Je soupirais alors qu’elle était en train de parler d’une créature dégueulasse qui avait peut-être élu domicile ici. Ce n’était évidemment pas possible puisque ce dernier n’existait pas, mais il ne fallait pas beaucoup faire beaucoup d’effort pour savoir le genre d’endroit dans lequel on était tombé. J’ajoutais à sa phrase après avoir laissé un silence entre les deux.

- Ou d’une abomination qui a décidé de faire des tests étranges sur les connards.

C’était définitivement dégueulasse, j’avais l’impression qu’on ne trouverait rien à bouffer et qu’à part des trucs ignobles on ne mettrait définitivement la main sur rien d’autre. C’est avec un air dépité que je lui répondais du tac au tac.

- Nan, je venais que faire chier en fait.

J’étais fier de moi, sans doute un peu trop même. Elle semblait à deux doigts de peter un câble, est-ce qu’elle était du genre à être impulsive ? Je n’en savais rien, mais si c’était le cas, ça allait sans doute me faire rire un peu plus. C’était stupide de ma part, mais je trouvais ça diablement drôle. Quand son regard se posa sur moi, je m’éclairais le visage avec le faisceau lumineux de la lampe ce qui me donnait sans doute un air de psychopathe avec un chapeau de cowboy et un sourire ridicule. Enfin, rien d’extraordinaire. Elle allait peut-être m’envoyer un des bocaux à la gueule si je continuais, mais ce n’était pas ce qui allait m’arrêter. Quoique si je me retrouvais avec le nez cassé, ça allait sans doute me faire bizarre.

- Peut-être que Jason a trouvé un truc depuis.

Il fallait espérer parce que j’étais totalement bredouille de mon côté que ça en devenait presque ridicule. En même temps, il fallait peut-être que je commence à chercher sérieusement autour de moi ce qui n’avait pas encore était le cas. Je me détournais pour reprendre l’exploration du lieu que je trouvais toujours aussi étrange qu’avant.

Mais en fait il ne s’arrêtait jamais de raconter des conneries. Peut-être que Merl avait besoin de décompresser à cause de la situation qui était glauque à souhait ou alors il était tout simplement comme cela, à raconter tout ce qui lui passait par la tête sans trop réfléchir à qui et comment il le faisait. Sauf que là ce n’était pas le moment et surtout par la bonne personne avec qui déconner sans plus savoir s’arrêter. Jenna s’avançait vers Merl et d’un geste lent pour qu’il ait bien le temps de sentir ce qu’elle faisait, elle promenait la pointe de son couteau sur l’entrejambe de celui-ci faisait crisser le tissu sur le métal froid de la lame. Elle le dévisageait alors qu’il tenait le faisceau de sa lampe sous son visage, s’approchant également afin qu’elle soit éclairée aussi et qu’il puisse voir dans ses yeux que toute trace de plaisanterie avait disparue.

« Ouais ben va faire chier quelqu’un d’autre … j’suis pas d’humeur ! »

Fière de sa menace elle se retournait pour ignorer Merl et le laisser alors qu’elle reprenait une dernière fois la fouille du réfectoire en espérant qu’elle avait loupé un truc les deux premières fois. Jenna essayait d’être plus minutieuse, fouillant chaque coin et recoin. Elle repoussait l’envie d’envoyer balader table et chaise à travers la pièce râlant presque à voix haute de ne pas trouver un seul truc intéressant jusqu’à ce qu’elle aperçoive dans un des meubles de la pièce deux conserves plutôt en bon état. S’accroupissant pour les saisir un sourire apparut sur ses lèvres en contemplant deux boites de nourriture qui semblaient être pleine. Jenna les prenait tout en se relevant et revenait vers la sortie de la pièce.

« Au moins on crèvera pas de suite de faim si on se paume ici … »

Dans la crainte la blonde traversa l'obscurité jusqu'à cette fameuse porte retenue par un loquet. Elle hésita juste une petite seconde avant de l'ouvrir et se tenir sur le seuil. Elle pensait avoir vu toutes les horreurs du monde, que nenni, ce qui s'en retrouvait éclairé par le faisceau de sa lampe relevait du cauchemar. L'odeur d'urine et d’excréments n'était alors que secondaire, elle n'y faisait même pas attention, seule cette "femme" suffisait à occuper son dégoût.  Était-elle vivante ? Son comportement était étrange, et même quand elle rampait dans leur direction, il était difficile d'en tirer la bonne conclusion. "What... the... fuck ?" La chose nue et à l'hygiène déplorable posa une main sur sa botte alors que Joy s’apprêtait à lui planter le crâne au moindre geste brusque de sa part. "Heu... ça va ?" Question idiote, évidemment que ça n'allait pas et en guise de réponse, elle eut le droit à un hurlement suivi d'un violent bon. La vulgaire bascula en arrière et ne réussit pas à maîtriser sa chute, juste à perdre son couteau avant de rencontrer le sol, bravo.

