The Walking Dead RPG

Mars 2023

Ils avaient été plus nombreux que je l’aurais cru à être prêt à faire la route jusqu’à ce petit parc caché juste derrière cet entrepôt désaffecté. La route avait été longue depuis Port Angeles pour Seattle, puis encore davantage pour revenir précisément en face de cette petite tombe creusée à même le sol, où Joaquin avait enterré sa femme et sa fille quelques années auparavant. La végétation avait poussé entre temps, reprenant ses droits.

J’avais dressé une croix pendant que d’autres s’occupaient de creuser la tombe. Malheureusement, il n’y avait pas à le faire très profondément, étant donné que nous n’avions pas pu récupérer tout le corps. Au moins, nous pouvions lui offrir une sépulture décente auprès des êtres qui lui étaient autrefois chers. Je fis signe à Lennox de déposer le panier qui contenait sa tête dans l’interstice creusé. Je me retournai ensuite vers les autres, contenant mes larmes tant bien que mal. « Nous sommes réunis aujourd’hui pour rendre un dernier hommage à Joaquin, avant qu’il n’accède à sa dernière demeure. » Je me fis plus hésitante, en les détaillant un à un. « Je… Je ne suis pas croyante, mais il l’était. Joaquin était catholique. Alors si certains se sentent le cœur à réciter une prière… mais un mot, un geste, peut suffire. Que chacun se sente libre. »

Je m’accroupis pour attraper une poignée de terre, faisant face à la tombe de Joaquin. Les mots me manquaient subitement, après avoir pourtant réfléchi si longuement les mois passés à ce que je pourrais lui dire. « Je voulais que tu saches que nous t’avons vengé, et que… ils ne feront plus jamais de mal à personne. Joaquin… » Mon regard quitta sa tombe en terre battue pour se lever vers le ciel. « Je suis désolée. Je crois que je ne comprends que maintenant à quel point ta culpabilité devait te ronger de l’intérieur, à quel point tu avais besoin de combattre l’injustice autour de toi pour te sentir encore vivre. Je ne comprenais pas que tu tiennes si peu à la vie mais… tu t’étais complètement dévoué aux autres, tu aurais tout tenté pour me sauver au péril de ta propre vie. Protéger ceux qui t’étaient cher était devenu ta raison d’être. » Je lançai cette première poignée de terre sur sa tombe.

D’une main tremblante, j’attrapai le pendentif de Santo Toribio Romo qu’il m’avait autrefois confié. « Tu te souviens de tes paroles, ce jour-là ? Tu voulais que j’aie toujours quelqu’un pour me protéger quand tu ne serais pas là pour le faire… tu étais si inquiet à me voir partir, alors que c’était toi qui courrais au-devant du danger. » Je décrochai le pendentif pour l’enrouler autour de la croix sur sa tombe. « Je n’ai plus besoin que tu me protèges, Joaquin. Je n’ai plus besoin que tu t’inquiètes pour moi. Je ne suis pas seule. Je ne l’ai jamais été. Et je suis devenue assez forte pour prendre soin de moi, sans avoir à me cacher derrière quelqu’un. Tu peux partir en paix, Joaquin. Merci… merci pour tout. »

Ma voix se brisa sur ces derniers mots alors que je me reculai. J’eus l’impression fugace de sentir une main invisible se déposer sur mes épaules. J’aurais presque pu l’entendre me souffler à quel point il était fier de moi. Il ne me fallut pas plus pour éclater en sanglots, posant ma tête contre l’épaule de Salem à mes côtés.

J'avise le décor, la main de Rosie dans la mienne. Elle a plus pleuré que beaucoup, sans doute trop consciente de ce que la mort peut vouloir dire. Elijah, lui, a enfin arrêté de parler. En apprenant la mort de Joaquin, il a pas su trouver les bons mots pour expliquer ce qu'il se passe dans la tête. Tout ça pour eux, c'est regarder des vieux souvenirs refaire surface, et ça les plonge dans un silence pesant. Ils sont encore que des gosses, qui ont trop conscience de ce qu'est la mort, de comment ça se termine pour tout le monde.

Et oui, ça fait peur. C'est un truc qui arrive comme ça, d'un coup, et qui embarque tout sur son passage. Tout le quotidien qu'on a pu penser comme acquis, comme ordinaire, est devenu aussi fragile qu'un fétu de pailles devant une allumette. C'est bizarre, parce que ça remet tout en perspective, désespérément. On se rend compte d'à quel point tout est vétuste, qu'on s'accroche à quelque chose qui fait du sens pour personne au bout du compte. La mort donne tout le relief de notre existence, c'est le fait que ça soit court qui implique que c'est obligé d'être beau.

Ou que d'une certaine manière, ça doit l'être. C'est une leçon qu'on a tiré tous les trois y'a longtemps. Moi, je suis assez vieux pour mettre des mots dessus, pour le savoir. Mes gosses, c'est encore différent parce que c'est difficile d'expliquer ce qui fait aucun sens pour eux. Je soupire. J'y songe de plus en plus dernièrement. Depuis que je sais pour la mort de Joaquin, et puis en me remémorant à quel point ça m'a scié les jambes en l'apprenant. Je pense au fait qu'il était peut-être le parfait mélange entre mes deux frères. Un parfait équilibre de ces deux types qui m'ont vu grandir, et que j'ai jamais réussi à sauver.

