Penché au-dessus de ce sac que je viens de terminer de remplir, je ne peux m'empêcher de laisser un profond soupir m'échapper. Je déglutis lentement, restant dans ce silence pesant qui m'entoure depuis que j'ai commencé à préparer mes affaires. Puis, mon regard finit par se poser sur ces petits morceaux de papier que j'ai plié et sur lesquels j'ai noté les noms des personnes à qui ils sont destinés. Maxine. Sasha. Nascha. Lexie... Je n'ai pas honte de repenser aux larmes qui ont coulé sur mes joues lorsque j'ai posé les mots sur le papier. Car m'enfuir a beau être une nécessité, cela me coûte énormément.
Prenant une grande inspiration, comme pour y puiser un courage plus que nécessaire, je finis par refermer mon sac et récupérer les lettres. Il ne me faut pas longtemps pour aller déposer chacune dans les chambres des personnes à qui elles sont destinées, laissant à Max le soin de s'occuper de remettre à Lexie celle qui est pour elle.
Une fois que c'est fait, je récupère mes armes et jette un coup d’œil à la décharge. Combien de temps s'écoulera avant que je ne revienne ici ? Je n'en sais rien. D'ailleurs, je ne sais même pas si je pourrai encore le faire. Le voyage que je m'apprête à entreprendre pourrait bien être le dernier. Ainsi soit-il, j'imagine. J'ignore si je suis réellement prêt à mourir. Mais si tel est mon destin, de rendre mon dernier souffle en essayant de mettre un terme à la menace des Oblivions sur mes proches, alors je l'accepte en pleine connaissance de cause.
D'un pas lent, je finis par rejoindre le conteneur dans lequel Ana-Lucia a pu s'installer. Elle-même a certainement dû prendre le temps de faire ses adieux à Tariq, avec lequel elle était arrivée et qui a pour sa part repris la route de l'endroit d'où ils venaient tous deux. Si je laisse derrière moi mon enfant à naître, mon ex-femme se doit d'abandonner son nouveau-né. Ce n'est pas plus simple, bien au contraire.
Je frappe contre la porte avant d'entrer, me contentant de rester à proximité de la porte en tenant mon sac sur mon épaule. Tu es prête à partir ? Dans ma voix, ni animosité ni colère. Nous avons un passif, certes. Nous nous détestons certainement autant l'un que l'autre. Mais le karma a décidé de nous obliger à fuir ensemble. A prendre la pire des décisions pour nous-mêmes afin de protéger ceux à qui on tient. Et pour ça, je tiens à mettre de côté tout ce qu'on a pu traverser. Aujourd'hui, on est sur un pied d'égalité.
Je prends de l'avance avec Liam, nous partons pour éloigner les Oblivions de la région et éviter qu'ils ne nous cherchent dans les alentours. Je sais que ça n'est pas ce qu'on avait prévu à la base, mais c'est nécessaire.
Pour une fois, écoute-moi. Rentre, préviens les autres, et essaie de renforcer avec eux les défenses. Faites attention en rentrant, vérifiez que vous n'êtes jamais suivi, restez discrets et soyez vigilants lorsque vous passez au Store.
Je reprends contact avec vous au plus vite,
Embrasse-les tous pour moi, et fais attention à toi,
Ana
La lettre est refermée, repliée sur elle-même, et tendue à Demetra qui lui adresse un regard étrange : Tu pourras donner ça à Tariq ? Demande-t-elle à la brune. Le mec immanquable, celui qui a eu la chic idée de se démettre l'épaule au pire moment. Quand la forgeronne accepte, en échange d'autres informations à venir sur leurs routes, Ana hoche la tête : Merci, lui souffle-t-elle. Elle se sent toute drôle, à l'idée de s'en aller. En hissant son sac sur ses épaules, elle se permet un détour vers Lucifer, pour quelques mots échangés avec lui.
