d'en ressortir des vieux papiers ainsi que d'autres petits objets qu'il proposa à Elias. " Quand tu seras à l'extérieur... Tiens, j'ai un trombone et une ficelle, tu peux me construire un hélicoptère tant que t'y es ? " il n'attendit pourtant pas qu'il les récupère, les balançant un peu plus loin en haussant les épaules. " Et puisque t'es si malin, d'ici là, tu comptes faire quoi de si intéressant hein ? " lui demanda-t-il, les bras croisés, avec un air cette fois-ci un peu plus sérieux.