The Walking Dead RPG

La voix de l’officiant résonne à travers la nef tandis qu’il termine son sermon d’un ton grave et solennel. Les yeux fermés et les mains jointes, Sienna se laisse gagner par une sensation de plénitude, un sourire sur les lèvres. Ces moments passés à l’église confèrent à tout ce qui l’entoure une image de normalité. Pour un peu, elle pourrait presque sentir le regard bienveillant de son père posé sur elle, la chaleur de la main de sa mère sur son épaule et ses frères et sœurs trépigner d’impatience autour d’elle. Elle entend la télévision pendant les journées pluvieuses. La musique pendant les soirées passées en famille. Elle pourrait presque sentir l’odeur de l’olla de carne en train de mijoter lentement en cuisine. Presque. Lorsqu’elle rouvre les yeux, tout a de nouveau disparu et une sensation d’étouffement la saisit soudainement. « Amen. » La voix est tremblante, et finalement, lorsqu’elle se lève, le pas l’est tout autant. Il faut qu’elle sorte d’ici sans éveiller l’attention, parce qu’elle a bien compris que se faire remarquer dans cette communauté est le meilleur moyen de s’attirer des problèmes. Elle adresse un sourire et un hochement de tête poli à ses voisines avant de quitter l’église en prenant la tête du cortège des sortants. Dès que Sienna met le pied dehors, le vent glacé de cette fin d’hiver lui procure un soulagement presque immédiat et elle ne tarde pas à retrouver son souffle. La tête baissée, sous les yeux des miliciens armés aux abords du lieu saint, la petite brune reprend le chemin de son appartement.

Le dimanche, c’est le jour du Seigneur, et même à Walla Walla les gens ont parfois droit à un jour de repos. En tant que quartier le plus pauvre, le district 5 fourmille de monde à toute heure de la journée et les gens se pressent sur les trottoirs pour vaquer à leurs occupations. Partout, les mêmes regards mornes et fatigués. Les mêmes cernes sous les yeux et les mêmes joues légèrement creusées par le manque d’alimentation. Les conditions de vie semblent se dégrader à mesure que le temps passe, même si Sienna est arrivée bien trop récemment pour être capable de le constater par elle-même. En tournant dans sa rue, ses yeux parcourent machinalement les environs pour tomber sur une silhouette qui se détache. Là où les autres passants avancent comme programmées sur pilote automatique, la blonde semble hésiter. Elle regarde tout autour d’elle à la manière d’une personne égarée, et son langage corporel ne fait rien pour cacher son trouble. En quelques pas, Sienna s’avance jusqu’à sa hauteur et place délicatement sa main sur son bras pour la sortir de sa torpeur et attirer son attention. « Bonjour. Est-ce que vous avez besoin d’aide ? » La voix est douce et mesurée, elle ne tient pas à affoler son interlocutrice. Lorsque cette dernière se retourne, Sienna fait de son mieux pour cacher sa surprise à la vue de son unique œil marron fixé sur elle. Et d’un seul coup, un flash. « Amalia ? » Les mois ont passés, et malgré les traces de mauvais traitements sur son visage, celui-ci lui reste familier.

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L’œil de la blonde brille de confusion, et l’espace d’un instant, Sienna se demande si elle ne vient pas de commettre un impair. Malgré ses longues et éprouvantes semaines d’intégration, elle n’est pas encore bien habituée aux règles de bienséance régissant sa communauté d’accueil. L’erreur est humaine, à ce qu’on dit. Mais c’est toujours mieux quand cette erreur est commise entre quatre murs sous des yeux d’une personne de confiance qu’au beau milieu d’une rue pleine à craquer d’inconnus. Elle doit apprendre à se tenir, mais c’est plus fort qu’elle. Le simple fait de croiser par hasard un visage connu dans un contexte comme celui-ci suffit à lui faire oublier toute prudence. En arrivant à New Eden, elle a bien été obligée de repartir de zéro, et c’est avec une sorte de soulagement étrange qu’elle se met à sourire. La femme qui lui fait face ressemble à la version plus esquintée d’une prostituée qu’elle avait rencontrée à plusieurs reprises en fréquentant le No Man’s Land plusieurs mois auparavant. Sienne n’y mettrait pas sa main à couper, mais cela n’aurait finalement rien de si étonnant. La survie en milieu hostile, ça a parfois de quoi vous abîmer même les personnes les plus solides. Sous les cheveux qui lui masque en partie le visage, et malgré quelques différences notoires, les traits lui sont familiers. Pourtant elle ne réagit pas à l’entente de son prénom, se contentant de la regarder sans comprendre. Peut-être que c’est sa mémoire qui lui joue des tours. Après tout, elle a toujours été plus douée pour se souvenir des visages que des prénoms, ça ne serait pas la première fois.

