« J'vais faire un tour ! »

Elle n'est pas beaucoup sortie, ces derniers jours, Zelda. Elle a passé le plus clair de son temps prostrée dans son lit ou allongée dans le jardin de la maison. À observer le ciel ou le plafond en ressassant le passé, en faisant de son mieux pour se rappeler des moments passés en compagnie d'Ela. Leur rencontre, l'évolution de leur relation, la façon dont l'israélienne a réussi en endosser le rôle de mère de substitution. Sa tutrice a souvent brillé par son absence. Elle n'a pas été parfaite. Mais elle incarnait une part de sa nouvelle famille, un morceau important de son existence.

Et aujourd'hui l'australienne doit composer avec une douloureuse évidence : cette femme qui a su se ménager une femme dans son coeur ne rentrera plus ! Tout ce qu'il reste d'elle, c'est une tombe vide dans le cimetière de Fort Ward. Une de plus.

Zelda se sait résiliente. Elle est consciente que le temps emportera son chagrin dans son sillage et qu'il lui restera, un jour, une multitude de beau souvenirs. Mais ce même temps s'écoule bien trop lentement à son goût. Et la libération, l'acceptation, lui semble bien trop loin. Pour l'heure l'adolescente a simplement besoin d'un peu de solitude. Ou de distraction. Elle ne sait même pas vraiment ce qu'elle souhaite. Alors elle se contente d'exister.

Et donc, la voici qui s'est décidée à retrouver l'extérieur pour profiter un peu de ce printemps qui peine à s'affirmer. Elle répond d'un vague signe de la tête ou de la main aux gens qui prennent la peur de saluer et se contente d'ignorer ceux qui regrettent son retour, qui auraient voulu la voir succomber à l'extérieur. Il y a peu de compassion pour sa perte. Et c'est tant mieux ! Elle n'aime pas la condescendance. Et encore moins l'hypocrisie.

Au bout d'une petite heure ses pas la mènent presque naturellement vers les rivages du camp. Elle ferme un instant les yeux pour savourer l'air frais puis s'installe sur le sable, extirpe un joint de sa poche et le glisse entre ses lèvres avant de l'allumer d'un geste maîtrisé. Elle recrache une première bouffée de fumée puis laisse son regard vagabonder sur les environs.

Il y a plusieurs personnes qui profitent du beau temps. Une bande de jeunes un peu plus loin. Des jeunes qui n'appartiennent pas à son groupe et parmi lesquels elle reconnaît Jenny, sa pire ennemie. Elle s'acharne dès lors à les ignorer du regard pour observer le reste du rivage. Il y a un homme et Dean, un peu plus loin. Le premier lui dit quelque chose. Il est arrivé au cours du dernier été. Le garçon n'a jamais recueilli son attention vu leur différence d'âge et son manque de patience avec les enfants. Aussi n'a-t-elle jamais parlé à l'un et l'autre.

Dean finit par disparaître et l'homme se retrouve donc seul. Inutile de dire qu'elle est étonnée lorsque ce dernier la salue d'un signe de la main et l'invite à le rejoindre. L'australienne hésite un instant puis se lève et s'époussette les fesses avant de s'approcher de lui. Cette forme d'audace la surprend. Mais la curiosité s'est révélée la plus forte. Il faut dire que le duo était drôlement affairé jusque-là. Et elle se demande ce qui a tant pu les captiver.

En posant les yeux sur ces cannettes déchiquetées et les bonhommes auxquels elles ont donné naissance, l'adolescente finit par arquer un sourcil. Elle craint de comprendre... « J'ai un peu passé l'âge de jouer à c'genre de trucs, tu sais ? » Car c'est bien pour ça qu'il l'a fait venir, non ? Pour remplacer son camarade de jeu de sept ans ? L'adolescente tire une nouvelle fois sur son joint et se fend d'un sourire mécanique, dénué d'une quelconque forme de légèreté. « Et toi aussi, non ? » La voici qui lui décoche un regard entendu. Il n'a rien de mieux à faire ?