Elle plonge sa main dans celle de Peter qui l'aide à descendre du muret sur lequel elle s'est mise pour voir par-dessus une clôture. Rien à observer, mais Tori a tout de même fait attention à tout ce qu'elle pouvait. Ses pieds touchent le sol sur lequel elle se sent bien plus à l'aise, avant de lever le regard vers Peter qui l'interroge. Du nouveau ? Non, rien. Rien du tout. Tout est calme depuis qu'ils ont quitté Tacoma et que les neiges ont fondu. Suffisamment pour que le sort de Zack revienne teinté à la conscience de Tori, qui s'inquiète toujours pour le blond.

Mais ils n'ont pas réussi à le retrouver, et la situation avec Apple, la neige et ensuite la maladie, ont tôt fait de les empêcher d'y penser davantage. Elle en a le cœur lourd, en ayant l'impression de l'avoir abandonné. Sans doute trouvera-t-il la route du No Man's Land si tout va bien, et qu'ils pourront le revoir là-bas. Elle s'accroche à cet espoir, même si eux tardent à s'y rendre, la faute aux intempéries et au fait qu'ils ne peuvent plus se poser sur leurs ressources. Ils ont essuyé une sale période de famine, qui a failli les laisser sur le carreau.

Alors... Décision a été prise de trouver un pied à terre momentané pour exploiter du terrain et des pieds déjà plantés. Et faire des réserves. Leur route s'est arrêtée pour l'instant à Fall City où tous ont pris une direction différente pour trouver de quoi faire. Tori s'est retrouvée avec Peter, comme une évidence, et elle porte sur lui un regard encore troublé. Ils sont ensemble, il parait. Comme un couple. Même s'ils ne l'ont pas défini ouvertement, leurs étreintes et leurs baisers ne laissent que peu de doutes à ce sujet, mais il y a autre chose.

Depuis quelques jours, Tori se sent... Patraque. L'estomac noué, des nausées régulières. Elle a mis ça sur le compte de sa grippe désormais révolue, mais maintenant que les symptômes s'attardent, il n'est plus seulement question de ça. Notamment parce que ces premiers indicatifs lui ont mis une pression. Et depuis une semaine, ses règles n'arrivent pas. Elle n'en a parlé à personne, mais Tori est nerveuse à ce sujet, anxieuse d'être... Peut-être, enceinte.

On va voir ? Demande-t-elle à Peter en récupérant sa main, cherchant à tout prix à éviter de s'attarder sur ces considérations.

Ce ne serait pas productif, mieux vaut attendre et... Aviser en conséquence. Peut-être chercherait-elle à avoir le point de vue de Peter à ce sujet. Si elle ose seulement. Pour l'instant, elle préfère se concentrer sur cette ferme qui lui fait face, à le potentiel qu'elle a pour eux.

Tori relève les yeux vers Peter qui a l'air effroyablement soucieux. Peut-elle lui en tenir rigueur ? Non, elle comprend. Elle aussi, l'est. C'est normal finalement de ne pas pouvoir éprouver la même légèreté que lorsqu'ils n'étaient que tous les deux. Maintenant que le bus a pris son lot de colocataire, qu'ils ont eu droit à la faim et la maladie, évidemment qu'il n'est pas donné à tout le monde de n'en avoir rien à faire. Mais elle préfère lorsqu'il ne s'en formalise pas - tout du moins, pas trop. Lorsque son visage n'est pas marqué par des rides inquiètes, et qu'il ne se perd pas dans des pensées auxquelles elle n'a pas accès.

Cependant sa remarque lui arrache un froncement de sourcils, une sincère surprise alors qu'il parle d'enfant. Comme un heureux hasard, d'autant qu'il n'a pas l'air froissé à cette évocation, bien qu'il ne s'agisse que d'un trait d'humour. Doit-elle s'en faire ? Tori a tôt fait de constater que Peter sait prendre soin de Clara, qu'il s'accorde avec Emily, alors probablement que si les choses s'avèrent vraies et qu'elle est effectivement enceinte, la japonaise n'a pas à s'inquiéter d'être seule, ou non… N'est-ce pas ?

A propos de ça, commence-t-elle alors avec hésitation avant de fermer les yeux un moment. Tu en voudrais, toi ? Demande-t-elle silencieusement.

