The Walking Dead RPG

Aout 2020
No Man's Land

Les pas de Sienna sont hésitants. Ce n’est pas la première fois qu’elle met les pieds au No Man’s Land, mais c’est la première qu’elle s’y retrouve toute seule sans personne pour la chaperonner ou surveiller ses arrières. Autour d’elle, les gens s’agitent et se confondent en une masse grouillante de survivants bruyants et désordonnés, agglutinés en petits groupes disparates. La survie oblige chaque jour un peu plus des gens d’horizons très différents à se côtoyer et à se tolérer, et ce n’est pas toujours sans heurt. La petite brune a déjà assisté à quelques bagarres, et même si personne n’a jamais cherché à en découdre avec elle, elle se tient sur ses gardes. Elle s’agrippe fermement aux sangles de son sac à dos, comme si cela avait la moindre chance d’empêcher quelqu’un de partir avec si jamais l’envie l’en prenait. Du haut de son mètre cinquante-sept, elle a l’impression d’être une enfant perdue dans la foule, et elle ne se sent pas à l’aise du tout. Il y a des gens bien ici, qui cherchent simplement à survivre sans écraser les plus faibles sur leur chemin, mais il y a aussi des personnes mal intentionnées. Le genre qu’elle n’aurait pas souhaité fréquenter avant le début de l’apocalypse, et qu’elle fuyait comme la peste maintenant qu’il n’y avait plus aucune loi pour contenir leur violence. Elle est une cible facile, on le lui a suffisamment répété, mais ça n’a pas empêché le chef de son groupe de l’envoyer en mission ici toute seule.

Sienna manque de courage. Elle le sait, et elle ne cherche jamais à prouver le contraire. Mais il y en elle ce besoin maladif de rendre service, cette incapacité presque pathologique à dire non ou à discuter les ordres si c’est pour la bonne cause. Lorsqu’un enfant du groupe est tombé malade, elle n’a pas hésité à rejoindre l’expédition afin de trouver des médicaments, alors qu’elle n’oserait même pas s’aventurer hors des limites de son campement pour trouver de quoi subvenir à ses propres besoins. Elle agit pour la bonne cause, mais ça ne veut pas dire qu’elle se sent à l’aise pour autant. Elle cherche un visage familier dans la foule, une personne avec qui elle aurait déjà fait des échanges par le passé, mais rien. Elle n’ose pas aborder quelqu’un au hasard, n’a pas vraiment les codes pour s’intégrer dans ce genre d’endroit. La plupart des gens passent à côté d’elle sans même la remarquer, probablement parce qu’elle ne représente aucune menace, et que par conséquent, elle ne doit pas avoir beaucoup de choses de valeur sur elle. Ils n’ont pas tort. Des vivres, des médicaments et quelques boites de munition, rien de plus. Un homme bâti comme un chêne la bouscule sans même s’en rendre compte, l’obligeant à se déporter maladroitement sur le côté pour éviter de tomber par terre. Ce faisant, elle bouscule à son tour quelqu’un. « Je suis désolée, je ne vous avais pas vu. » Elle offre un sourire timide à la jolie blonde qui se tient maintenant face à elle. Tout ce qu’elle souhaite, c’est éviter les problèmes.

something wrong with us

Elle s’attend à se faire rabrouer sèchement, et peut-être même à se faire bousculer en retour. Il faut dire qu’avec sa bouille innocente et sa petite taille, elle pourrait tout aussi bien porter un t-shirt avec une cible dans le dos. Mais lorsque la blonde prend la parole, Sienna se détend presque immédiatement. Sa voix est riche et chaude comme un chocolat chaud dégusté au coin du feu, et sa beauté dénote avec l’environnement. « Bonjour. » Elle retient le ‘madame’ qu’elle a au bord des lèvres au dernier moment, avec le pressentiment que cela pourrait potentiellement être mal pris. Peut-être qu’elle a un peu de jugeote finalement, couplée à une certaine forme d’instinct de préservation. La blonde n’a pas l’air beaucoup plus âgée qu’elle, mais il y a quelque chose dans son attitude et son apparence qui lui donne l’air d’une vraie femme et qui l’intimide presque immédiatement. C’est peut-être le sourire qu’elle arbore, pas assez figé pour être hypocrite, mais presque trop doucereux pour être amical, qui la perturbe. « Je m’appelle Sienna, ravie de te rencontrer. » Elle lui serre docilement la main, bien trop heureuse de tomber sur une personne qui ne soit pas ouvertement hostile. Il émane d’elle une assurance naturelle qui la fait se sentir presque ridicule à côté. Sans parler des traits fins de son visage et de ses magnifiques cheveux blonds. Un ange déchu tombé d’une toile de maître, au beau milieu de la crasse et de la fange. La jeune fille n’a pas la moindre idée de ce qui est en train de se dérouler sous ses yeux.

