The Walking Dead RPG

Je peux comprendre cette peur qui lui tient déjà au corps. Entre ce qu’elle a pu vivre à Walla-Walla et la soirée de marquage ici, autant dire que ça ne peut que donner envie de disparaitre, d’éviter tout contact avec les gardes. Mais j’ai envie de croire qu’ils ne sont pas tous pareils. Après tout, tous n’étaient pas aveugles dans la milice et certains étaient même prêts à agir. J’ai un peu peur que ce ne soit plus le cas pendant quelques temps, ne serait-ce que pour digérer la chute du Parlour. Pour autant, il y a toujours un foyer que rien ne pourra éteindre et qui, je le souhaite de toute mon âme, arrivera à faire la différence là-bas.

Ici, c’est une autre histoire. Et c’est un miracle que nous soyons toujours en vie. Mais le fait est que nous sommes là. Pour combien de temps ? Difficile à dire. Alors autant mettre à profit le temps que nous avons. Pour être en paix avec nous-même, avec les autres. Et surtout, pour ne pas perdre notre humanité. « Je sais Elliot… » Je comprends qu’elle se sente vide. « C’est normal, surtout après tout ce que tu as déjà traversé. » Pourtant, au reste, je ne peux pas m’empêcher de tousser un rire. « Un mauvais choix ? Qui te mènerait où ? » Je désigne les environs d’un mouvement du menton, non sans lancer une carotte dans le panier. « Je pense qu’il n’y a pas d’endroit pire que celui-là. Alors, niveau mauvais choix, je pense qu’on est plutôt pas mal là, tu ne crois pas ? » Soufflé d’un ton léger, bienveillant. « Tant que tu as peur, c’est que tu es encore capable de ressentir quelque chose. Il faut te laisser un peu de temps. » Et j’ajoute, avec un sourire un peu triste, même si mon regard reste toujours aussi brillant. « Et la trahison, c’est un bien grand mot je trouve. » Je tapote mon épaule gauche, là où mon épaule, tout comme la sienne a été marquée. « Nous sommes des traitres après tout. C’est si grave que ça ? »

Je lui laisse le temps de finir ce morceau de pain et je finis par lui relever la tête, non sans essuyer une larme qui roule sur sa joue. « Respire doucement, ça va aller. » J’ai tout de même un regard autour de nous, pour m’assurer que nous n’avons attiré l’attention de personne. C’est le cas, nous sommes toujours aussi tranquilles et les gardes sont plus loin, occupés à discuter entre eux sans nous prêter la moindre attention. « Ne me remercie pas, c’est normal. » Et j’ai tout autant besoin d’elle que l’inverse, qu’elle n’ait pas de doute à ce sujet.

À pire ? À la mort ou dans les pattes d’un de ces pervers sadiques… Je déglutis péniblement en y pensant. J’ai été assez épargnée jusqu’ici comparativement à d’autres et j’en ai pleinement conscience. Je préfère ne pas parler de tout ça. Juste… aussi… de ne pas y penser. Plus je me fais petite, plus je me fais discrète, moins je me sens dans la visée des fous.

- Oh… Tant que j’ai peur, c’est que j’arrive à ressentir quelque chose…

Les mots résonnent dans mon esprit, pendant que j’essaie de sortir une énième carotte rachitique du sol gelé. En quelque sorte… c’est rassurant. En quelque sorte… ça me donne un peu d’espoir. Je n’en suis pas encore à me dire que c’est pour mieux me donner un élan afin de remonter à la surface de cette eau qui me noie doucement depuis novembre… mais…

Je crois que je réalise que tout n’est pas éteint en moi.

Mason essuie une larme qui coule sur ma joue, un peu comme papa faisait autrefois. Ça me brise autant le cœur que ça le recolle un peu en un seul morceau. J’hoche donc de la tête quand il me dit de respirer une peu, ce que je m’efforce de faire tout en me frottant les yeux du revers de ma manche abimée.

