Quand je dis que je suis vraiment du genre à être capable d'oublier ma tête si elle n'était pas accrochée au reste de mon corps. Après mon passage à la boutique de Nell, je suis effectivement rentré à la maison. J'ai déposé le bouquet dans un grand verre que j'ai rempli d'eau, suis parti me doucher et m'apprêter un peu pour au moins avoir l'air de quelque chose. Et du coup, le temps de me laver, me préparer, me coiffer, une touche de parfum, et tout ça... Je suis parti sans le bouquet.

Donc après m'en être rendu compte à la moitié du chemin jusqu'à chez Phoebe, j'ai fait demi-tour et suis retourné en courant chez moi pour le récupérer. Alors oui, j'ai peut-être un peu de retard. Mais d'un autre côté, on n'avait pas vraiment de rendez-vous tous les deux. J'ai simplement décidé d'aller la voir et de lui offrir quelque chose. Pour lui faire plaisir. En espérant voir ce sourire illuminer ses traits comme à chaque fois. On est pas vraiment censés se voir avant le mariage, pour je ne sais trop quelles superstitions anciennes, mais l'excuse des préparatifs fonctionne toujours. Même si on s'occupe vraiment de ça. Au moins je peux la voir. C'est tout ce que je demande.

Arrivant enfin devant la porte d'entrée, essayant de me recoiffer un peu pour ne pas trop montrer que j'ai couru comme un idiot, je cache les fleurs dans mon dos et frappe contre la porte avec ma main libre. Il ne faut pas très longtemps d'ailleurs pour qu'on vienne m'ouvrir, et un sourire étire immédiatement mes lèvres lorsque mon regard se pose sur le visage de Phoebe.

C'est même un petit rire amusé qui m'échappe lorsqu'elle me dit immédiatement qu'elle a réussi à terminer le plan de table, sans prendre le temps de me dire bonjour ou me laisser le temps de le faire. Mes joues rosissent légèrement lorsque ses lèvres viennent se poser sur l'une d'elles et heureusement pour moi, ma course dans le froid a suffisamment rougi ma peau pour que ça ne se voit pas trop. On dirait un adolescent parfois, c'est ridicule.

Suivant ma fiancée à l'intérieur, j'hésite un long moment à m'asseoir sur le canapé parce que j'arrive pas à savoir où est-ce que je vais bien pouvoir continuer de cacher le bouquet. Heureusement pour moi, elle semble bien trop concentrée sur tous ces papiers et croquis qu'elle me présente pour faire attention à ma façon de m'installer pour ne pas écraser les fleurs.

J'observe un petit peu toutes ces feuilles qui se trouvent devant moi et fronce légèrement les sourcils en entendant le nom du docteur être mentionné. J'observe ma fiancée, un peu intrigué. Pourquoi il a fait ça? Je n'ai jamais eu la « chance » de rencontrer cet homme, mais il suffit de voir l'expression de Phoebe pour savoir que je ne l'aimerai pas. Simplement par extension.

Là, c'est un peu le stress. Parce que j'ai toujours une main dans le dos pour tenir le bouquet convenablement et voilà que la blonde me tend une tasse de café et une assiette de muffins. Alors, un peu maladroitement, je tente de stabiliser les fleurs dans mon dos et attrape les deux en les posant rapidement sur la table basse.

Mais heureusement pour moi, la conversation reprend et couvre le bruit du papier qui se froisse quand les fleurs glissent légèrement contre le canapé. Oups. Je me racle un peu la gorge, pour continuer de couvrir le bruit, et offre un sourire rassurant à Phoebe. T'en fais pas, j'ose à peine imaginer à quel point ça a dû être galère de réussir à faire ce plan de table. Je comprends que tu sois aussi soulagée de l'avoir terminé! Et c'est sincère.

Ma journée, ça a été. Et la tienne ? T'as encore dû courir partout, te connaissant. C'est toujours ce qu'elle fait de toute manière. Et quand elle me demande si je veux lui donner mon avis sur quelque chose, j'imagine que c'est le top départ qu'il me fallait pour lui offrir son bouquet. Alors je me décale légèrement, repassant ma main dans mon dos pour saisir les fleurs et les lui tendre, presque avec timidité encore une fois.

