Un ricanement remontait de la gorge de Selene au fil des paroles de son cadet, jusqu’à fleurir en un rire jaune. Ses prunelles glacier se posèrent sur Ruben, comme on contemplerait un enfant insolent qui tente de s’ériger à un niveau de conversation qui ne lui appartient pas. Un sujet de grandes personnes, visiblement encore hors de sa portée.
- Vous êtes incroyables hein ? A radoter sur le même disque, tout ça parce que… je sais pas, vous êtes blessés dans votre ego, j’imagine, elle haussa les épaules, indifférentes et lasse – et dans ce « vous », elle incluait toutes les personnes qui porteraient le même discours que le jeune homme, si tu crois que ce que j’ai ici est « pire » que Nisqually, alors que c’est que t’as absolument rien compris à ce qui m’a dégoûté de la communauté.
Et elle utilisait exprès ce termes fort, pour qu’il saisisse à quel point c’était viscéral pour elle. Le camp l’avait abandonnée – et toute la cause qu’elle voulait défendre – et tout ça pour quoi ? Au final, ils avaient vaincu à Talequah, grâce à la contribution des alliés, et Nisqually avait eu des pertes sur la route. Il avait perdu Liam !! N’était-ce pas ce qu’ils étaient censés éviter en déménageant ? Elle les avait prévenus que la transhumance serait plus mortelle que de tenir les positions, mais ils l’avaient ignorée. Et en plus, Ruben venait lui cracher à la figure qu’elle était pleine de paradoxes. Elle avait naïvement cru que les mois auraient remis les idées en place de ses anciens amis. Force était de constater que non, malheureusement.
Selene lâcha un soupir. Elle n’entrerait pas dans ce débat : elle avait tourné la page, elle n’avait plus de raison de remettre du charbon à la fournaise. Si le jeune homme avait envie de ressasser, ce serait son problème, il parlerait dans le vide.
- Tu as pris la peine de venir me chercher, ça veut dire que tu savais que revoir Andrea pouvait être importants pour moi et pour elle, rappela-t-elle calmement, sans monter le ton, à partir de là, la discussion est inutile. Mais si t’as l’intention de me pourrir tout le trajet, tu peux repartir tout seul et me donner l’adresse. Je viendrai par mes propres moyens.
Nouveau haussement d’épaules ; à lui de choisir. Au final, c’était son initiative de la trouver. Qu’il fasse sa mauvaise tête et reparte comme il était venu, ce ne serait qu’une occasion manquée de plus, ça commençait à devenir habituel. Autrement, elle avait déjà clarifié ses intentions, et la discorde n’en faisait pas partie.
« Dum spiro spero »
Go back and forward, but all is melting like the snow ♪ Taking all from us, all we thought was left to know ♪ On what we treasure falls a dusty snow ♪ taking us backwards, but where we will never know.
On se vouvoie maintenant ? Je fronce les sourcils en la voyant s'effaroucher comme une petite princesse frustrée qui y va avec ses grands mots et ses grands chevaux. En fait, j'ai un mouvement de recul, et ce qui me dégoûte actuellement, c'est sa putain d'hypocrisie : Laisse tomber Selene, tu comprends rien, en fait, j'ai même pas envie de lui expliquer quoi que ce soit. Si tu dors bien la nuit, c'est tout ce qui importe pour toi : Le reste, je m'en lave les mains, et je suis pas là pour toi, je suis là pour elle, que je lui rappelle aussi sèchement qu'elle.
Si elle me prend encore pour un gosse à qui on peut tirer les oreilles, elle peut aussi aller se faire voir. Je tiens le cap parce que ma tante a bien plus d'importance dans l'équation, et qu'Andrea tient sincèrement à la pianiste. Mais là aussi, c'est paradoxal, après l'abandon, et sa putain de mémoire sélective qui lui fait oublier les victimes qu'elle a laissé dans son sillage comme des tombes anonymes pleines à craquer. Si ta position est la même, alors on a en effet pas besoin de discuter, que j'ajoute : Et tu iras pas sans que je t'y accompagne, parce que c'est la sécurité de mon groupe qui importe sur cette entrevue, que ça te contrarie ou pas, tu devras quand même me supporter de toute façon, tout simplement.
____________
J'ai pris le temps de quelques jours pour m'organiser pour la suite, Nascha m'a accompagné d'un bout à l'autre, on en profite toujours pour rattraper les mois qu'on a pas pu passer ensemble : Nascha nous accompagnera, d'autres membres de son groupe feront aussi le trajet, que j'avertis Selene. Je suis arrivé la veille et ce matin, il est encore tôt. On part le lendemain, on doit s'arrêter à Junk Town avant de remonter vers Cliffdel. On en a pour... Cinq bonnes journées à cheval avec le convoi, que j'ajoute simplement. Et y'a pas de moyen plus rapide de toute façon. Normalement, la première partie sera sans grandes difficultés, que je lui souffle pour l'avertir.