- M-me… Je m’arrête, alors que je vais encore le remercier. Il sait que c’est ce que je voulais dire, mais je qu’il me répète que c’est normal. Ça ne l’ai pas et j’apprécie d’autant plus son aide… sa bienveillance et sa présence. Tu t’es fait beaucoup de nouvelles connaissances ? Je suis curieuse.

J’ai l’impression d’être arrivée tellement longtemps après tout le monde, mais j’étais juste coincée à l’infirmerie…

Tasya a des connaissances, Mason a des connaissances et moi j’ai peur de mon ombre… Il faudrait peut-être que je prenne exemple sur eux ? Est-ce que ce serait naïf de me dire que les autres ici vont plutôt se serrer les coudes que d’essayer de se vendre entre eux pour un bout de viande ? J’ai juste du mal à y voir clair en fait.

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Je sais à quel point ça doit être difficile pour elle. Parce que je sais à quel point ça l’est pour moi. De ne pas savoir si nous survivrons à tout ça, de se dire que, peut-être, si on nous sort de là, ce sera trop tard et que New Eden aura finalement réussi à nous arracher notre humanité. Je m’y raccroche pourtant, à cette fichue humanité. A ce qui nous empêche de devenir des monstres.

Mais c’est un peu plus difficile chaque jour. Et pourtant, ça ne fait que quelques semaines que nous sommes là, je n’ose pas imaginer ce que ce sera dans plusieurs mois. Si tant est nous soyons en vie à ce moment-là. Ce dont il est permis de douter quand on voit comment les gardes peuvent se comporter avec nous. Mais je sais une chose, je ne pourrais pas lâcher prise. Que ce soit pour Anja et les enfants, même s’ils sont loin, pour les autres, pour tous ces noms que je répète chaque soir avant d’aller dormir. Mais aussi pour elles. Pour Tasya et Elliot. « C’est important Elliot. De toujours ressentir quelque chose. Même si c’est de la peur. De la colère. Ils essaient de nous enlever tout ça. De faire de nous du bétail. Et ils ne doivent pas réussir. Alors cultive chacun de ces sentiments précieusement. On t’aidera pour en trouver d’autres plus positifs. D’accord ? » Qu’elle comprenne aussi qu’elle n’est pas seule.

Et je lui rends un sourire plus doux. « Je sais que tu es plus forte que tu n’en as l’air. Ca va être le moment de le prouver. » Même si chaque journée va être une épreuve plus difficile à chaque fois. Pourtant, il faut tenir et continuer à se raccrocher à cette croyance – probablement stupide – qu’ils arriveront à faire ce qu’il faut là-bas. Et à venir nous chercher.

J’ai un bref hochement de tête à sa question. « Quelques personnes oui. Riley s’est mis en tête dès le premier jour à me montrer le fonctionnement au camp. C’est un gentil garçon. Il y a Jude aussi. C’est un rabbin. Une des personnes les plus avisées que j’ai pu rencontrer dans mon existence. » Sans compter Marvin qu’elle a déjà pu croiser. Même Line s’est montrée d’une aide précieuse. Et chacun des habitants de la baraque, même si c’est parfois plus facile de ne se lier à personne, pour éviter de perdre encore quelqu’un. « Tu vas pouvoir te faire des relations toi aussi. Les gens auront de la chance si tu es leur alliée. » Est-ce que certains n’hésiteront pas à nous vendre ? Je suis à peu près sûr que oui. Mais ça ne m’a déjà pas arrêté à Walla-Walla. Ca m’a même conduit à ma perte. Pour autant, je continuerais à croire que l’homme n’est pas foncièrement mauvais. J’en ai terriblement besoin.

J’hoche de la tête aux dires de Mason. L’importance de ressentir quelque chose, n’importe quoi, même si c’est de la peur… Je comprends ce qu’il veut m’expliquer. Je comprends l’importance de ne pas laisser tomber.

- J’ai vu des gens rire. J’ai vu des gens qui positivaient malgré l’endroit où nous sommes… Que je lui raconte. Il y a des gens éteints et il y a des gens… vivants. Je ne sais pas comment l’expliquer autrement. J’ai juste… peur de mon espoir. Oui, parce que j’ai des miettes d’espoir encore.