C'est là-bas qu'elle retrouve Liam, quand il lui demande si elle est prête à y aller. Tariq dort et récupère des forces, sa monture rentrera avec lui, et une partie de ses affaires également. C'est frustrant mais Ana sait qu'elle doit se satisfaire de ça. Oui, je suis prête, assure-t-elle à son voisin en lui faisant signe d'y aller. Ils n'ont pas de temps à perdre de toute façon, la prochaine pleine lune n'est pas pour tout de suite de toute évidence, mais ça ne veut pas dire que ça n'urge pas.
De surcroit, une autre équipe les attend ailleurs, et Ana veut pouvoir s'assurer que ça ne sera pas en vain. On en a pour combien de temps de marche jusqu'à la première étape ? Demande-t-elle à son voisin en relevant les yeux vers lui. Cette route avec lui est si étrange, elle n'a pas envie d'être là, lui non plus, mais ils n'ont pas le choix, tous les deux. C'était trop beau de croire qu'on pourrait fuir Portland et avoir finalement la paix, grogne-t-elle pour elle-même, avant de soupirer de plus belle. Leur passé finit toujours par les rattraper, de toute façon.
Faire ses adieux ce n'est jamais simple. Et même si dans le fond je crois qu'on a tous les deux envie de se convaincre que ce n'est qu'un au-revoir, malheureusement rien n'est moins sûr. On s'apprête à partir sur les routes pour tenter d'attirer vers nous les pires êtres humains qui puissent sillonner les alentours. A en faire pâlir New Eden, si on veut mon avis. Et au passage, je sais très bien qu'on essaiera d'en profiter pour en éliminer le plus possible. Si ça ce n'est pas s'élancer au devant d'une mort certaine, alors je ne sais pas.
Un profond soupir m'échappe alors que Ana finit par me répondre qu'elle est également prête à y aller. Je hoche la tête, prends une grande inspiration et finis par lui faire signe qu'on peut commencer à se mettre en route. Tout en marchant vers la sortie de la décharge, je fouille dans ma poche pour en sortir la carte en mauvais état qu'on a pu récupérer dans une bagnole de la casse et y mettre nos annotations. A vue de nez, je dirais qu'on en a pour une bonne semaine. Voire plus, selon la météo et les détours qu'on devra faire. Si la pleine lune n'est pas pour tout de suite, ça ne veut pas dire pour autant qu'on peut se permettre de traîner.
Si on veut d'abord rejoindre le camp d'où venaient ceux qui sont arrivés ici, il faut pas traîner. Selon ce qu'on trouvera là-bas, on aura peut-être plus d'infos sur cette fameuse réunion. Mais c'est également prendre le risque de se faire tuer à notre première rencontre avec d'autres Oblivions. Je ne sais pas à quel point ils ont réussi à sécuriser leur camp de fortune ni même comment est-ce qu'ils s'organisent. C'est bien ça qui me fait chier.
Quittant enfin la décharge, et après un dernier regard en direction de Junk Town, je replie la carte pour la ranger dans la poche intérieure de ma veste. Je monte ma capuche sur ma tête, plaçant mon écharpe jusque sur mon nez pour me tenir chaud. Les mains dans les poches, j'avance aux côtés de mon ex-femme. Le karma finit toujours pas nous rattraper. Tôt ou tard. Et à croire qu'ils ont rien d'autre à foutre que venir nous chercher, surtout. On était si exceptionnels que ça, tu crois ? J'ai un petit rire sans joie soufflé par le nez. J'essaie de dédramatiser la situation, mais soyons francs : ça ne marche pas.
Une bonne semaine, répète-t-elle sans retenir un soupir frustré. Elle a autant envie de faire ça que de s'enfoncer des épines dans les yeux, étrangement. Mais elle n'en dit rien. Liam n'est peut-être pas forcément le pire dans l'histoire, la route pourrait être bien plus terrible. Même si, bon sang... Une semaine ! Elle soupire rien qu'à l'idée avant de secouer la tête : On a intérêt à s'entendre si on veut que ça passe vite, l'occasion de faire des jeux stupides, ils en ont été rendus à ça avec Tariq, à défaut du silence pesant.