Mais dès qu'on atteindra les montagnes, il y a pas mal de prédateur - dont des pumas, que j'ajoute. Avec les chevaux, c'est du gros gibier pour eux, ils sont assez audacieux pour tenter de les approcher, même s'ils sont dangereux et qu'un bon coup de talon dans la tronche peut faire pas mal de dégâts. On va tenter de poser des appâts pour les détourner et pas se faire emmerder durant nos pauses la nuit, Nascha sait faire ça heureusement. J'ai pas le temps de terminer mon explication qu'un homme s'approche. Je sais même pas son nom, mais il est blanc comme un linge : Il y a un problème ? Que je souffle en fronçant les sourcils. Ouais, répond-t-il en posant le regard sur Selene : On a un message inquiétant de Fort Ward ce matin...
- Putain, ils peuvent répondre un jour…, ronchonna-t-elle.
C’était à devenir folle. La musicienne devait prévenir le QG de son besoin de partir, accessoirement donner quelques instructions à transmettre à Juliet pour sa fille, mais personne ne faisait écho à ses messages. Depuis son arrivée, le contact avec Ruben avait été plus que frais ; leurs retrouvailles ne s’étaient pas si bien passé que ça. La jeune femme attendait juste de se mettre en règle pour prendre la route : plus vite elle serait partie, plus vite elle serait revenue.
Ce matin toutefois, ils passaient en revu le trajet qu’ils allaient devoir respecter, et les différentes escales à observer. Selene se retint de protester contre le passage à « Junk Town » et se contenta d’acquiescer. Ce fut à ce moment que Rocco s’approcha d’eux, l’air bien trop pâle pour l’une de ses habituelles plaisanterie. Et ce qu’il leur dit glace le sang de la pianiste :
- Il dit quoi ce message ?
Mieux qu’un long discours, on la conduisit à la radio, qui passait en boucle une mise en garde d’un certain « monsieur X ». Un virus inconnu rendait tout le monde fou ? Ils étaient sérieux ?! N’étaient-ils pas supposés confiner cet… ce… quoi que ce soit qu’ils avaient découvert à Ocean Shore ?! Selene voyait rouge et dans sa poitrine, son cœur s’emballait. Toutes ses priorités venaient d’être réévaluées, elle ne songeait désormais plus qu’à sa fille.
- C’est Cole, expliqua-t-elle à Ruben – elle l’avait reconnu, quant à savoir pourquoi ce pseudonyme…, je vais y aller.
C’était dangereux, c’était même suicidaire à en croire l’alerte inédite, mais c’était sa première piste pour retrouver Elizabeth et Juliet. Pour le coup, elle se passerait d’autorisation : elle avait Fury, on ne pouvait pas lui prendre les clefs.
- On a des masques à gaz ici ? Demanda-t-elle à Rocco, avant de reporter son attention sur le neveu West : Effy est là-bas. Je suis désolée, je ne pars nulle part tant que je ne l’ai pas revue.
Et en bonne santé, cela va sans dire. A partir de là, il peut l’accompagner, attendre à la Ferme ou repartir pour son foyer…
« Dum spiro spero »
Go back and forward, but all is melting like the snow ♪ Taking all from us, all we thought was left to know ♪ On what we treasure falls a dusty snow ♪ taking us backwards, but where we will never know.
L'attitude de l'homme laisse à penser que ça va pas, et j'entends à travers ce qu'il dit pas que c'est plus grave qu'on peut le penser. J'pense pas qu'on pourrait faire "comme si" pour un petit point de détail, c'est pour ça que je suis raide alors qu'on va vers la radio, et que j'attends un instant dehors, sans manquer le message en question. J'ai l'impression qu'un tas de cailloux me tombe dans l'estomac, c'est... Bizarre forcément mais j'en rajoute pas. Ok, que je souffle à Selene.
Ouais, Effy et Juliet sont là-bas, elle a besoin de savoir si elles vont bien, si elles ont réussi à s'échapper, j'entends ça. C'est grave, je vais retourner prévenir Gig Harbor et aviser le campement de ce qu'il se passe, que je lui souffle. L'expédition aura été vite avorté, mais ça arrive. Les priorités changent au fur et à mesure, de toute façon : Si tu as besoin, tu peux faire passer un message par la prison, que j'ajoute simplement. On part dans l'après midi avec Nascha, on a pas une minute à perdre, je vais pas m'éterniser ici.
Déjà parce que j'ai aucune envie de prendre le risque de l'exposer à ce qu'il se passe, ensuite parce que je suis pas persuadée de pouvoir y changer grand chose. Cette maladie, qu'est-ce que c'est ? J'avise de l'homme, un temps, alors qu'il secoue la tête : Le camp était confiné, on vient de recevoir ça, on en sait pas davantage... Ok, j'entends. La nervosité est contagieuse, pour tout le monde. Et ici, c'est sûr que vous avez rien, hein ?
Qu'on risque pas avec Nascha de ramener ça chez nous, sur un malentendu. Ca serait le pire possible, j'essaie de réfléchir comme je peux mais ça a rien de simple. Vous allez envoyer des gens pour voir ce qu'il se passe sur place ? L'idée peut paraitre folle mais en même temps, quand y'a pas le choix... J'imagine que je serais fou de pas savoir pour mes proches dans une configuration comme celle-ci. Et que je ferais n'importe quoi pour obtenir la réponse. Mais Fort Ward sont pas mes amis, je suis inquiet pour deux d'entre eux, sur les cinq-cents qui y habitent. Je mettrais pas ma vie en danger, ou celle de Nash, pour ça...