Ses joues se teintent de rose lorsqu’on son interlocutrice lui demande si elle est nouvelle ici, un peu embarrassée d’être si vite démasquée en tant qu’outsider. « C’est la première fois que je viens toute seule en fait, je ne pensais pas que ça se verrait tant que ça. » Un petit rire gêné lui échappe, et l’embarrassement lui fait détourner les yeux l’espace d’un instant.  Le regard de la blonde est pénétrant, et Sienna ne comprend pas trop d’où vient cette sensation étrange qui lui étreint l’estomac. La sensation d’être une brebis sans défense face à un loup affamé. Amalia n’a pourtant pas l’air mal intentionnée. C’est même tout le contraire. La petite brune n’a pas spécialement d’expérience dans ce milieu mais c’est bien la première fois qu’une personne vient naturellement lui faire la conversation et lui proposer son aide. Elle devrait surement se méfier, comprendre qu’il y a probablement anguille sous roche, mais ce n’est pas dans sa nature. Grande naïve devant l’Eternel, elle n’imagine même pas qu’une femme en apparence si gentille puisse avoir des motivations ultérieures. C’est surement pour ça que ses acolytes ont longuement hésité avant de l’envoyer seule ici, en dernier recours car personne d’autre n’était disponible pour le faire. « C’est vraiment gentil, j’en aurais bien besoin à vrai dire. Mais je ne veux pas te retarder, tu as peut-être des choses à faire. » Elle lui adresse un vrai sourire, du haut de toute son innocence et de toute sa candeur, à la manière d’un chiot auquel on aurait donné de l’attention.

something wrong with us

La main chaude d’Amalia est toujours accrochée à la sienne, mais la petite brune ne fait aucun mouvement pour rompre le contact, par peur que son geste soit mal interprété. Tomber sur des personnes agréables est suffisamment rare pour vouloir éviter de se les mettre tout de suite à dos en agissant sans réfléchir. Le fait qu’elle se trouve face à une femme lui fait bêtement baisser sa garde, et si la situation lui semble légèrement étrange, elle n’éveille nullement sa suspicion. Probablement qu’elle se serait douté de quelque chose si elle s’était trouvé face à un homme. Lorsque la blonde la compare à un agneau au milieu de prédateurs affamés, Sienna sent une drôle de sensation lui étreindre l’estomac. Peut-être une sorte de sixième sens qui se développe sur le tard, un étrange pressentiment dont elle décide de ne pas tenir compte. Ce n’est probablement rien. Elle sourit de plus belle lorsque sa sauveuse providentielle lui propose de l’aider à mieux se fondre dans la masse. Elle ne relève évidemment pas le sous-entendu. « Si tu as quelques conseils, je serais ravie de les entendre. » N’importe quel imbécile aurait comprit depuis longtemps. Personne n’est aussi foncièrement serviable sans avoir une idée derrière la tête. Plus après tout ce qui s’est passé depuis le début de l’épidémie en tout cas. Mais malgré les épreuves, Sienna a gardé cette forme de candeur maladive qui tour à tour attendri et agace les gens qui la côtoient. Elle n’est pas taillée pour la survie, et ne le sera probablement jamais.