Malgré son trouble, la blonde finit par se présenter. Elle dit s’appeler Skylar, ce qui n’évoque absolument rien pour la petite brune qui à son tour se met à la regarder de manière interloquée. Confondre Marine et Marie, passe encore. Mais Amalia et Skylar, c’est un sacré grand écart, même pour une mauvaise mémoire. « Excuse-moi, j’ai dû confondre ton prénom avec celui de quelqu’un d’autre. » Elle lui offre un petit sourire embarrassé, le rose aux joues. « Je m’appelle Sienna, nous nous sommes croisées au No Man’s Land à Seattle il y a quelques mois, tu te souviens ? » Il y a une petite note d’espoir un peu stupide dans la voix de la jeune femme, comme si le fait qu’une ancienne connaissance se souvienne d’elle revêtait vraiment une forme d’importance à ses yeux. Parce qu’un peu naïvement, elle a envie de croire que les bonnes rencontres et les bons souvenirs perdurent plus longtemps que les mauvais. Elle réalise un peu tard que Skylar a dû croiser des tonnes de visages différents du temps où elle travaillait au No Man’s Land, et qu’elle a probablement vite oublié le sien lorsqu’elle a fini par arrêter de s’y rendre. Elle ne veut pas embarrasser la blonde, alors elle s’empresse d’ajouter : « Ce n’est rien si tu ne te rappelles pas, c’est même compréhensible. Comment est-ce que tu as atterri ici ? Est-ce que tu es toute seule ? » La question est maladroite, mais elle lui échappe néanmoins.

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Vous devez confondre. La phrase semble presque résonner dans l’air et intérieurement, Sienna se décompose. Elle espère simplement que ça ne se voit pas trop. Comme une maladie contagieuse, le malaise de son interlocutrice la gagne à son tour. Elle tente tant bien que mal de ne pas se démonter et de garder son sourire. « C’est un peu gênant, je suis désolée, je ne voulais pas vous mettre mal à l’aise. » Elle essaye de paraître nonchalante, mais un petit rire nerveux la trahit. C’est probablement la discussion la plus étrange qu’elle a avec un autre être humain depuis le début de l’épidémie. Et le pire, c’est que Skylar doit être en train de se dire exactement la même chose. Dans un geste réflexe, elle réajuste l’écharpe autour de son cou. Elle essaye probablement de se donner une contenance, histoire de ne pas tout simplement s’effondrer en mille morceaux sous le regard médusé des habitants du quartier. Parce qu’elle vient clairement de confondre une citoyenne bien comme il faut avec une ancienne prostituée du No Man’s Land. La petite est littéralement mortifiée. « Je suis désolée de vous avoir tutoyée comme ça, j’ai vraiment cru que– Peu importe, n’en parlons plus. » Il y a un petit silence qui s’installe, et la petite brune se met à jouer nerveusement avec ses doigts. Elle ne sait plus trop ce qu’elle doit faire. Partir sans un mot serait terriblement grossier, mais continuer à papoter comme si de rien n’était serait bizarre.

