Trouver le sommeil est bien loin d'être une bagatelle depuis notre départ en catastrophe de notre maison. Le fait d'avoir dû abandonner cet endroit était déjà quelque chose de difficile à supporter, mais cela l'a été encore plus en sachant qu'il m'était nécessaire de laisser derrière moi le corps de ma fille. Rien de tout cela n'est normal. La logique des choses voudrait que les parents partent avant leurs enfants. Et pourtant, il semblerait que le sort ait décidé de m'imposer de voir partir à deux reprises ceux que j'ai élevé depuis leur plus jeune âge.
Au plus profond de mon être, cette déchirure ayant été créée par la mort de mon défunt mari semble se creuser davantage à chaque jour qui s'écoule. Aussi, le regard perdu sur le ciel étoilé, une écharpe enroulée autour de mon cou que je tiens d'une main pour m'isoler de la fraîcheur de la nuit, je me laisse aller à la nostalgie des souvenirs. De ces moments partagés avec ceux qui aujourd'hui ne sont malheureusement plus là. Ce n'est d'ailleurs pas la faute du froid si mes mains se mettent à trembler alors que je porte ma cigarette d'herbes médicinales à mes lèvres.
Je suis pourtant tirée de mes pensées lorsque j'entends la voix de mon fils m'interpeller. Sur l'instant, j'en viens presque à croire qu'il s'agit de la voix de Mattias, tant j'étais plongée dans mes pensées. Cependant, je ne tarde pas à reconnaître qu'il s'agissait de Tariq. Dès que je me tourne vers lui, bien évidemment angoissée à l'idée qu'il puisse sembler si pressé en plein milieu de la nuit, je n'ai que peu de temps pour comprendre ce qui l'amène avant qu'il ne m'attrape par la main pour me demander de le suivre.
Tentant de suivre au mieux le rythme imposé par mon fils alors que mon mollet blessé dans notre fuite peine encore à se remettre, je ne tarde cependant pas à comprendre lorsque je me retrouve face à une jeune femme de toute évidence en détresse. L'angle particulier de son bras, la position antalgique dans laquelle elle le tient, le pansement souillé de sang et de sécrétions potentiellement infectieuses couvrant sa main. Elle a besoin d'aide, de toute urgence.
Tu as bien fait de venir me chercher. Il me faut de l'eau, des bandages et mes plantes. Tu peux aller me chercher ça pendant que je commence à regarder l'étendue des dégâts ? Je demande cela à Tariq, lui lançant un regard avant de me concentrer sur la blessée. Je m'appelle Allegra, je suis la maman de Tariq et j'étais pharmacienne avant ça. Je ne suis pas médecin, mais j'ai des notions et je maîtrise assez bien l'herbologie. Comment est-ce que tu t'es fait tout ça?
Tu m'emmerdes Tariq, j'ai pas b'soin d'un putain de toubib. Qu'elle grogne en venant laisser tomber sa veste dans un coin, abandonnant l'idée de la ramasser quand elle tombe au sol. Elle avait chaud, sans doute trop au vu de la température extérieur, récupérant la dernière bouteille d'alcool qu'elle vient poser sur la table avec fracas. J'vais m'anesthésier la gueule et ça ira mieux demain. Et c'est qui l'connard qui à squatté ma cellule putain? Merde. Plus de Tariq.
Putain d'hmar. Qu'elle soupire presque en venant se laisser tomber sur la couchette, coinçant une cigarette à ses lèvres pour l'allumer, rejetant la fumée du bout des lèvres quand des pas se font entendre en résonnance alors qu'elle se relève, réceptionnant la bouteille. Vas-y, ouvre moi ça, et shalom aleichem Qu'elle annonce d'office en reconnaissant la silhouette de son meilleur ami, se renfrognant en voyant la femme à ses côtés. Bon, peut-être le moment de tenter l'air aimable. Surtout quand la femme la regarde avec l'air de celle qui est sur le point de caner. Le médecin, donc.
Ca va, j'vais bien c'est lui qui en fait des caisses... Qu'elle tente pour la forme, alors que Tariq se tire d'office. Parce qu'en plus d'être une balance il se tirait maintenant ? Mais l'enfoir-...
Oh wow. Pause. De quoi la daronne de qui ?
De TARIQ ?