En rentrant, je suis passé devant un fleuriste. Alors je suis allé faire un tour, pour aborder le sujet du mariage et voir ce qu'ils ont, en leur disant bien que tu viendrais toi pour la décision parce que... Bah, c'est évident quoi. Et puis je doute pas que t'aies meilleur goût que moi dans le domaine. Je fais une petite pause, avant de reprendre finalement en tendant un peu mieux le bouquet. Et puis j'ai pas pu m'empêcher de te prendre ça... J'avais envie de te faire plaisir... En espérant que ça soit le cas?

Les sourcils toujours froncés, j'ai beaucoup de mal à me dire qu'inviter cet homme n'est pas une bonne idée. Et lorsque Phoebe évoque le fait qu'elle n'a pas vraiment le droit de refuser, ça m'énerve. Oui, c'est le cas à chaque fois. Et je sais que les choses vont pas changer juste sous prétexte que je déteste qu'on manque de respect à ma fiancée. Ma future femme. Bref. Moi je peux. T'as qu'une chose à dire et je pose mon veto sur sa présence à notre mariage. Je suis parfaitement sérieux, et ça se voit au regard que je plante dans les yeux de la blonde.

Au moins, je suis relativement rassuré lorsque j'entends que sa journée n'a pas été trop difficile non plus. Avec son fils chez la nourrice, ça a permis de lui libérer un peu de temps pour tout faire. C'est déjà ça. Je sais qu'elle passe son temps à vouloir en faire trop, soit par choix soit parce qu'on le lui impose dans cette nouvelle société. Un petit sourire étire le coin de mes lèvres lorsque je l'entends parler de sa robe et je hausse légèrement les épaules. Si tu veux mon avis, quelle que soit la robe, tu seras forcément magnifique, il y a un petit air timide malgré tout sur mon visage et dans ma voix. Parce que je suis sincère quand je lui dis ça.

Puis vient le moment de lui offrir les fleurs que je lui ai prises. Et là, c'est comme si le temps s'était mis à ralentir subitement. Je l'observe, sentant le rouge me monter aux joues et le stress grimper à mesure que mon cœur bat plus vite. J'ai peur qu'elle n'aime pas, qu'elle trouve ça déplacé ou je sais pas quoi. Je me fais beaucoup trop de scénarios en quelques instants à peine, et tous pires les uns que les autres. Y'a bien qu'avec Phoebe que j'arrive pas à voir les choses de façon optimiste. Enfin, non, dit comme ça ça porte à confusion. Juste que j'arrive pas à avoir confiance dans les choses que je fais pour elle. Voilà. J'ai toujours peur de mal faire, d'être trop maladroit ou de pas savoir comment m'y prendre. C'est ce qu'on m'a toujours reproché après tout.

J'ai l'impression d'enfin respirer à nouveau lorsqu'elle prend la parole. Je viens instinctivement me frotter la nuque d'un geste un peu gêné et affiche toujours ce même sourire timide. Quand je suis entré dans cette boutique je me suis dit qu'il était hors de question de repartir de là sans un truc pour toi. J'avais envie de te faire plaisir. Mais j'avais peur qu'elles te plaisent pas... T'es sûr qu'elles te plaisent, hein?

Mais dès que les lèvres de Phoebe viennent se poser sur ma joue, voilà de nouveau ce sourire un peu bête et enfantin que j'ai au visage dès qu'elle fait ça. Parce que ça me laisse pas indifférent, tout simplement. Tendant la main vers elle sans pour autant saisir la sienne, pour lui laisser l'occasion de choisir, je plante mon regard dans celui de la blonde un instant. On peut, si elles te plaisent vraiment. Et je suis sûr que Nell se fera un plaisir de nous conseiller. Enfin, de la conseiller. Je sais pas si c'est bien vu que je vienne avec au moment M. Nell, la fleuriste, est vraiment super sympa. C'est elle qui m'a conseillé pour ton bouquet.