Elle choisit de repartir de zéro avec une présentation en bonne et due forme, comme une adulte fonctionnelle. « Je m’appelle Sienna, enchantée. » Elle essaye de faire les choses comme il faut, et surtout de ne pas passer pour la folle du village. Pour faire bonne mesure, elle lui tend la main en guise de salutation, un sourire encourageant sur les lèvres. Elle tente comme elle peut de rattraper ses bêtises et de détendre un peu l’atmosphère, parce qu’elle s’en veut clairement d’avoir embarrassée une inconnue. Probablement que la blonde n’avait pas besoin qu’une fille bizarre lui saute dessus en pleine rue pour la confondre avec une autre et lui raconter tout un tas d’âneries. « J’habite un peu plus loin dans la rue, et vous aviez l’air un peu perdue alors je me suis dit que je pourrais peut-être vous renseigner ? » Elle dit qu’elle a toujours vécu ici, mais ça ne veut pas forcément dire qu’elle a toujours habité le district 5. Sa voisine Anjali aussi vivait depuis longtemps à New Eden, mais la transition vers le quartier le plus pauvre de la ville ne s’était pas faite sans heurt. Evidemment, il est hors de question de lui poser la question de manière frontale, et puis la petite brune n’est pas nécessairement curieuse. A cet instant, elle est simplement inquiète à l’idée de laisser repartir cette Skylar dans un état de confusion encore plus avancé que celui dans lequel elle l’a trouvée. Parce qu’elle se sent quand même un peu responsable.

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Même si le visage de Skylar lui est familier, Sienna fait de son mieux pour ne pas la fixer de manière insistante. Premièrement, parce qu’elle a l’empathie nécessaire pour ressentir le trouble de son interlocutrice. Deuxièmement, parce qu’elle-même n’apprécierait pas du tout d’être observée à la loupe comme une petite bête curieuse. Les gens autour d’elles continuent leurs activités sans s’arrêter, et sans même les regarder. Deux femmes qui discutent entre elles dans la rue, rien de nouveau sous la lune. C’est déjà une forme de soulagement en soi de ne pas être le centre d’attention de la foule qui s’agite. C’est un peu triste également, de se dire qu’un visage confus perdu au milieu de la marée humaine du cinquième district n’alerte pas les autres plus que ça. Parce que chacun à déjà ses propres problèmes, et que la fatigue induite par les conditions de vie déplorables de ce quartier n’incite personne à vouloir s’embarrasser du fardeau de parfaits inconnus croisés au détour d’une rue. Et pourtant, c’est en s’aidant les uns les autres que l’on parvient à s’en sortir, n’est-ce pas ? « Tous les immeubles se ressemblent dans ce district, ça n’a rien de stupide, croyez-moi. Je me suis déjà perdue une ou deux depuis mon arrivée ici. » Sienna balaie les inquiétudes de Skylar d’un revers nonchalant de la main. Elle n’a jamais été du genre à juger les autres. Charité bien ordonnée commence par soi-même, c’est ce que disait tout le temps sa mère avant que l’humanité ne commence à s’écrouler.

Lorsque la blonde ramène distraitement une longue mèche de cheveux derrière son oreille, les yeux de Sienna s’attarde l’espace d’un instant sur sa blessure cicatrisée. Elle semble aussi être brûlée au niveau de la main, et probablement que la manche de son manteau masque une partie des dommages. Lorsqu’elle est témoin de ce genre de choses, Sienna réalise qu’au regard des maux du monde, la vie n’a finalement pas été si dure que ça avec elle. Sa peau mate ne porte presque aucune séquelle de la violence extérieure, parce qu’elle s’en est sortie à bon compte la majeure partie du temps. Elle a bien sûr vécu quelques épreuves difficiles, mais la majeure partie de ses stigmates sont de nature psychologique. Ça ne l’empêche d’essayer par tous les moyens de faire contre mauvaise fortune bon cœur. « Vous ne me dérangez absolument pas, ne vous en faites pas. » Au ton de la voix, l’affirmation sonne comme une évidence. Le sourire qui l’accompagne est désarmant de sincérité, comme pour signifier à Skylar qu’il ne s’agit pas simplement d’un échange de politesse d’usage ou d’une phrase toute faite qu’on balancerait comme ça sans la penser vraiment. « Peut-être que si nous marchions un peu, vous pourriez tomber sur quelque chose de familier. Qu’en pensez-vous ? » A défaut de retrouver son chemin, elles finiraient forcément par tomber sur une voisine ou une connaissance de la jolie blonde. Même si elle lui avait expliqué se trouver toute seule ici, quelqu’un devait forcément la connaître.

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