L'ÈRE DES RAPACES
Décembre 2023 – Quartier International, Walla Walla

Les mois se font longs depuis sa mise au ban. Si ces dernières semaines, Julian a pu saisir quelques opportunités pour travailler avec la nouvelle justice de Walla Walla, ou même chercher des pistes du côté de personnalité connue comme la sénatrice Torres, il lui semble que sortir de la condition dans laquelle il est tombé relève toujours du tour de force. Il a beau avancer, il patine, comme une voiture embourbée, incertain de quelle roche pourra lui permettre de se sortir de là.

Alors après avoir visé les nouveaux puissants de ce régime, Julian a tourné l’œil vers les autres, les comme lui : les indésirables. Pas les médiocres, non, au contraire. Ceux dont on connaît le caractère dangereux et dont on a préféré estropier les ailes pour éviter qu’ils ne deviennent une menace. Ceux qui ne demandent qu’une opportunité pour prendre leur revanche sur le monde. C’est donc avec une oreille attentive, qu’un jour de service au Trinity, il attrape le nom d’Adrienne de Castel et prend connaissance de sa sinistre réputation forgée dans de nombreuses batailles.

Le nom lui a dit quelque chose, oui, mais il ne s’intéressait pas à l’époque à la politique extérieure de New Eden. Il était bien assez occupé à traquer les embryons de rébellions et mater la véhémence de certains civils pour mettre son nez dans les affaires des militaires. Mais c’est saisi d’une curiosité malsaine, trop heureux de retrouver ses habitudes de limier, qu’il se mit sur la piste de cette fameuse Adrienne. Il comprend rapidement que celle qui fut l’ennemi de Walla Walla leur a récemment demandé l’asile, et que beaucoup la surveillent encore du coin de l’œil avec un mélange de méfiance et de haine pour les vies qu’a raflées son chasseur. Que pensait-elle, en venant ici ? Quel est son but ? A défaut de pouvoir se réintégrer à la vie citoyenne, Julian commence à penser qu’il serait peut-être dans son intérêt d’aller à contre-courant. Il sait que certains sont les insatisfaits de ce régime, et qu’il ne faut parfois pas grand-chose pour renverser la table. Cette Adrienne pourrait être un atout stratégique. C’est une femme, certes, mais ce n’est pas l’heure de faire la fine bouche.

S’il n’obtient pas son adresse exacte, il glane au moins un secteur : le quartier International - ou à défaut Spokane, mais il n’a aucune envie d’aller aussi loin pour papoter avec ce qui n’est pour le moment qu’une hypothétique alliée de circonstances. Une fois sur place, il n’hésite pas à demander autour de lui : il est curieux de voir la réaction des voisins à l’évocation du nom de la Française. Ceux qui la connaissent regarde de pied en cap cet étrange inconnu venu lui demander sa direction : long manteau sombre, chapeau de feutre, nez en bec d’épervier, style qui pourrait paraître élégant mais avec un je-ne-sais-quoi de perturbant. Ils haussent les épaules et lui donnent ce qu’il veut : ils s’en fichent pas mal. Ainsi Julian se rapproche, de rue en rue, jusqu’à être suffisamment proche pour saisir en vol son objectif à la sortie d’une échoppe de nourriture. « Madame de Castel, » l’interpelle-t-il en Français en se fiant à la description physique récoltée pendant son enquête – au pire, se tromper ne lui coûtera pas grand-chose, mais ils ont cela en commun de boîter tous les deux. « Ou puis-je vous appeler Adrienne ? Je ne me trompe pas, n’est-ce pas ? J’aimerais vous dire que j’ai entendu parler de vous, malheureusement, ce n’était pas en bien. » Une introduction les pieds dans le pied, comme il aime le faire. Il a l’intuition que l’ancienne pilote n’est pas du genre à tourner autour du pot.