Par réflexe, ses deux mains virent alors attraper le fusil d'assaut qui pendait plus tôt contre son buste pour le hisser en hauteur contre l'affreuse poitrine du monstre, pouvant ainsi le retenir au dessus d'elle. En croisant son regard, il lui fut enfin évident que la femme était encore "vivante" mais le réflexe de se protéger de toute morsure était bien ancré. Maintenant donc la distance entre sa gueule immonde à l’haleine ferreuse et elle, elle ne vit pas venir les ongles de la femme qui se plantèrent dans son cou. "AAAAAAH !!! PUTE, PUTE, PUTE !!!" Et là voilà qui beuglait à son tour sous la douleur, cette conne ne la lâchait pas. "DÉGAGE CETTE PUTAIN DE CHIENNE CLAY !" Enfin, c'était vite dit, les ongles enfoncés dans sa chair risquaient d'arracher encore de bons morceaux de peaux si son l'homme la tirait violemment en arrière. Joy ramena son arme qui faisait levier vers elle, remmenant alors l'affreuse tête à hauteur de la sienne et lui asséna un violent coup de boule pour la sonner et si possible dégager sous le choc ses ongles dégueulasses de sa jolie peau !

Jason s'était très bien accommodé du choix de son frère de le prendre dans son équipe et de choisir la porte bleue. Au bout du compte, il se moquait bien de l'endroit choisi. Il avait trouvé nettement plus intéressant d'observer ce qui les entourait, une moue de plus en plus écoeurée marquant son visage au fur et à mesure qu'ils avançaient. Il n'était pas du genre à s'émouvoir d'un rien, mais en l'occurrence il trouvait les lieux particulièrement malsains et répugnants. Lorsque Merl défonça la porte et qu'ils commencèrent à fouiller la pièce, le contenu des bocaux étranges ne fit que renforcer cette impression. Il aurait menti en disant qu'il n'avait pas été impressionné par le courage de Jenna lorsque celle-ci avait ouvert pour jeter un œil à l'intérieur. Lorsque le pot se brisa, le blond jeta un œil aux tripes nauséabondes sans trop s'en approcher. Il s'y connaissait, en chasse, en viande et en gibier, et cela ne lui évoquait rien de connu. Un frisson involontaire grimpa le long de sa colonne lorsqu'il songea que cela pouvait être humain.

« T'as le nez pour trouver les repaires de malades, bro'. Faudra que tu m'expliques ton truc.

Le jeune homme adressa un sourire ironique à son aîné alors qu'il s'écartait un peu pour fouiller les lieux. Il fallait espérer qu'ils auraient des choses convenables et mangeables, ce qui allait nécessiter que les contenants soient hermétiquement fermés. De manière industrielle si possible. En ouvrant un placard, il finit par mettre la main sur des conserves aux étiquettes familières et rassurantes. Il y avait une grosse conserve Campbell's de soupe de poulet aux nouilles, et une autre de marque B&M de haricots blancs cuisinés. Ce fut d'un air triomphal qu'il alla montrer sa trouvaille aux autres.

- P'tain, heureusement que je suis plus doué que toi. Deux boîtes de bouffe. De bouffe normale, hein, et en bon état avec ça. »

Jason enfourna sa trouvaille dans son sac dès que les deux autres l'eurent vue. Un instant, il se figea en entendant ce qui ressemblait à un cri. L'acoustique semblant mauvaise, il n'était pas sûr de lui, et il passa outre. Ils avaient encore la pièce à finir de fouiller, et cet endroit lui faisait tout de même froid dans le dos. Une sensation par-dessus laquelle il passait.

Immobile. J’étais resté parfaitement immobile à la regarder faire, c’était une façon de montrer que je n’étais pas impressionné même si dans le fond, l’adrénaline était en train de monter. Si elle s’en prenait à moi de cette façon, il était évident que j’enverrais voler mes principes, je n’en aurais plus rien à foutre du fait que c’était une femme et qu’elle avait presque la taille de rentrer dans ma poche. J’attaquerais, je me vengerais, une baffe m’aurait fait rire et je me serais calmé, mais une menace comme ça, c’était différent. J’aurais pu lui répondre, mais les seules choses que j’aurais pu dire auraient sans doute été mal interprétées. La seule réponse qu’elle eut fut donc l’absence de réponse, je n’étais pas du genre à avoir peur de tout et n’importe quoi. Mais pour le coup, elle avait tout de même réussi à me faire douter.

Je savais très bien que j’allais passer à autre chose et raconter des conneries avec Jason, lorsqu’elle s’éloigna et que je lui tournais le dos, d’un geste discret je passais ma main là où la lame de son couteau c’était trouvé parce que c’était quand même une partie de mon corps à laquelle je tenais et je n’avais pas envie qu’une meuf arrivât depuis trois jours s’en prenne à mes bijoux de famille. J’avais vaguement entendu le cri venant de l’autre bout du truc, mais ça ne criait pas à l’aide donc ça ne devait pas être si important que ça. Je haussais les épaules alors que Jason avait commencé à me trashtalk. Mon sourire s’agrandit un peu quand il me demandait de lui expliquer.

