Kait était lové contre Reese. Elle profitait de la chaleur qu'elles échangeaient. Un souvenir lointain et fugace lui était revenu, lorsque lycéenne, elle partait avec sa meilleure amie, entre deux cours, ou décidant, en fin d'année, qu'elles pouvaient les sécher. Elles se trouvaient un coin pour fumer une clope, restaient toutes les deux, l'une contre l'autre à discuter de tout et de rien, à noter les garçons, descendre les profs et se moquer d'Emilie, la goth musicienne qui était si populaire, qu'elles même en étaient jalouses.
-"Tu préfères pas ?"
-"De la Coke?" Kait avait mis quelques secondes de trop à réfléchir avant de répondre en pouffant. "Non merci, vingt à quarante minutes de speed pour une descente de plusieurs heures... je m'en passe." Elle avait essayé, quelques fois, vers la fin de l'adolescence. En vérité elle avait adoré ça. En tout cas jusqu'à ce qu'elle finisse par espérer dormir, la mâchoire serrée et une sensation de fièvre horrible. Pour faire la fête et boire jusqu'au matin sans risque d'être malade ou complètement débile, c'était parfait. Ici, dans ces conditions, autant prendre une gourde de LSD et se griller le cerveau. Comme Kait embraille sur l'avortement, c'est Reese qui lui explique qu'elle sait faire, mais que sa méthode n'est pas fiable.
-"C'est pas miraculeux mais... Oui, je peux faire un truc approchant. Enfin, ça te donnera pas du cent pour cent quoi..." Kait ferme ses yeux brûlant, soupir et lève le menton au ciel. Elle sent les effluves de l'océan, cette iode salée soulevé par les vagues qui claquent contre la structure de métal. Il s'y mélange le parfum de Reese. C'est étrange qu'elle est cette note bizarre, comme si les femmes enceintes ou récemment maman partageaient ce petit truc rassurant sur elle. -"Plutôt finir stérile ou même crever que de porter la chose qu'il pourrait mettre dans mon ventre!" Avait finalement juré Kait froidement. Puis elle avait changé de sujet, repartant sur son parcours jusqu'ici.
-"Quelqu'un a dit que tu étais une sale conne, méchante et insensible ?" Avait finalement demandé Reese. -"Non, pas spécifiquement. C'est, de toute façon ma faute si quelqu'un pense ça. Enfin, peut-être Lex, et Anton, et Valerian aussi, mais je l'ai braqué avec une arme..." Kait se redresse pour croiser le regard de la barmaid. "Tu sais, après avoir perdu mon groupe quand mon navire c'est échoué, je m'étais promis de ne plus m'attacher à personne. Je ne voulais plus souffrir, et dans ce monde... Bin... tu ne sais pas qui va vivre ou mourir. Ou plutôt tu ne sais pas qui va mourir quand. Alors je me suis enfermée dans une carapace. Je crois que je ne voulais pas non plus accepter que..." Kait à une hésitation, comme si les mots se coinçaient dans sa gorge. Des larmes lui remontent aux yeux. Et elle sait que s'ils sont brûlants c'est à force de pleurer trop souvent. "Laisse tomber!" finit-elle par murmurer, alors qu'elle chasse ces pensées.
Reese a la politesse de ne pas rebondir immédiatement dessus, et elle décrit ses propres concepts au sujet des principes, et des valeurs morales, des codes de ce monde devenu plus égoïste, par nécessité. Encore qu'il l'avait toujours été, de façon peut-être plus subtil dans la civilisation qui avait précédé. Mais là ou voulait en venir Reese c'était surtout à la position qu'avait choisis Kait, et son discours avait surtout pour but de l'aider à se préserver. Pas si égoïste que ça la dondon, avait pensé Kait en souriant et en reposant sa tête sur l'épaule de la jeune femme.