Je ne sais pas si je dois tout étouffer et me faire une raison ou si je dois continuer de rêver. Continuer d’espérer. Me remettre sur pieds et trouver des solutions. Y en a-t-il seulement ? Des solutions ? Dois-je me faire à cette vie d’esclave ? Dois-je aspirer à l’évasion ? Je n’ai pas la force de relever la tête… je ne sais pas si je la retrouverai, cette flamme…

- Je vais faire de mon mieux. Il le faut. Pour Mason et Tasya. Ma seule famille.

Je récolte encore des carottes, côte à côte avec lui pendant que nous parlons. Je l’écoute tandis qu’il m’explique que c’est Riley qui l’a abordé dès le premier jour. Je ne le connais pas vraiment, mais c’est lui qui est venu m’aider le jour où les musiciens…

- C’est vrai qu’il est gentil. Pas que je ne l’avais pas réalisé avant, mais avec la discussion que nous avons Mason et moi… Je crois que je réalise vraiment. C’est idiot hein, mais… ça me réchauffe un tout petit peu le cœur. Même en tant qu’esclave, la bonne nature de certains est increvable. Est-ce que les musiciens… étaient des connaissances de Jude ? On m’a expliqué ce qu’ils chantaient… Je ne veux pas assumer parce qu’ils ont la même foi, mais ici je suis persuadée que ça rapproche les gens. Oui, il faut que j’essaye. Je suis un peu plus convaincue qu’au début de la journée.

Mason m’a fait entendre raison, je suppose. Il m’a rassuré il faut dire, m’a secoué avec douceur sans peut-être le réaliser même.

- La dame qui m’a donné ce qu’il faut pour teindre mes cheveux… Je la paye en ration de nourriture. Elle trouve les ingrédients, puis prépare un genre de poudre… Enfin, tout ça pour dire… elle est gentille. Je comprends qu’elle veuille de la nourriture. Il y a aussi une fille d’à peu près mon âge qui a perdu sa sœur pendant l’épidémie…

Si ça se trouve, Mason et moi avons peut-être même transporté son corps pour le brûler… Un grand frisson me prend d’un coup.

- Je… Je pince les lèvres un instant. Je n’en suis pas capable et ce n’est sans doute pas possible, mais c’est un souhait. Un souhait que j’ai toujours eu. J’aimerais… j’aimerais tellement changer les choses.

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Je suis heureux de voir qu’elle m’écoute. Et qu’elle essaie même de se raccrocher à ce que je lui dis. Parce que ça m’aide tout autant à m’y raccrocher. Je n’ai encore aucune idée des horreurs que nous allons traverser les prochains ou d’à quel point l’idée même de survivre va être une vraie gageure. Mais je sais que chaque miette d’espoir, chaque moment où on pourra se rappeler qu’on peut leur survivre, tout ça nous permettra de tenir le temps qu’il faudra. Pour quitter cet endroit, pour que New Eden tombe enfin. Pour que les tyrans finissent enfin par laisser la place à autre chose.

Il ne peut en être autrement.

Et j’ai un sourire à l’attention de la jeune femme quand elle continue. « C’est important de rire. De profiter de chaque moment. Et ce n’est pas parce que tu trouveras quelque chose de drôle, même dans cet enfer, que ça fera de toi une mauvaise personne. D’accord ? Il peut y avoir des bons moments, ici aussi. Je te le promets. » Au reste, je hoche doucement la tête. « Je comprends. Certains disent que l’espoir paralyse, qu’il empêche d’être lucide. Moi je pense au contraire que c’est ce qui peut nous porter. » Même si certains jours, ce sera bien plus facile à dire qu’à faire.

