Partir une dizaine de jours avec Chester, Gary et Archie m'a fait le plus grand bien. Il faut dire qu'avec eux trois on est dans tous sauf les mauvaises ondes et que notre expédition a bien souvent pris des allures d'éclats de rire et de délires les plus farfelus. Je pense que je suis le plus responsable de la bande, mais ça ne m'empêche pas de me laisser entraîner sans rechigner dans leurs aventures. Je n'ai pas eu trop de mal à les convaincre ni à leur cacher les vraies raisons de cette expédition qui avait pour but premier de trouver quelques petites choses pour aider Alex dans sa grossesse. J'ai dû les noyer dans plein d'autres découvertes (pour la plupart plus délirantes qu'utiles à la survie du groupe) et les trois autres n'y ont vu que du feu. Il faut dire que je ne pense pas qu'ils soient très versés dans l'éducation et les soins aux enfants. Au cirque, je m'occupais souvent des plus jeunes, je suis loin d'être un expert, mais je sais comment m'en sortir. Je sais en quoi consiste majoritairement les besoins d'un enfant, d'un bébé. Je me sens ressourcé par ces moments d'insouciance, serein aussi et je ne suis même pas certain d'avoir vraiment envie de rentrer. Une sensation étrange au creux de la nuque, celle d'un mauvais pré sentiment fort probablement. A l'approche du camp j'inspire profondément tout en tirant derrière moi un chariot rempli de toutes nos découvertes.

Nous nous arrêtons finalement au centre du campement et j'abandonne là mon chariot pour courir chez Alan. Il semble être absent et la mine dépitée je m'en vais alors reporter mon affection vers Onyx qui se jette sur moi en ronronnant, se frottant contre mes jambes. Je suis ravi de constater que Milow s'est bien occupé de lui. Je passe de longues minutes à lui caresser le haut de la tête avant de lever les yeux et de constater que l'endroit me semble particulièrement calme. Je hausse les épaules, c'est probablement le contraste de me retrouver un peu seul après avoir bouffé les énergies chaotiques et positives des trois autres pendant des jours. Je me détache de Onyx et me précipite vers la caravane d'Alex. Il faut que je sache si elle va bien, comment se passe sa grossesse et que je lui parle des découvertes que j'ai faites pour elle. Un peu trop excité, je bondis vers l'avant en manquant de trébucher et je me dirige vers sa caravane en gloussant. Je finis pourtant rapidement par froncer les sourcils en voyant Anatole monter la garde devant sa porte. Je l'interroge rapidement et tout ce qu'il me dit c'est qu'Alex a fait une bêtise et qu'il faut que j'aille voir Connor. Je ne comprends pas. Je tente de forcer le passage, mais je comprends bien qu'il est exclu qu' Anatole me laisse passer. Mes poings se referment violemment, ongles qui s'enfoncent dans les paumes et sans plus attendre je pars à la recherche de Connor. Lorsque je l'aperçois finalement, je l'interpelle devant sa caravane.


Hey ! Connor ! Tes meilleurs éléments sont de retour.

Je tente une approche relativement pacifiste avec une pointe d'humour, mais mon corps trahis bien toutes les tentions qui le traverse.

Je voulais voir Alex, mais Anatole ne veut pas me laisser passer. Il doit y avoir moyen de trouver une solution parce que je ne vois pas de quel droit il m'empêche de la voir !

Mon dos se redresse et je fixe Connor droit dans les yeux. Déterminé, mais pas agressif pour autant, j'attends de savoir de quoi il en retourne.