-"Mais je me forcerais pas à faire un truc pour vous et j'attends pas que ça soit votre cas..." -"C'est vrai, tu as raison." avait finalement reconnu Kait. Elle avait tiré une nouvelle cigarette et avait posé le paquet entre les chevilles de Reese et les siennes. Elle n'allait pas l'inciter à en fumer une autre, mais elle ne voulait pas l'obliger à demander si elle en avait envie. Elle avait allumer sa clope et posé le briquet sur le paquet. "Seulement, je crois deux choses." avait-elle dit en tirant sa latte. "Un, si le monde est partis en couille de cette manière cela ne peut-être qu'un jugement divin, tu voie? Comme... Comme le déluge et Noé, ou l'apocalypse selon saint-Jean. Quand les morts se lèvent de leurs tombent et que la guerre, la famine et la maladie se répandent partout. T'a pas l'impression de ça, toi? Alors je crois qu'on devrait essayé, juste essayé d'être meilleur." Kait exhale un nouveau nuage de fumée. "La première chose qu'on fait les gens? Se rassembler! Parce qu’ils savent, intuitivement, qu'ils sont plus fort ensemble. Puis quand le calme revient, ils oublient. Ils commence à se dire c'est moi, ou lui. Et au premier pépin tous le monde essaye de sauver sa peau. Et au final, tous le monde crève. Alors, tu voie, j'ai envie de croire que la part inconsciente en nous, celle qui nous a poussé à trouver d'autre survivants pour s'en sortir, c'est celle qui a raison. Et puis le sacrifice, à l'armée, j'ai appris." Elle avait conclu là-dessus, comme pour s'excuser de ne pas partager la vision de Reese. Elle avait tiré de nouveau sur sa cigarette, impatiente de la finir pour reposer sa tête dans le cou de la femme enceinte, avec son parfum particulier et rassurant.
-"Si ca peux te soulager de savoir ça, je le fais autant pour vous que pour moi. Vous seriez pas là, j'aurais juste une motivation en moins, c'est tout. Et pourtant ma détermination serait la même. Je vais tuer Ulrich, je vais tuer ses hommes. Je vais transformer leurs armes et le moteur de leur bateau en bombe mouvante. Il sera ma fusée éclairante. Comme dan l'apocalypse... Ou dans Pulp Fiction." Dit-elle en riant doucement." Il sera consumé par la vengeance divine, et il saura que j'étais l'instrument de cette vengeance, sa putain de Nemesis." Elle se tourne pour regarder Reese en face. Les yeux de Kait brûlent d'une détermination qui ne permet aucune objection pendant quelques secondes. Puis elle se détourne, pose la tête contre le mur de métal froid, et tire sur sa clope pour recracher sa fumée vers les étoiles. "Quand il va péter, dans une boule de feu digne des films de Roland Emerich, les flammes et la fumée vont offrir un point de repère à tous ceux qui nous recherchent pendant des jours. Ça peut brûlé une semaine entière, même en pleine mers. Et d'ici, le matin, j’essaierais de voir si je peux sentir l'odeur de porc grillé que va dégager Ulrich et ses compagnons."
En plus je suis persuadée que son gamin viendrait au monde avec des cornes, des sabots et une queue, j'ai un bref sourire amusé pour elle, en la laissant s'lover contre moi l'temps de. Je sais pas trop ce que m'inspire ce contact, il me fait bizarre et me met un peu mal à l'aise. A la fois, j'sais que j'en ai cruellement besoin parce que j'ai rien d'autres pour me réconforter. D'puis des mois qu'cette vie est une chienne, c'est à la limite une satisfaction d'pouvoir sentir quelqu'un qui veut pas m'sauter dans la foulée. Tu as braqué Valérian ? Mes yeux s'tournent vers elle : La question que j'me pose c'est : pourquoi tu as pas tiré sur cette tête de con ?
