The Walking Dead RPG

Tant que je suis payée. C’est une réponse qui n’en est pas vraiment une, mais en même temps, la question n’était spécialement précise non plus. Sans trop savoir pourquoi, elle s’interroge sur les préférences de la blonde qui se tient à la fenêtre en fumant sa clope d’un air désabusé, comme si cela avait la moindre importance. C’est peut-être une forme de curiosité un peu malsaine, et cette réalisation empêche Sienna de poser davantage de questions. Parce qu’elle a le sentiment de s’immiscer et d’observer la prostituée au microscope comme un scientifique qui tenterait de comprendre un concept théorique. Elle se souvient des préceptes et des valeurs qu’on lui a inculqué depuis qu’elle est en âge de les comprendre. Elle se souvient aussi que l’homosexualité était un sujet tabou dans sa famille, pas le genre de truc dont on aurait librement pu parler autour d’une tasse de thé après le repas. Ce n’était pas le seul, évidemment. La contraception. L’avortement. Le sexe en dehors du mariage. Toutes ces choses interdites et diabolisées par l’Eglise, et qui au regard des maux actuels du monde semblaient aujourd’hui dérisoires. Parce que les hommes avaient d’autres chats à fouetter. Parce que la bonne morale et la bien-pensance avaient quelque peu perdu leurs lettres de noblesse. Parce que beaucoup avait perdu la foi face à tel cataclysme. « Oui, j’imagine que nécessité fait loi. » Il y a une pointe de déception dans sa voix. Parce qu’elle veut croire que les gens continuent de s’offrir par amour plutôt que par obligation ou par pragmatisme. Elle peine à réaliser que c’est un luxe que tous ne peuvent plus s’offrir.

Lorsqu’elle finit par maladroitement évoquer sa virginité et que le sourcil d’Amalia se hausse en réponse, elle se sent soudainement gênée. Comme si c’était quelque chose d’anormal. Comme si le sexe était une sorte de passage obligé qu’elle aurait dû emprunter depuis longtemps déjà, parce qu’à vingt-et-un ans, la plupart des gens avaient déjà sauté le pas. La question ne s’était jamais posée avant que l’enfer ne s’abatte sur le monde, de par son éducation religieuse, et aujourd’hui, elle avait bien mieux à faire que de courir les garçons. Survivre était une activité à plein temps. Mais contre toute attente, la blonde balaye ses inquiétudes d’un revers de la main, sans même se moquer d’elle et de son inexpérience. Les doigts sur son menton la force à relever les yeux vers ceux d’Amalia, et elle s’y retrouve instantanément prise au piège, sans trop comprendre pourquoi son cœur manque un battement lorsqu’elle s’approche encore. Ses yeux s’écarquillent comme deux soucoupes lorsque ses lèvres touchent les siennes, et elle se fige, incapable de réagir. Parce que c’est mal, et qu’elle est à moitié persuadée qu’elle pourrait finir foudroyée sur place pour cet acte contre-nature. Mais aussi parce que c’est agréable, d’une certaine manière. Et c’est probablement ce qui l’effraie le plus. Elle s’écarte au même moment où la blonde relâche son menton avant de retourner à la fenêtre pour récupérer sa cigarette. « Je… » Elle est obligée de se racler la gorge pour retrouver sa voix. « Je ne suis pas… » Homosexuelle ? Intéressée ? Prête ? Impossible de terminer sa phrase. Elle ne sait même plus ce qu’elle veut dire. Ses doigts se portent instinctivement à ses lèvres, comme pour apaiser la brûlure provoquée par celles de la blonde.

something wrong with us

Ce n’est qu’un baiser. Sienna essaye de s’en convaincre pour apaiser les battements de son cœur et la course folle des rouages de son cerveau. Il ne faut pas qu’elle y réfléchisse trop, sinon elle va vraiment finir par se liquéfier sur place et disparaître entre les lames du parquet. Ce qui ne serait peut-être pas une si mauvaise chose finalement. Elle regarde Amalia fumer sa clope avec nonchalance, comme si elle ne venait pas de bousculer son existence et ses convictions par un geste si anodin et pourtant si chargé de sens. Elle se dit qu’elle ferait tout aussi bien elle aussi de faire comme si de rien n’était, histoire de ne pas amplifier sa propre sensation de malaise. Elle se demande si elle pourra un jour avoir la même attitude que la blonde qui se tient en face d’elle, cette espèce de désinvolture un peu arrogante qui lui sied si bien, ce naturel dans le verbe et dans le geste. Elle réalise dans la foulée qu’il est stupide de vouloir chercher à ressembler à quelqu’un d’autre, et qu’il faut qu’elle trouve sa propre voie si elle souhaite que cela fonctionne. Lorsqu’Amalia reprend la parole, Sienna ose enfin relever les yeux vers elle. Un petit rire lui échappe lorsqu’elle l’entend dire une fois de plus que ce n’est pas quelque chose de contagieux. C’est une évidence, mais même si cela va sans dire, cela va quand même mieux en le disant. Cela a le mérite d’aider la petite brune à se détendre et d’alléger l’atmosphère dans la pièce.

La prostituée s’étire avant de se tourner pour regarder par la fenêtre de la chambre, s’accoudant sur le rebord avec la clope au bec. C’est une vilaine habitude, mais elle est probablement déjà au courant, et Sienna ne sent pas du tout légitime pour lui faire une leçon de moral sur les dangers du tabac. Elle écoute le conseil qu’elle lui offre, hochant la tête même si cette dernière ne peut pas la voir. « Je ne suis pas taillée pour tout ça. » C’est un aveu de faiblesse, et cela va a l’encontre même de ce que la blonde essaye de lui expliquer, mais elle a cette drôle de certitude en elle qui lui assure qu’elle peut se montrer telle qu’elle est vraiment sans risque. « Honnêtement, c’est un miracle que je sois encore ici aujourd’hui. » Les faibles sont la proie des forts, et ceux qui ne parviennent pas à s’adapter ne font évidemment pas long feu. « Si j’avais pas eu la chance de tomber sur le groupe dans lequel je suis… » Elle ne termine pas sa phrase, parce que c’est une évidence. Si elle n’avait trouvé personne pour lui venir en aide, elle ne serait pas là pour en parler aujourd’hui, bien à l’abri dans une chambre de motel. « Petya et Nick, je les connais, c’est différent. » Elle hausse les épaules. « Ils ont juste peur de se prendre un savon si je les balance. Ils savent très bien qu’ils n’ont pas le droit de gaspiller les ressources du groupe pour… Bah, pour ce genre de chose, tu vois ? » Elle n’a pas les tripes pour se faire respecter, mais elle l’admet sans problème.

something wrong with us