Un ange passe, se retenant d'extrême justesse de faire remarquer que la ressemblance n'était pas frappante. Ca aurait pu faire mauvais genre, ouais. Lex. Muldoon. Il leur avait parlé d'elle, d'ailleurs ? Nan, sans doute pas. Pas l'genre qu'on présentait à la famille; ni avant ni maintenant. Hm... Ravie d'vous rencontrer. C'était mieux que tout ce qu'elle avait pu dire avant, clairement.
Quand à ça ? Un rire sans joie s'échappe de ses lèvres, secouant doucement la tête. Une sombre histoire de chasse aux nazis. Un de ces connards m'a coupé l'doigt et à moitié égorgée. Qu'elle indique en baissant tout juste le col de son haut pour dévoiler l'estafilade. Quand au reste ? Mon équipe avait b'soin de leur matos. Le toit sur lequel j'me baladais était pas assez solide. Un haussement d'épaule vite regretté quand la fracture se rappelle à elle, étouffant un cri de douleur.
Au moins, ils sont tous morts. Et ils ont passé un sale quart d'heure. Et ses prunelles assombris par la colère en disent long sur son état d'esprit. Le remord n'était pas au rendez-vous.
It does not matter what kind of vibe you get of a person. Cause nine times out of ten, the face they’re showing you is not the real one
- Ferme là. C'est connu que le whisky répare les os cassés ! Tu bouges pas ton cul d'ici.
Que grommelle le pakistanais. Sans attendre de réponse de sa part, c'est en quête de sa mère qu'il fuit. Parce que Lex n'était pas dans un bel état. Un doigt en moins, son bras dans un angle incertain, sans compter son visage tuméfié. Si ça n'était pas sérieux, et bien tant pis. Mais il préfère prendre la précaution d'embêter Allegra. Tariq ne tarde pas à trouvé sa mère. Réveillé, à prendre l'air, Tariq lui même ne pouvait pas dire qu'il avait un sommeil réparateur. Loin de là.
- All- , eh puis merde, Mom', j'ai besoin de toi, suis moi.
Pas plus d'explication. Parce qu'il connait suffisamment Lex pour s'attendre presque à ce qu'elle ne soit parti quand il rejoint sa chambre. Ou la sienne, visiblement. Marchant rapidement, il est rassuré de voir à nouveau Lex bien présente dans la chambre. Qui réclame d'ailleurs l'ouverture d'une bouteille. Hors de question qu'il n'ouvre la bouteille dans l'immédiat.
- Ce sera ta récompense si tu te laisses soigner.
Qu'il grommelle. En tout cas, Allegra confirme ce que pensait Tariq. Il était nécessaire de l'appeler pour s'en occuper. Il se retient d'ailleurs de jeter un regard à sa meilleure amie, un regard qui veut dire "Tu vois espèce de couillonne". Mais il préfère se retenir et écouter les dires de sa mère. Eau, bandage et plante. Tariq hoche la tête et disparait tout aussi rapidement. Tariq avait confiance en sa mère. Elle allait pouvoir aider, faire en sorte que les maux de Lex soient moins violents. Le brun ne disparu quelques minutes, le temps de pouvoir récolter ce qu'Allegra avait demandé. Passant à nouveau la porte de la cellule, Tariq reposa le tout sur le lit, tournant finalement la tête vers Lex.
- Et c'est moi le connard qui squatte ta cellule.
Il ne comptait pas s'en aller. Il faudra donc partager. Mais ce n'est pas ce qui dérange Tariq. Il s'en fiche, au fond. Il pourrait tout partager avec Lex. Reposant les yeux sur Allegra, il ajouta.
- Je peux t'aider ?
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So take what you want And take what you need You eat me alive just like a disease
Sans grande surprise, je me retrouve à faire face à une animosité nullement voilée dès lors que je m'approche de la jeune femme ayant besoin de soins. Si je comprends bien mieux pourquoi est-ce que mon fils est venu me chercher pour que je puisse essayer d'aider cette personne, je dois avouer que je suis quelque peu décontenancée par l'idée qu'elle puisse être opposée aux soins. Je n'ai jamais été du genre à imposer quoi que ce soit. Du moins, à d'autres personnes que mes enfants qui eux n'ont jamais eu d'autre choix que d'accepter que je m'occupe d'eux. Tariq peut en témoigner sans mal.