L'accueil de Connor me paraît cordial, mais il ne faut pas longtemps pourtant à l'empathie pour comprendre que le boss est préoccupé. Mon cœur s'emballe un peu plus fort. Qu'est -ce qui a bien se passer pendant mon absence ? Est-ce que Alex va bien? Je serre le poing un peu plus fort encore. La façon qu'il a se replier sur lui-même ne fait qu'augmenter mon inquiétude. J'entrouvre les lèvres pour lui assener une foule de questions, mais je suis interrompu avant de réussir à  prononcer le moindre mot. Il me dit de le suivre. Un frisson désagréable glisse le long de mon dos et je suis tenté de lui dire que je veux savoir ici et maintenant. C'est seulement en me rappelant sa mine inquiète que je décide de me calmer. En apparence du moins, parce que sous la peau ça bouillonne et j'ai un ton moins agréable que je le voudrais quand nous discutons de tout et de rien en nous éloignant du campement. Et pas de quelques mètres ! Oh non ! On part carrément en balade pendant une bonne vingtaine de longues minutes et à chacune d'elle qui défile, mon impatience se fait un peu plus grande, ma frustration un peu plus forte.

Désolé, on s'éloigne parce qu'on est écoutés

J'entrouvre les lèvres en affichant un air d'incompréhension. On nous écoute. Mais quoi ? Comment ? Qui ? La panique monte d'un cran alors que ma jambe s'agite, indiquant très clairement que je ne suis pas au top du contrôle de mes émotions. Et je me fige brusquement dans mon agitation quand il reprend la parole. Alex, une infiltrée ! Quoi ? Non mais on dirait qu'il me raconte le scénario d'un film de série B. Nous kidnapper pour faire de nous des esclaves ?!? Ca me fait étrangement pensé à ma rencontre avec Isha, mais si ca se trouve ça n'a rien avoir.  Je me demande même si ce n'est une blague et si le monde tournait encore comme avant, je serais tenté de chercher les caméras. Il continue pourtant, le plus sérieusement du monde. Il parle alors du petit frère d'Alex et tout semble prendre sens au fond de moi, au fond de mon regard. Les souvenirs de cette première rencontre avec elle et ce que j'ai lu en elle. Je l'avais trouvé, son frère, en quelque sorte. Mon regard glisse sur le côté, se perd dans la végétation et je serre toujours la mâchoire en tenant de démêler tout ça au mieux dans ma tête.

Si tu veux la voir, c'est sous surveillance, et tu devras être fouillé. Tu étais proche d'elle, mais on ne peut pas lui faire confiance.

Je tourne la tête et pose sur Connor un regard que je n'aurais jamais pensé poser sur lui. Je suis guidé par mes sentiments et je manque de contrôle. Je lui réponds alors les dents serrées.

Me fouiller ? Genre, je pourrais faire quoi ? Lui apporter une arme ? Laisse-moi rire. Tout ce que je lui apporterais ce serait pour l'aider et pas à tous nous plombé ou lui donner l'idée de se plomber elle -même.

Je fais un pas en arrière, monte mes mains sur mes tempes et  je me gratte les cheveux dans un geste rageur avant de m'arrêter pour replonger mon regard dans le sien.

Qui nous écoute et comment ? Et tu sais qu'elle est enceinte au moins ? Vous avez intérêt à en avoir tenu compte. J'espère bien qu'elle n'est pas détenue des dans conditions déplorables !

Je serai à deux doigts d'invoquer les droits de l'homme, mais je sais que ce fait bien longtemps qu'ils n'existent plus. Je m'empresse d'ajouter.

Ok donc elle nous a trahis pour sauver la vie de son frère ? Et en quoi c'est un problème ? Ça prouve qu'elle est prête à tout pour les gens qu'elle aime. Mets-toi deux secondes à sa place ! Tu n'aurais pas fait pareil pour défendre ta famille ? Ceux que tu aime ? Et vu le comportement d'Alex, moi je dirais qu'on a tout intérêt à ce qu'elle nous aime nous aussi ! Je suis certain qu'elle serait capable de la plus grande loyauté envers nous si elle n'avait pas eu la vie de son frère dans la balance. Tu crois vraiment qu'elle voudrait retourner chez des gens qui ont fait ça à son frère ?! Il faut la libérer maintenant, lui expliquer tes intentions et je suis certain qu'elle nous aiderait, qu'elle serait de notre côté et...