Même si, à cheval, la donne est différente. Mais le soir au coin du feu, pour tuer le temps et parvenir à se changer les idées, ça n'était pas désagréable. Finalement, elle a même appris à le connaitre un peu mieux, à le comprendre peut-être. Sans aller sur des sujets trop sensibles, trop intimes, ils ont essayé de faire en sorte que ces moments ensembles ne soient pas trop lourds, trop indigestes. Il y a même eu des fois où elle a ri, avec lui. Et en scrutant Liam du coin de l'oeil, elle se demande si elle arrivera à faire la même...
C'est une question d'égo, précise-t-elle alors en haussant les épaules, un peu dépitée. Tu te souviens ? Le Grand Maitre déteste quand on lui échappe alors qu'il n'a pas fini de jouer avec nous, ajoute-t-elle simplement. Elle se revoit là-bas, et elle revoit surtout l'attitude de cet homme, sur son trône, à jauger la foule comme un empereur la masse. Bien sûr qu'il s'est pris pour Cesare, et plus encore, il a cru pouvoir mener un empire. Mais ce type d'homme se plante toujours.
Reste à savoir quand. Si on a encore la force de se plaindre et de se battre, ça ne lui suffit pas, il faut qu'on soit à ses pieds, qu'on le vénère et qu'on ne pense que par lui comme... Notre bienfaiteur à tous, elle a les mâchoires serrées, dégoûtée de ses propos. Ce type doit avoir des casseroles au cul qu'on ne peut même pas imaginer, elle s'interroge encore sur lui. Sur ce personnage. Elle se questionne. Tu ne t'es jamais demandé qui il était avant tout ça ?
Un petit rire soufflé par le nez m'échappe alors que j'entends les mots de mon ex-femme. Je lui offre une œillade en coin, haussant les épaules d'un air amusé. On a bien réussi à se supporter assez pour se marier, on devrait réussir à le faire pour survivre tu crois pas? Je sais pas vraiment qui j'essaie de convaincre entre elle et moi. Peut-être un peu des deux. Évidemment que je crains qu'on finisse par simplement avoir envie de s'étriper l'un l'autre, mais ce serait un peu contre-productif. Enfin, je trouve. Et puis, comme on dit, l'ennemi de mon ennemi est mon ami. Faut se focaliser sur ça j'imagine.
Malgré moi, je fronce les sourcils lorsque Ana sous-entend que j'ai peut-être oublié comment était le Grand Maître. Soupirant, je la laisse parler avant de secouer négativement la tête. J'ai pas oublié... Et je sais pas toi, mais moi j'avais droit à des petites invitations de sa part, parfois, après un combat. Ou à des visites, simplement pour me rappeler que la gloire est éphémère, des trucs du genre. En gros, pour bien me rappeler que le jour où il aura décidé que son jouet ne lui plaît plus, il le jettera sans vergogne à la poubelle. Enfin, c'est comme ça que moi j'ai interprété la chose. Sûrement la raison pour laquelle je redoublais d'ingéniosité pendant mes combats pour continuer de l'impressionner par ma barbarie. Et aussi, la raison pour laquelle je n'ai pas hésité à m'enfuir quand j'ai pu.
J'ignore depuis combien de temps on marche, mais à en juger par la position du soleil dans le ciel, il ne nous reste que peu de temps avant que la nuit ne se mette à tomber. Observant les alentours, difficile de ne pas se rendre compte qu'il sera complexe de trouver un abri pour la nuit en un claquement de doigts. Surtout qu'on est pas vraiment en terrain conquis là. Et deux zigotos à pied sont des proies faciles, quel que soit le prédateur. Vivant, mort, humain ou animal. On devrait commencer à chercher un abri pour la nuit.
J'ai été suffisamment chanceuse pour qu'il ne me demande pas de faire partie de son harem, ça me convient très bien comme ça... souffle-t-elle en réponse, un bref hochement d'épaules qui va avec, elle ne cherche pas plus loin. Elle sait qu'elle aurait pu avoir à le subir bien plus, et honnêtement, elle s'en passe. Ce type lui sort par les yeux, pour tout l'enfer qu'il leur a fait vivre. Pour ce qu'il leur a fait commettre. Tout ça pour quoi ? Par amusement. Parfois, elle se demande jusqu'où lui-même s'est piégé là-dedans. Autant pas pousser le vice, ajoute-t-elle.