Le travail continue, suffisamment simple pour que nous n’ayons pas besoin de nous concentrer dessus. Sans compter que les gardes continuent de nous ignorer royalement, trop occupés à discuter entre eux autour du bidon où crépite un feu. Et je lui parle des quelques personnes qui partagent mon quotidien ces dernières semaines. Un hochement de tête pour confirmer que oui, Riley est terriblement gentil, trop pour son propre bien probablement. Et j’ai un froncement de sourcils à sa question. « Je ne lui ai pas demandé. Mais il y a une grosse communauté juive ici tu sais. Beaucoup ne sont d’ailleurs là qu’à cause de leur religion. » Ce qui est tout simplement intolérable. Si je pourrais presque entendre que des gens comme moi, comme nous, finissent ici parce qu’ils ne veulent surtout pas qu’on continue de saborder leur système, le simple fait d’être là parce qu’on croit en un autre Dieu, qu’on est homosexuel ou que sais-je encore… je repense avec amertume aux propos de River, persuadé que New Eden ne pourrait pas faire quelque chose comme ça. Et je me demande comment il réagirait en voyant tout ça.

Un bref soupir et je reprends, me focalisant sur Elliot. « J’aimerais autant que tu arrêtes de troquer ta nourriture contre autre chose. Si tu as besoin, tu viens me voir, on trouvera moyen de faire des échanges qui ne te privent pas de manger pendant plusieurs jours. D’accord ? » Parce que déjà, nos rations sont maigres, mais si en plus elle n’a plus rien à manger, elle risque de ne jamais tenir la distance. « Mais continue de discuter avec les gens. Fais-toi une place. »

Au reste, mon regard se fait un peu plus pétillant. « On peut toujours changer les choses Elliot. Même à notre niveau. » Même si c’est une simple goutte d’eau dans un océan d’horreurs. Même si, au premier regard, on dirait qu’il ne se passe rien. Toutes ces gouttes cumulées entre elles finiront par former quelque chose d’assez fort pour que les tyrans tombent enfin.

Sans le savoir, sans le réaliser et surtout sans penser que ça changerait réellement quelque chose, j’avais besoin d’entendre tout ce que Mason me dit. Tous ces conseils, de ressentir cet espoir chez lui. Je ne suis pas quelqu’un de foncièrement pessimiste. Sauf que depuis le Parlour… je me sens… brisée.

Je sais ce que ma mère me dirait. J’entends encore sa voix, même si elle commence à devenir un peu plus floue dans mon esprit. Elle me dirait que ce qui n’est que brisé peut être réparé.

Je grimace bien malgré moi lorsqu’il est question de nos compagnons d’infortune, ceux qui sont ici simplement parce qu’ils croient en une autre religion que ce que New Eden voudrait. Ceux qui ont fait moins pire que Mason et moi, mais qui sont tout autant persécutés. Le monde est à l’envers, le monde est laid. Je déteste le monde qu’a créé New Eden !

Je relève le nez vers Mason quand il me demande d’arrêter de troquer ma nourriture. J’ouvre la bouche pour dire un petit « mais », sauf que j’abandonne.

- D’accord. Que je réponds penaude.

Je comprends et quelque part tout au fond de moi, je lui suis reconnaissante sans doute de me raisonner un petit peu, mais surtout d’être là pour moi. De sa façon d’être avec moi. Ça me fait penser à mon père et ça me fait terriblement mal au cœur, mais ça me le réchauffe aussi un petit peu.

Il ajoute qu’on peut toujours changer les choses, même à notre niveau. Et… je ne résiste pas plus longtemps, je viens lui faire un câlin plein de larmes. Je le serre fort contre moi, comme s’il était ma bouée dans cet océan noir et inhabitable.

- Merci. Que je bredouille, la voix secouée d’émotion.

Déjà un garde nous hèle et je m’écarte rapidement. Je me repenche pour recommencer à récupérer ces carottes rachitiques dans ce sol dur et gelé. J’ai mal au doigts, mais… je suis contente d’être là avec Mason. J’éprouve beaucoup de gratitude à son encontre. Je ne sais pas si j’aurai un jour le courage de me relever, mais… j’essaierai de me répéter les paroles de mon ami.

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