Mon regard vient se poser juste après sur toutes ces feuilles, et c'est comme si je prenais conscience de la réalité de ce mariage. Je perds un peu mon sourire, malgré moi, et continue de regarder les plans de table et autres préparatifs écrits disposés sur la table basse. Dis... Si tu changeais d'avis pour le mariage, que tu avais l'occasion d'avoir « mieux »... Tu me le dirais, hein? Parce qu'il faut le dire, elle mérite bien mieux que moi. De nous deux, la personne chanceuse, c'est moi. On joue pas vraiment dans la même catégorie elle et moi. C'est un peu « La Belle et le Clochard », nous deux. Enfin, c'est ma façon de voir les choses. Alors tout ce que j'espère c'est que si elle a changé d'avis... Elle va pas se forcer sous prétexte qu'on nous pousse à le faire...

Je sais pas pourquoi je suis d'un coup tellement pris par cette vague de peur. Comme si alors que le mariage approche à grands pas, je me rends compte que si moi j'ai hâte qu'il arrive ce n'est peut-être pas le cas de Phoebe. Après tout, dans ce groupe, on sait tous que les femmes doivent faire ce qu'on attend d'elles. Que la plupart des mecs en jouent et s'en satisfont même parfaitement bien.

Et si Phoebe se sentait obligée de faire ça ? D'un côté, c'est le cas, mais... Je sais qu'elle mérite bien mieux que moi. C'est pas nouveau, je suis un loser. Ma chère ex-femme et ex-meilleure amie s'est bien occupée de me le rappeler constamment. Alors est-ce que je peux vraiment prétendre être capable de faire le bonheur d'une femme ? Parce que c'est tout ce que je veux pour elle.

A mes yeux, Phoebe mérite ce qu'il y a de mieux. Et je sais que j'en fais pas partie. Cette boule dans ma gorge ne fait que me le rappeler, chaque fois que je me rends compte que je m'attache de plus en plus à elle. Que... peu à peu, je crois que je commence même à avoir des sentiments pour elle. C'est bizarre de dire ça, je sais, parce qu'on se connaît pas depuis longtemps et qu'on sait pas tout l'un de l'autre mais... Je peux pas vraiment m'empêcher de ressentir ça non plus. Ça s'est fait tout seul.

Je relève le regard vers ma fiancée lorsqu'elle tente de prendre la parole mais je vois bien qu'elle s'arrête. Comme si elle hésitait à dire quelque chose. Franchement, ça fait qu'attiser cette peur que je ressens. Ce moment où elle va m'annoncer qu'elle préférerait être avec quelqu'un d'autre. De plus méritant, qui pourrait lui offrir ce qu'elle mérite, lui procurer la vie qu'elle devrait avoir.

Mais je ne m'attendais pas du tout à ce qui a suivi. Le silence m'a paru durer des heures et soudain, plus rien. Comme si le temps s'était arrêté. Mon cœur fait un bond dans ma poitrine, je crois même qu'il rate un ou deux battements, alors que les lèvres de la blonde viennent de se poser sur les miennes. Là, en cet instant, je les sens ces fameux papillons dont tout le monde parle, au creux de mon estomac.

Et il me faut une fraction de seconde pour me rendre compte de ce qu'il se passe. Ce n'est qu'en sentant la main de ma fiancée sur ma joue que je reprends contact avec la réalité et lui rend timidement son baiser. Avec douceur.

Lorsque nos lèvres se séparent, je reste là sans bouger. J'ai les joues rouges comme une tomate et je regarde Phoebe sans trop comprendre. Un peu comme un gosse qui viendrait de recevoir un bisou sur la joue de son idole. Sauf que là, je viens de recevoir un baiser de la femme dont je suis en train de tomber amoureux. Je le sais, tout au fond de moi. Je... Tu... Ok, donc je sais même plus parler, super, je passe vraiment pour un idiot jusqu'au bout.

Me raclant la gorge pour essayer de retrouver une certaine contenance, je prends une grande inspiration et viens attraper doucement la main de Phoebe pour caresser ses doigts lentement. Mes yeux ne quittent pas les siens et je secoue légèrement la tête négativement. Je te le dirais, oui, mais ça n'arrivera jamais. Parce qu'il n'y a pas une seule femme qui puisse rivaliser avec toi. Je sais que t'as pas vraiment eu le choix de te retrouver avec moi en quelque sorte mais... Moi je sais que j'aurais pas pu être plus chanceux.