Pourtant, un sourire amusé vient prendre place au coin de mes lèvres lorsque le changement radical de comportement de la brune se produit. Alors c'est toi, la fameuse meilleure amie de mon fils... Je lance un regard amusé en direction de ce dernier, laissant un petit rire s'échapper par mon nez avant de me concentrer davantage sur ce que Lex me raconte. Et bien, si la nouvelle de savoir ce monde délesté de quelques pezzi di merda me ravit, cela ne change rien au fait qu'il faut que tu me laisses t'examiner. Tes blessures sont graves et j'imagine que ce serait tout de même dommage de perdre la vie à cause d'une infection après tout ça. Si mes mots ne souffrent d'aucun refus, mon visage et ma voix trahissent une douceur sans bornes. Comme à mon habitude.
Fort heureusement, Tariq ne tarde pas à revenir avec ce que je lui ai demandé et je le remercie d'un rapide signe de tête. Prépare moi des feuilles de lavande et des fleurs de camomille, et de quoi les rouler. Ensuite, il faudra certainement que tu m'aides pour qu'on remette son os en place. A l'odeur, bien que mélangée à celle du sang et de la crasse, que dégage la brune je n'ai pas le moindre doute concernant son tabagisme. De fait, fumer quelques plantes visant à l'apaiser et à diminuer la douleur ne devrait pas la déranger.
Je tourne la tête vers la concernée, prenant une grande inspiration. Sans vouloir te vexer, si tu ne te montres pas coopérative je risque certainement de me servir de cette bouteille pour t'assommer avec. S'il te plaît, tiens toi tranquille, et ensuite nous aurons tout le temps qu'il faut pour fêter ta survie autour d'un verre d'accord ? Les prochaines minutes risquent d'être une véritable plaie à vivre pour la jeune femme. De fait, je crois qu'il est nécessaire de la motiver avec ce qui semble l'intéresser réellement. Je ne laisserai pas mon fils perdre encore quelqu'un de cher à son cœur.
Tariq loin d'moi l'idée d'te vexer, mais même en daddy angry, j'ai pas envie de te baiser. Il allait être comme ça tout le temps ? Putain, fallait qu'elle ouvre encore sa gueule quand la grand mère se ramène, et lâche son meilleur "j'vois bien qui t'es toi", l'air de rien.
Ouais, la sus-nommée. qu'elle marmonne en baissant brièvement le regard, pas spécialement à l'aise dans l'immédiat. Sûr que c'était pas l'entrée en matière du siècle pour des présentations vu son état. Ses yeux bruns revenant aviser la femme et son accent italien qui lui arrache un rictus en guise de sourire, grimaçant que son os brisé lui rappelle son état. Etouffant une nouvelle injure, avant d'hausser une épaule à la remarque de Tariq sur la bouteille. Fine. Pas comme s'il lui laissait le choix de toute manière, si ?
Ah. Et en plus il squattait sa cellule. Bon. Si c'est toi, ça va. Qu'elle soupire, dardant un regard vers lui. Tu m'feras une place ? J'suis trop fatiguée pour bouger, promis. Au moins, ici, la sécurité était de mise. Et si son aigreur des derniers mois est présente, il n'empêche. Un sourire bref étire ses lèvres à la vue de son meilleur ami, bien plus encore quand il est question de cigarettes. Enfin. Avant que ça cause de remettre son os en place, en tout cas. C'est obligé ? Il gêne pas, là. Si, il gênait carrément, et ça l'emmerdait au plus haut point. Mais l'idée qu'on la touche ? Qu'on voit sa cicatrice au sternum en lui demandant de virer le haut ? Moyen moyen.
Et à la demande autoritaire d'Allegra ? Ses yeux rougis par la fatigue et la fièvre reviennent à elle, pinçant les lèvres. Un rire nerveux s'échappant de ses lèvres à l'idée, alors qu'elle reprend. J'ai survécu à des tirs de roquettes, un équipage pirate, j'ai bon espoir de pas canner pour un os à la con. Un soupir franchissant la barrière de ses lèvres closes, en comprenant que ni la daronne, ni Tariq, ne risquaient de laisser ça dans un coin.
D'accord. Mais c'que vous allez voir sort pas d'ici. Regard entendu à l'un et l'autre, essayant de retirer son haut non sans mal. Pas comme si la pudeur avait fait partie de ses plans. Et le tableau n'a rien d'engageant, quand elle voit le haut de son corps. L'abdomen parcouru d'hématomes violacés ou se mêle quelques éraflures, ses côtes saillantes... Et ce P imprimé à même sa peau, ne semblait qu'en ressortir d'avantage sous tout ce fatras de malnutrition et blessures en tout genre. Au moins, la lettre avait cicatrisé. C'était moins dégueulasse à regarder.