Je m'arrête au milieu de ma phrase parce que je réalise que j'ai les larmes aux yeux et que j'ai besoin de reprendre mon souffle. Je secoue la tête d'un air un peu perdu.

Je fronce les sourcils quand il parle des compétences d’Alex. Je comprends ce qu’il veut dire même si j’ai du mal à l’assimiler. Les yeux humides, il est évident que je parle avec mes émotions. Je respire de manière saccadée et finalement je choisis de me concentrer sur ce que dégage Connor. Et ça me rend fou parce que j’ai l’impression qu’il fait tout pour que je ne parvienne pas à cerner quoi que ce soit. Pourtant, je perçois finalement comme une tension dans sa nuque, signe d’une irritation. Je ne sais pas si c’est la situation ou ma réaction qui la provoque. Je serre la mâchoire.

Je suis pas en train de négocier avec toi, je t'explique les règles aujourd'hui,

Un peu brusqué, mes épaules se tendent lorsqu’il reprend la parole. Et je continue de me renfrogner quand il dit qu’il en a rien à foutre des excuses que je peux trouver à Alex. Je recule d’un pas et secoue la tête, le regard perdu. Je suis incapable de me montrer aussi tranchant que lui, l'empathie bien trop présente dans chacun de mes raisonnements. Ma main se serre en poing, les ongles qui entrent dans la paume de ma main lorsqu’il parle du fait qu’elle aurait pu se confier à Bruce ou à moi. Et ça fait mouche, que oui elle aurait pu et qu’elle ne l’a pas fait, mais une fois encore je fais tout pour l’ignorer. Elle avait peur, la pression trop forte sur ses épaules. Je comprends très bien qu’on puisse s’enfoncer dans quelque chose sans trouver comment en sortir, que les issues ne soient plus visibles. Je suis convaincu qu’Alex devait être morte de peur et ce n'est pas certain que ça excuse quoi que ce soit , mais ça explique. Tout va trop vite dans ma tête alors que petit à petit je vois aussi le point de vue de Connor se dessiner comme cohérent, même si j’ai du mal à l’accepter.

Il me répond finalement à la mention de la grossesse d’Alex et de...ses agressions. Il y en a eu plusieurs? Un instant mon souffle se coupe dans ma gorge et je perds l’équilibre pour me rattraper de justesse à un arbre. Comme un coup au fond de mon ventre de devoir  l’imaginer gérer ça toute seule en plus du reste. Il assure ne pas la torturer, ne pas la frapper et avec une pointe d’agressivité, je lui réponds.

J’espère bien ! Elle a subi d’autres agressions? Enfin ce n'est pas la question, mais je reste convaincu que la pauvre est complètement perdue. Tout ce qu’elle a vécu ces derniers temps. Je n'ai pas la prétention de penser que j’aurais géré ça correctement, que j’aurais fait les bons choix.

Ma main se relâche et je fais finalement un pas vers Connor. J’inspire profondément et pose mon regard dans le sien.

Je comprends bien que tu ne peux pas agir comme moi tu sais. Que tu es en quelque sorte responsable de nous tous, que ça met un poids sur tes épaules et que tu n'as pas le droit à l’erreur. Je t’admire pour ça. Je respecte ça aussi, mais ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas utiliser ma position à notre avantage et jouer sur les deux fronts. Ça ne veut pas dire non plus que malgré ce monde qui nous entoure on ne peut pas aussi faire preuve d’humanité. Ne lui donne pas de seconde chance, mais laisse-moi lui en donner une. Une porte de sortie. Une occasion de prouver qu’elle est du bon côté, parce que là vous ne faites que lui donner raison de ne pas nous avoir parlé. Parce que c’est quoi la solution . L’issue ? Une fois que son frère sera récupéré ? Tu ne pourras pas la garder enfermée éternellement…

Et j’ai presque peur de la réponse qu’il pourrait me fournir à cette question. Un frisson désagréable qui me glisse au creux des omoplates.