Il lui a fallu tout son courage pour poser la question. Et elle doit le répéter pour se faire comprendre par Peter. Elle lui laisse le temps de la réflexion, même si par principe, elle s'angoisse soudainement. Alors qu'ils parviennent à rentrer dans le corps de la ferme, l'odeur de renfermé, de moisissure et de morts lui arrache un violent haut-le-cœur qui lui humidifie les yeux. Tori plonge le nez dans son écharpe pour tenter de se sauver la mise sur ce coup-là, quand Peter a l'heureux réflexe d'ouvrir une fenêtre. Pour l'instant, rien…

Ils s'échangent un regard et Tori s'empara maladroitement de sa hachette pour avancer. Pendant que Peter bifurque à droite pour regarder si quelque chose s'y passe, la japonaise s'aventure lentement à gauche. Un couloir s'y présente, plus loin un escalier. Elle dépasse trois portes, plante son oreille contre sans rien percevoir. Finalement, ses pas lui font monter les marches lentement et elle s'aventure plus haut en jetant un regard en l'air.

Mais quand elle parvient sur le palier, elle tourne la tête et de plein fouet se prend un corps debout devant elle. Un rôdeur. Un cri lui échappe et le poids balancé vers l'avant la fait basculer en arrière ! En un rien de temps, la japonaise qui a monté toutes ses marches les dévale sans subtilité avec un cadavre sur les côtes. Et voilà qu'un second les rejoints en se prenant les pieds sur dans un tapis pour les accompagner dans la chute.

Elle a sentit tous les coups, tous les heurtes, mais aucune mâchoire enfoncée dans sa chaire heureusement. Tori se dégage de l'amas de chaire d'un coup de pied dans quelques dents, se glisse en arrière précipitamment, ampute un bras de sa hachette qui se plante dans le sol avant de se saisir de son sifflet. Elle n'a pas besoin de souffler dedans que Peter est déjà là, sans doute ramené par son cri et la chute catastrophique dans les escaliers. Il les achève, et Tori le regarde. Sur les fesses, les yeux ronds, le souffle court et… une certaine stupéfaction :

j'ai trouvé l'odeur, explique-t-elle à sa manière.

Imparable.

Plus de peur que de mal, c'est ce que Tori essaie de se dire en se redressant. Un peu tremblante, elle s'agrippe à Peter qui s'est inquiétée pour elle, et elle semble un peu absente du baiser qu'ils échangent. Elle est choquée forcément, d'autant plus qu'elle aurait pu vraiment se recevoir une morsure et avoir de gros problèmes après ça. Soupirant, la japonaise se force à esquisser un sourire. Elle hoche la tête pour certifier à Peter qu'elle va bien, et c'est discrètement qu'elle baisse les yeux vers son ventre.

Voilà que son esprit semble dans une boucle. Elle s'inquiète pour beaucoup trop de choses à ce sujet, et alors qu'ils continuent le tour avant d'aviser que l'endroit serait bien pour s'installer, Tori relève les yeux vers Peter quand il lui demande pourquoi l'a-t-elle interrogé sur une possible grossesse ou des enfants. Elle pince les lèvres. Sans l'interrompre, il déroule sa pensée, et surtout le fait qu'il ne croit pas en vouloir, qu'il a d'autres problèmes à gérer.

Ah.

La japonaise reste silencieuse et tente de ne rien laisser paraitre, mais elle sent le sang quitter son visage à vitesse grand V. Elle qui espérait pouvoir se rassurer dans les mots de son amant n'est pas capable de trouver une once d'optimisme dans le discours de Peter.

Pour rien, assure-t-elle ensuite en essayant de faire bonne figure, sans que ça soit une franche réussite il faut bien l'admettre. C'était juste pour savoir, ajoute-t-elle dans la précipitation.

Elle prend les devants sur place, sans doute plus pour s'occuper les mains et l'esprit que par nécessité. Les fenêtres se font ouvrir en grand, les unes à la suite des autres, les draps des lits se font tirer, les rideaux se font décrocher rapidement en tirant dessus ou en se hissant sur une chaise. Peter la seconde. Ils recherchent tous les deux des marques qui laisseraient entendre que la ferme n'est pas durablement habitable. Le pire endroit, c'est la pièce dans laquelle séjournait les morts. Il leur faut balancer le matelas par la fenêtre avec tous les tissus, et probablement que les murs auront besoin d'un grand coup de nettoyage. Le reste devra être brulé.

Et si un jour je tombe enceinte, comment tu le prendrais ? Demande-t-elle en croisant les yeux de Peter finalement.

La question se pose, non ? Elle en a mal au ventre, mais elle a besoin de savoir. Car… Là, Tori a l'impression qu'elle a un problème.