- Ce n’est pas moi qui ai le nez pour ça, c’est Dieu qui me met sur la voie…

Évidemment, je n’étais pas vraiment sérieux, mais il avait bien dit que c’était la gueule de l’enfer alors on pouvait bien continuer à parler de lui-même si ce n’était pas très cool de l’associer à ça. Pour moi ce n’était pas du blasphème, simplement de l’humour et il n’allait pas punir des gens sous prétexte qu’ils tentaient de détendre l’atmosphère.

- Enfaite tu n’as pas compris que depuis cinq minutes je vous regarde faire les mains dans les poches, parce que flemme.

J’avais prononcé le dernier mot en soupirant, ce n’était définitivement pas intéressant ce qui se passait ici et ça m’emmerdait, j’aurais pu aller voir ce qui se passait chez les autres, mais c’était loin et j’étais certain qu’ils étaient capables de gérer.

Jason était reparti pour continuer à fouiller, en espérant ne pas tomber sur ces bocaux douteux qui faisaient grandir ses soupçons. Il aurait sans doute dû s'en ouvrir à son frère afin d'avoir un deuxième avis sur la question, mais pour l'heure il était resté sur la réserve sans trop savoir pourquoi. La réponse que lui fit son aîné le fit cependant se retourner d'un bloc, avec la folle et soudaine envie de lui jeter quelque chose à la figure. Comment est-ce qu'il pouvait sortir des choses pareilles ? Cela n'avait aucun sens que le Tout Puissant les envoie dans ces endroits où la santé mentale n'existait plus. À moins bien entendu qu'il se voie comme un chevalier du Seigneur qui devait purifier ces endroits. C'était possible, mais le malaise et le mauvais pressentiment qui assaillaient le blond le rendait peu enclin à plaisanter à ce sujet.

« C'est Dieu qui te met sur la... Non mais ferme ta gueule, tu dis de la merde !

Sans doute devait-il avoir l'air ronchon, car il avait été bien moins léger dans son ton que c'était le cas d'ordinaire. Irrité et avec la furieuse envie d'avoir quelque chose sur quoi taper, il se remit à fouiller frénétiquement les lieux avant de dénicher deux nouvelles boîtes de conserve : l'une estampillée Campbell's également contenait de la soupe de tomate, et l'autre du corned-beef. Visiblement, il y avait eu des amateurs de soupe dans le coin. Se retournant vers Merl, il arma son bras sans hésiter.

- Chope au moins ça au lieu de rien foutre ! »

Sans plus de cérémonie, il lui balança dessus l'une des deux boîtes, dans une scène qui n'était sans doute pas sans rappeler le quasi-assassinat qu'il avait failli perpétrer sur des ennemis il y a déjà longtemps, alors qu'ils fouillaient une maison pour trouver un toit et de quoi manger.

Il y avait un truc qui clochait. Je ne savais pas quoi, mais clairement, il y avait un truc qui allait pas. Il était beaucoup trop vénéré pour que tout soit parfaitement normal. Autant cet endroit ne me plaisait pas, autant j’avais l’impression que si j’étais ici c’était parce qu’il y avait une raison. Nettoyer le mal alors peut être que Jason ne voyait pas les choses comme moi, peut être que ça le mettait hors de lui, je n’en savais strictement rien, mais il fallait qu’il arrête de s’en prenne à moi aussi méchamment. J’étais tout à fait disposait à déconner avec lui, mais y avait des limites et il était en train de les dépasser.

- Oh ! Mais calme ta joie, oui ! Qu’est-ce qui t’arrive, t’as tes règles ?

J’avais craché ça entre mes dents alors que je continuais de fouiller autour de moi. Évidemment que je ne foutais pas rien comme je l’avais dit, mais son sous-entendu me faisais mal quand même, il avait plus de chance tant mieux. En tout cas, ce n’était pas mon cas. Je sortais les mains que j’avais ostensiblement mises dans mes poches pour réceptionner la boite de conserve qu’il m’avait lancée. J’avais presque senti de la méchanceté dans son lancer, mais peut-être que je me faisais des films.

- Arrête de faire le con putain ! Regarde, je me monte utile…

La boite de conserve qu’il m’avait donnée avait fini dans mon sac alors que j’étais partie fouiller dans un coin pour trouver deux autres boites. On se n’en sortais sans doute pas si mal de que ça pour le moment. À voir ce que le futur nous réservait et pour le coup c’était loin d’être facile de prévoir ce qu’il y aurait encore dans le coin, mais j’étais entre l’attente et la crainte. Je ne savais pas si j’avais envie de croiser ce qui vivait là ou non. C’était un sentiment vraiment très contradictoire, mais l’avenir me le dirait.