La voix de Ruby me sort de mes pensées, je l'écoute sans vraiment l'entendre. Je suis pas sûr d'être capable de vibrer de la même manière, ou même de pleurer encore. Je crois que j'ai jamais été un grand sensible, et je suis plus en colère que je suis triste en réalité. Elle se tait. Je sais pas vraiment quoi faire de tout ça. Je sais pas s'il y a quelque chose à faire, tout court. Tu vas rien dire, toi ? Elijah relève les yeux vers moi, m'interroge du regard. Non, j'ai eu la chance de tout pouvoir lui dire de son vivant. Y'a rien que j'ai gardé pour moi, et rien que je regrette avec lui.

It is not how you hit the mat

it's how you get up

Luna est silencieuse. Elle observe la tombe, la croix fabriquée par Ruby et la petite chaine qu'elle vient déposer dessus. Ses yeux dérivent ensuite sur toutes les personnes présentes et dont elle ne connait pas la majorité. Joaquin était apprécié, très apprécié. La brunette a été profondément attristée par sa mort. Sa disparition a forcément laissé un grand vide dans la faction. Elle peine à trouver les mots et préfère s'enfermer dans un mutisme. Elle a l'impression que tous ceux qu'elle côtoie connaissent la même fin. C'est tragique.

Luna se mord la lèvre, luttant contre les sanglots qui veulent la submerger aux paroles de Ruby et elle essuie rapidement les larmes qui se pressent à ses yeux. Elle ne peut pas craquer, elle doit se montrer plus forte ! Roman prend la parole avec des mots justes et une nouvelle fois, elle a envie de s'effondrer. Elle se mord la lèvre et enfonce ses ongles dans ses poings fermés.

C'est son tour et elle se montre bien hésitante. « Merci... » glisse-t-elle simplement, en venant s'agenouiller devant la tombe. Joaquin et elle ne se sont pas connus longtemps, mais il a été important pour elle. C'est lui qui lui a sauvé la vie, par deux fois. Une première fois avec les Brotherhoods lors de son enlèvement et le second lorsque la bombe de Peter a explosé et qu'il l'a évacuée en la portant. « Je te dois la vie, deux fois... » Et elle ne pourra jamais lui rendre ce qu'il lui a fait. « J'y ferais honneur, c'est promis » Elle glisse dans la tombe, sur la terre fraichement retournée les gants qu'il lui avait donné pour l'entrainement. Elle ne s'en servira plus, ils sont associés à Joaquin et à la promesse d'entrainement qu'il lui avait faite. « Sois en paix avec ta femme et ta fille. » murmure-t-elle alors. « Bon voyage » Sa main vient attraper un peu de terre qu'elle lance dans la tombe. Elle vient ensuite sortir une bougie de son sac et l'allume à l'aide d'une allumette. La flamme vacille mais tient bon alors elle dépose la chandelle dans une lanterne qu'elle pose devant la tombe.

Tous se tenaient derrière Ruby, autour de la tombe de fortune, après avoir fait ce trajet ensemble, dans un silence uniquement rompu par le bruit de leurs pas et de leurs respirations. Alice s’était demandé si Joaquin aurait voulu les voir là, dans l’intimité de ce petit parc où reposait sa famille, bien qu’ils soient tous là pour lui. Elle s’était légèrement éloignée, alors que certains s’occupaient de creuser la tombe qui accueillerait Joaquin, s’efforçant de reproduire un symbole sur un morceau de bois. S’il était impensable pour elle de ne pas être là, elle ne s’avancerait pas sitôt que Ruby aurait parlé, les autres l’ayant bien mieux connu. Elle gardait pourtant la main fermement serrée sur le bois sculpté qu’elle tenait, l’ancrant dans sa paume, alors que Ruby parlait, essayant de contenir l’émotion qui l’assaillait.

Les mots, tout comme ses yeux, se brouillaient dans son esprit au fur et à mesure que les uns et les autres parlaient, alors qu’elle s’avançait et pressait la main de Ruby, aux côtés de Salem. Combien de temps s’écoula, avant qu’elle ne s’approche de la croix confectionnée par Ruby, les joues rougies par les larmes, alors qu’elle tournait le dos aux autres ? « Il m’a fallu longtemps pour comprendre celui que tu étais, pour ne plus jeter un regard méfiant par-dessus mon épaule, alors que tu étais à mes côtés. Il m’a fallu apprendre ce que tu avais fait pour ton père, sans que tu ne le caches, pour comprendre ta force et ta loyauté envers les gens que tu aimais. Pour comprendre que tu ne baisserais jamais les bras pour les protéger. »

Elle n’avait jamais vraiment su quelle était sa place, dans tout ça, mais cela n’importait pas. « Tu cherchais sûrement autant à me faire peur qu’à assumer ce que tu avais fait, à ne plus nier ce qui te motivait, mais au-delà de tout ça, tu savais donner une chance aux gens, cette chance qu’on t’avait refusée. » Comme il lui en avait donné une, après ce qu’elle avait fait. « On ne serait pas là où on en est sans toi, mais tu peux aller en paix. Tu peux tout faire maintenant, et cette rose des vents te mènera jusqu’à ta famille, comme elle te permettra de revenir jusqu’à nous, si tu ressens le besoin de nous retrouver, où que tu sois. Comme elle guidera nos pensées jusqu’à toi… » Sa voix avait progressivement diminué, alors qu’elle continuait à parler. Elle se baissa pour glisser l’objet au pied de la croix, avant d’y déposer une poignée de terre à son tour et de reprendre sa place à côté de Ruby.