Le choix était-il réellement si difficile, voire carrément impossible comme certains l’affirmaient ? Alors que cela faisait des mois – des années ! - que leur communauté s’étouffait dans son propre sang. Les argumentations fusaient de part et d’autre.

- Je vous l’ai dit, vous pouvez réfléchir, répéta-t-il, avant d’ajouter suite aux nombreuses questions. Je n’ai pas toutes les réponses. Pour le sort qui devait attendre les Généraux rebelles, l’Adonaï. Pour le bidonville, Colville. Il avait ses idées bien sûr, il envisageait des choses, mais il n’était pas question de faire aujourd’hui des plans sur la comète et d’annoncer des fantasmes. Même si cet « après » paraissait plus concret que jamais. Ce n’est d’ailleurs pas à moi de donner toutes ces réponses. J’aimerais uniquement que nous nous portions garants de la suite. Pour maintenir l’ordre et retrouver nos idéaux.

Armand redescendit quelques minutes plus tard de son tas de terre pour se mêler finalement aux hommes. Certains lui exprimèrent sans fard leur soutien. Il leur serra la main. Ce fut le cas de Kendale et de Jacob. Toux ceux qui ne disaient rien se rangeaient certainement du côté des River et des Benjamin. Ils devaient prendre le temps de remettre leurs idées en place, c’était normal.  Parler entre eux. Se laisser convaincre. Entrer dans l’organisation concrète des évènements, aussi.

Ainsi après encore des discussions, moins formelles, les soldats se regroupèrent par équipe pour se voir préciser exactement leurs objectifs. L’afro-américain avait évidemment des documents à leur présenter, des plans. Ainsi progressivement, la journée avançait. Les esprits se préparaient.

- Est-ce que je peux compter sur vous ? Demanda Armand, avec sérieux, en conclusion, après un topo complet à l’un des sous-groupes. Ils étaient huit, parmi lesquels se trouvaient nos quatre cocos.

« Tu as forcément déjà ton avis sur la question, Armand. Si on te suit, mieux vaut savoir à quoi nous nous engageons. » Il ne pouvait pas se contenter de taire ses intentions, en espérant qu’on le suivrait aveuglément. S’il voulait nous rallier à sa cause, il avait tout intérêt à nous dire ce qu’il compterait faire une fois qu’il aurait pris le pouvoir. Bien sûr, il ne serait sans doute pas le seul décideur… mais son avis ferait pencher drastiquement la balance. C’était désormais lui qui disposait d’une force militaire conséquente, grâce à Spokane et à son nouveau grade. L’Adonaï avait été bien mal avisé de placer autant de pouvoirs entre les mains d’un seul homme. Il lui avait fait confiance, et voilà le résultat.

Si Richardson n’avait pas déjà doublement trahi ma confiance en s’en prenant à ma famille, aucun doute que je n’aurais jamais suivi le Général Phillips. Il avait su, en à peine quelques heures, susciter en moi la plus vive méfiance. S’il était capable de retourner sa veste aujourd’hui contre l’un de ses plus vieux amis, qu’en serait-il demain ? Nous n’avions rien su de son plan avant la veille. Il nous parlait de confiance, en nous mettant devant le fait accompli. Le choix n’en était pas vraiment un. Si je refusais, qu’allait-il se produire exactement ? Dans le meilleur des cas, je serais seulement laissé sur le bord de la route sans qu’on me loge une balle dans le crâne comme à un chien. Il n’y avait pas assez de voix pour s’élever contre lui. Déjà Jacob lui accordait lui aussi le bon Dieu sans confession.

Mon regard croisa celui de Benjamin, où je lisais la même incertitude. Lui aussi pesait le pour et le contre. J’avais bien promis à sa femme de chasser la corruption de New Eden, mais ce n’était pas de cette façon que je voyais les choses. Nous aurions pu traîner un à un chaque général en justice pour qu’ils répondent de leurs actes. Nous aurions pu prétendre à un gouvernement incorruptible, grâce à Hale et Ortega. Mais peut-être fallait-il un coup d’état pour briser l’image divine de l’Adonaï et rappeler qu’il n’était qu’un homme, contrairement à ce que nous avions longtemps cru, et pourri jusqu’à la moëlle.