Une petite exclamation de surprise lui échappe lorsqu’Amalia se sert de sa prise pour l’attirer plus près d’elle sans prévenir avant d’enrouler son bras autour du sien pour l’entrainer à sa suite. Elle détourne le regard l’espace d’un instant, subitement troublée par cette proximité sans trop savoir pourquoi. C’est sûrement lié au fait qu’elle a perdu l’habitude de ce genre de contact chaleureux, ou peut-être que c’est parce qu’une parfaite inconnue vient soudainement d’envahir son espace vitale. Lorsqu’elle reprend la parole, Sienna se râcle légèrement la gorge avant de répondre d’une petite voix : « C’est vraiment gentil, merci Amalia. » Est-ce qu’elle a conscience que la jeune femme lui fait du charme ? Pas le moins du monde. Elle n’arrive même pas à identifier la sensation qui la traverse lorsque la blonde se passe une main dans les cheveux à la manière d’une actrice de publicité post-apocalyptique pour parfum. C’est surement une certaine forme d’admiration qui la pousse à jeter des petits regards en coin à sa guide de fortune à mesure qu’elles s’avancent entre les gens et les différents étals. « Je fais partie d’une communauté nomade. Je suis venue avec deux hommes de mon groupe mais ils sont allés… Eh bien, je ne sais pas trop en fait. Je suis censée les attendre ici et voir s’il y a des choses qui pourraient être intéressantes pour nous. » Autour d’elles, les survivants parlent fort. Certains s’invectivent. Sienna ne remarque même pas qu’elle s’est rapprochée d’Amalia, rassurée par sa présence. « Et toi ? Qu’est-ce que tu fais ici ? A part ramasser des chatons égarés je veux dire. » Elle ose à nouveau planter son regard dans le sien, un sourire malicieux sur les lèvres.

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La présence d’Amalia à ses côtés est étrange, mais pas dans le mauvais sens du terme. Pour un peu, elle aurait presque l’impression de faire les magasins avec une amie, de flâner entre les rayons pour trouver l’article idéal. Pourtant, lorsque cette dernière reprend la parole, la proposition qu’elle lui fait la prend complètement au dépourvu. La blonde n’a pas l’air dangereuse, mais elle n’en reste pas moins une inconnue. La suivre dans un autre endroit sans avoir prévenu personne sonne comme une idée stupide, même pour elle. Elle n’a pourtant pas le temps de bégayer un semblant de réponse, car un homme surgi de nul vient soudainement poser sa grosse main sur l’épaule d’Amalia, manquant de faire sauter Sienna jusqu’au plafond dans sa surprise. Sans être capable de l’empêcher, elle se crispe à côté de sa guide, posant sa main libre sur le bras enroulé autour du sien, renvoyant probablement l’image d’un petit animal apeuré. Le regard libidineux que le gros rustaud adresse à la blonde ne lui échappe pas, malgré son manque flagrant d’expérience en la matière. Un homme qui fait des avances à une femme, c’est à la portée de sa compréhension. Il parle de paiement. Il parle de revenir demain pour qu’Amalia s’occupe de lui, en mimant quelque chose de grossier. Il faut encore de longues secondes de réflexion à la petite brune avant de réussir à additionner deux et deux, et lorsqu’elle y parvient, elle se sent rougir jusqu’à la racine des cheveux. Amalia est une prostituée.

Une première pièce du puzzle vient de trouver sa place, et Sienna est loin de s’imaginer tout ce qui peut encore lui échapper à cet instant. Elle ne fait pas le lien entre l’activité de la blonde et son comportement beaucoup trop avenant à son égard. Le fait qu’une femme puisse essayer d’en séduire une autre est un concept beaucoup trop abstrait pour qu'il lui passe par la tête. Et lorsqu’Amalia replonge ses yeux dans les siens avant de reprendre la parole, la petite brune ne sait plus trop ce qu’elle doit répondre. « Euh… C’est… En fait tu… » Son incapacité à formuler une phrase complète ne fait qu’ajouter à la honte qu’elle ressent déjà. Elle se dit qu’elle n’a aucune raison de juger cette inconnue sur son métier, et qu’elle le fait probablement plus par besoin que par plaisir. Elle se dit que tout le monde n’a pas la chance d’avoir été recueilli par une communauté solidaire. Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés. C’est un verset de la Bible que sa mère lui a déjà maintes fois répété. Elle se fait violence pour ne pas retirer son bras de celui de la blonde. Elle se demande si cette dernière pense pouvoir la recruter en se montrant serviable. Elle se demande si les gens autour qui les regardent la prennent elle aussi pour une prostituée. « Si les garçons reviennent et que je ne suis plus là… Je crois que– Je crois que c’est plus prudent que je ne m’éloigne pas trop. » Avec trois temps de retard, Sienna a percé une partie de l’énigme. Elle n’est absolument pas prête pour ce qui va suivre, mais elle s’efforce d’afficher un petit sourire qui trahit probablement son embarras.

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