Elle pince les lèvres, portant le regard sur son voisin. Je ne sais pas si je te plains ou pas de tout ça, d'avoir eu droit à ses rappels à l'ordre, pour qu'il n'oublie pas à quel point il est mortel. J'espère pour toi que tu en as tiré avantage au moins, quitte à souffrir, autant que ça ne soit pas pour rien. Liam a excellé dans la cage, mais après ? Ana n'a jamais cherché à savoir les horreurs qu'il a pu commettre et pourquoi. C'est sans doute pour le mieux, pour tous les deux.
______________
J'ai déjà hâte d'arriver, soupire-t-elle alors qu'ils progressent jusqu'à trouver une piaule ouverte et à peu près "fermable" pour la nuit. La maison est vétuste, mais a survécu à bien des choses de toute évidence. C'est pour le mieux. Ils ne vont pas s'y installer, pas ensemble. Parcourant du regard les murs usés, les photos qui y figurent, elle avise une famille lambda. D'un geste, elle se permet de décrocher le cadre et le poser face contre le meuble. Le repas sera léger, ajoute-t-elle.
Ils doivent économiser pour la semaine entière de toute façon, hors de question de se remplir le ventre. Là, ils mangent pour tenir les journées. Voilà tout. Il faudrait faire raser ce campement... grogne-t-elle soudainement à propos des Oblivions. De concert, ils préparent un semblant de feu, à manger aussi au passage. Des couvertures trouvées, glissées sur leurs épaules. Je ne comprends pas comment il peut tenir encore...
Je suis vivant. C'est le seul véritable avantage que j'en ai tiré. La barbarie dont j'ai pu faire preuve dans l'arène faisait partie de mon passé jusqu'à ce que ces Oblivions nous retrouvent et que je sois presque obligé de renouer avec celui que j'étais là-bas. Je n'en suis pas fier, loin de là. Et dans le fond, je crains même qu'à force de trop marcher sur cette fine ligne séparant la personne que je suis et celle que j'étais, je finisse par tomber du mauvais côté.
***
Fracassant une chaise pour récupérer le bois qui la compose et nous préparer un feu, je soupire à la remarque de Ana. Hochant la tête, je la rejoins dans ce qui était autrefois le salon et dépose le tout au sol en la voyant faire avec le cadre. On est deux. Plus vite on arrivera, plus vite on peut espérer avoir des réponses à nos questions. Mais le souci, c'est qu'à deux, je ne vois pas vraiment ce qu'on pourrait faire. Surtout pas face à des tarés dans leur genre.
Occupé à faire le feu, j'écoute les dires de la brune avant de grimacer. Tu vois bien New Eden, bizarrement c'est les pires endroits qui ont l'air de tenir le mieux. Avec un fou qui sait bien mener sa barque, faut croire que ça fonctionne mieux que quand on essaie de faire les choses bien. Un peu défaitiste, je sais. Mais bon, c'est la réalité.
Je finis par m'installer au sol près du feu une fois qu'il est allumé, tendant les mains pour les réchauffer un peu. J'ai l'impression que mes doigts vont tomber, tellement j'ai froid. Et après un moment passé dans le silence, je finis par prendre une grande inspiration et reprendre la parole, ne quittant pas les flammes du regard. Ce qu'elle a fait avec la photo, avant, ça me trotte toujours en tête. On fera ce qu'il faut pour que tu puisses retrouver ta famille, ok ? Je ferai tout ce que je peux pour ça. Parfois, la rancœur du passé n'a plus sa place et il faut savoir passer outre tout le ressentiment qu'on peut avoir pour quelqu'un. Oui, Ana est certainement la pire personne sur laquelle je pouvais tomber à la loterie des gens avec qui me retrouver coincé dans une quête suicidaire. Mais bon, fallait bien que je m'attende à ce que le karma me joue des tours encore une fois.
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