J’écoutai la suite du plan, celui qui serait révisé en vue de l’attaque sur Walla Walla. Quand Armand nous demanda sans détour s’il pouvait compter sur nous, je lâchai sans grande conviction : « J’en suis. » Car il me fallait bien rentrer pour mettre en sécurité ma famille. Et surtout, parce qu’une part de moi espérait encore changer la donne et infléchir le destin.

« Ils te feront la guerre, mais ils ne te vaincront pas; car je suis avec toi pour te délivrer. » dit l'Eternel

Je comprends les doutes, les craintes qu’ils peuvent avoir. Ils ont peur pour leurs proches et je les comprends… Mais je fais mon possible pour les convaincre, pour montrer mon soutien à Phillips. D’ailleurs, le Grand Général leur laisse le temps de la réflexion, avouant avec franchise qu’il n’a pas de réponses à toutes les questions qui viennent d’être posées. Je l’écoute une fois de plus avec attention, et ses dernières paroles me confirment que je peux lui faire confiance. Ce sera à nous de participer au défi qui nous attend, d’ériger un monde plus juste, un monde où nos enfants se sentiront bien, tous ensemble.

Armand finit par nous rejoindre, nous échangeons une poignée de main ferme avant quand je prenne le temps de causer de tout cela avec Stoot. D’autres parlent, échangent, essaient de convaincre les plus réfractaires. J’observe, j’écoute, jusqu’à ce qu’Armand demandent à certains de le rejoindre pour de plus amples explications. A sa question, je me contente d’un « Oui. » Ferme et assuré ; il est temps de faire changer les choses. Et si la peur est présente dans un coin de mon esprit, je ne pense qu’à ma famille, bien décidé à leur offrir une nouvelle vie…

•••

I can see the rising sun. The devil's still on the run. All the pretty things burn out. Heart beating in my head. Feeling numb with every breath. Smoke and fire all around ▬ Finger on the trigger.

Il serre la main d'Armand, sans avoir besoin d'en rajouter. Jacob est comme les autres, il appréhende la suite du programme. Il appréhende cette arrivée dans la nuit, il appréhende ce qu'il va se passer et comment ça va se passer. Il craint de devoir faire du mal à des gens de son propre groupe, de faire souffrir des familles. Et en même temps... Il ne peut s'empêcher de penser à sa soeur, à sa femme. A ces personnes qu'il a déjà vu souffrir bien avant, pour bien moins que ça. A ce qu'il n'a pas pu faire pour sauver Helene.

Les yeux dans le vide, la question d'Armand le sort de sa torpeur. Il n'a pas besoin de répondre. Un simple hochement de tête traduit tout : oui, il le suit. En fait, son coeur le lui dicte : il ne peut pas être ailleurs que là à cet instant. Il ne peut pas faire autre chose que ça. C'est sa place, en son âme et conscience, s'il y reste demain, alors c'est que c'est son heure. S'il survie, c'est que Dieu a encore une voie à lui montrer. L'avenir est fait d'incertitude. A lui d'avoir confiance en son Leader.

On my skin

Witness Marks

Ils étaient prêts. Au fil des heures, Armand avait pu parler avec tous ces hommes. Ses hommes. Il avait gardé une attitude assurée. Il sentait cependant la pression grimper. Il avait cette impression d'être sur un sentier étroit à flanc de falaise. La moindre inattention, le moindre dérapage, et ce sera la chute fatale. Pour lui. Pour tous ces types qui remettaient finalement ce soir leurs destins entre ses mains.

Il répondit d'un hochement de tête appréciateur aux dernières confirmations de Benjamin, River. Il savait cet instant un peu solennel.

- Très bien. Alors bonne chance, conclut-il, avant de rejoindre un autre groupe.

***

La nuit était depuis longtemps tombée. Elle était froide. Un fin croissant de lune éclairait péniblement le paysage. Les camions évoluaient dans leur dernière ligne droite. Il était presque 3h du matin. A l'intérieur les hommes étaient concentrés. Les coeurs s'emballaient. Au loin se trouvait la silhouette invisible de la ville. Le moment était venu. L'heure de vérité.