Personne doit savoir que j'ai cette putain d'marque, pour le moment. Et pour une fois ? Loin de son air arrogant, c'est la peur qui se devine dans son regard.
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De toute façon, il ne savait pas réellement s'il ferait plus de quelques heures durant chaque nuit. Alors, autant laisser à Lex la possibilité de rester ici. Ecoutant sa mère, Tariq hocha la tête, s'asseyant sur l'un des lits pour pouvoir s'apprêter à préparer les feuilles voulues. Lavande, camomille. Et de quoi les rouler. Alors Tariq s'exécute alors que Lex se montre plutôt réticente. A juste titre, finalement.
- Fait nous confiance.
Dit-il simplement. Lex avait subit beaucoup et Tariq n'était pas surpris de cette réticence à vouloir recevoir des soins. Mais Allegra avait raison. Il ne fallait pas risquer une infection quelconque. Ils avaient tous subit beaucoup, mourir aussi bêtement étaient presque indigne. A cette demande de secret, Tariq fronce les sourcils, lève les yeux pour découvrir un spectacle déroutant. Un P à peine cicatrisé, gravé dans la chair, une maigreur effrayante, des tâches ici et là. Il avait l'impression de voir plus de blessure que de peau.
- Rien de ce que tu ne dis ou montre ici ne sortira d'ici.
Il aimerait s'excuser mais pourquoi faire ? Aucun mot ne changera quoi que ce soit. Comme les défunts de leurs côtés. Tariq se garda de poser plus de question. Peut-être le fera t-il à un autre moment. Il préférait ne pas donner plus de matière à commenter la douleur évidemment décelé dans son regard. Terminant de rouler les feuilles, Tariq tendit la cigarette en direction de sa mère.
- Comment on lui replace l'os....?
Tariq n'avait pas de connaissance en soin. Enfin, faire des points si. Puisqu'il avait passé pas mal de temps avec Lisandro. Mais rien de plus. Replacer un os, c'était déjà bien au dessus de ses capacités. Clairement. Il ne voulait pas aggraver la blessure.
- C'est en tombant de plusieurs mètres que tu t'es cassé le bras ?
Ou les tirs de roquette ? Il ne se perdait un peu tant Lex semblait avoir subit bien des vices différents.
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So take what you want And take what you need You eat me alive just like a disease
Je me dois d'avouer qu'avoir élevé quatre enfants au tempérament plus que complexe m'a aidée à savoir faire abstraction de remarques ou situations auxquelles je peux être confrontées parfois avec mes patients d'infortune. Comme cela est le cas actuellement avec la meilleure amie de mon fils. Bien évidemment, je ne doute pas que la nouvelle de se faire réduire une fracture à vif ne l'enchante en rien. Cependant, il n'y a aucune négociation possible.
Concentrée sur mon travail, détaillant méthodiquement dans mon esprit chacune des étapes nécessaires pour que je puisse m'occuper au mieux de la blessée me faisant face, je prends une grande inspiration avant de tendre la main en direction de mon fils. Ta ceinture. Je relève ensuite mon regard vers Lex. Tu vas mordre dessus le plus fort possible lorsque j'aurai fini mon décompte. A trois. 1... Si Tariq s'interrogeait sur la manière de procéder, alors il aurait la réponse directement sous les yeux. D'ailleurs, sans même réaliser convenablement mon compte à rebours, je passe directement à l'action. 3! D'un geste vif, assuré, le craquement se fait entendre lorsque l'os retrouve sa place initiale, brisant ainsi le début de calcification qui avait pu se réaliser. Heureusement, cela était encore bien trop frais pour qu'il y ait une véritable résistance. Sans quoi il aurait été nécessaire de briser à nouveau l'os pour ensuite espérer pouvoir le remettre en place. Rien de bien joyeux, en somme.
Je ferme un instant les yeux alors que la jeune femme exprime sans mal la douleur qu'elle peut ressentir, faisant ensuite signe à mon fils de se tenir prêt à lui confier la cigarette d'herbes qui l'aidera à s'apaiser. Du moins, si elle ne tombe pas dans les pommes, ce qui est une option également. Quelques minutes de répit, puis nous passerons au pansement du doigt manquant, et je terminerai par les autres. Tariq, tu peux me préparer si tu veux bien les plantes qui sont dans le sachet annoté « infection » en les écrasant dans un peu d'eau pour réaliser une sorte de pâte.