Je pouffe un rire. Ma rancune est tenace, surtout envers l'grec. Ma cigarette terminée, j'jette le mégot, et fixe le paquet qu'elle me laisse-là, comme si j'pouvais me resservir. Mais j'veux pas forcément et j'crois que ça serait pas raisonnable. Mon gamin a pas besoin d'fumer avec moi. Même si... C'est pas vraiment mon gamin, si ? Accepter que quoi ? Je fronce les sourcils alors, et pince les lèvres. J'ai l'impression qu'elle essaie d'se livrer et en même temps, s'abstient de le faire parce que... Je sais pas trop. Peut-être que ça la gêne. J'essaie d'comprendre sans forcément y parvenir. Je crois en pas grand chose, que j'ajoute.
Je crois que ceux qui ont survécu sont juste les plus chanceux, les plus lâches ou les meilleurs opportunistes, c'est hyper sombre comme vision du monde mais bon : Je crois qu'il y a pas grand chose à sauver chez l'être humain. Qu'a bien des degrés, on a juste fini par être traumatisé, et qu'ce monde a contaminé même c'qu'il y avait de plus beau en nous, je crois pas d'ailleurs qu'ça soit possible qu'il y ait quoi que ce soit d'beaux. Tout simplement. J'crois que c'qui y'a de cruel, ça a toujours été là, comme une tumeur à l'intérieur. Tu sais, j'me serais jamais pensée capable d'faire tout ce que j'ai fait pour survivre et pourtant... Pourtant pas une fois j'ai hésité quand il a fallu agir, que j'ajoute. Y'a forcément cette bête en chacun, ce truc qui fera tout pour qu'on persiste encore et encore et encore...
Un soupir m'échappe, je secoue la tête. Je sais pas si t'arriveras à cramer la gueule d'Ulrich, mais putain, comme tout le monde : j'espère. Je te le souhaite, sincèrement. Je nous le souhaite à tous, le monde se porterait que mieux sans cet enfant de putain. Mais j'crois pas qu'les gentils gagnent à la fin, et même si c'était l'cas, on est pas vraiment les gentils d'l'histoire, je soupire, les yeux dans l'vide un temps : Si jamais tu lui fumes sa gueule et qu'en plus tu t'en sors... je pince les lèvres : J'te servirais toutes les binouzes que tu voudras, gratuitement. Oh, et tu seras la marraine de ce gamin que j'vais sans doute devoir gérer toute seule, que j'ajoute alors en plaçant la main sur mon ventre. Je sais pas si c'est trop un cadeau par contre...
Elle la fait rire. Ce n'est pas un éclat de rire comme deux amies qui se feraient des confidence en fin de soirée. Mais c'est un rire sincère, un moment de soulagement complice. Elle a tellement pleuré ces derniers jours, que ça ne lui fait plus rien du tout; mais ce moment là, avec Reese... Elle a l'impression qu'un poids est enlevé, que la douleur est moins pressante. Et la question qui suit la description de la naissance d'un petit démon accentue encore les choses, au point qu'elle est obligé de se cacher en s'accrochant au bras de la barmaid.
-"La question que j'me pose c'est : pourquoi tu as pas tiré sur cette tête de con ?" Elle rit encore et se plaque contre le bras de la jeune femme pour étouffer ses éclats qui pourraient attirer l'attention des gardes ou réveiller leurs compagnons d'infortune.
-"T'es bête!" lâche-t-elle quand elle arrive à réprimer son rire. "Jamais j'aurais pu lui tirer dessus, même si c'est une tête de con. Il m'a sauvé quand même. Enfin, je lui dois ça..." Dit-elle en montrant une légère estafilade à peine visible, au niveau de son cou. La cicatrice est une ligne très fine de peau un peu plus claire. Difficile à discerner, invisible si on ne la montre pas. "Entre Gin qui m'a réclamée comme animal de compagnie, et lui qui voulais me décapiter au couteau de chasse, j'ai cru que j'étais tombée sur des dingues. Et je ne pensais pas avoir raison à ce point." Kait relâche son étreinte, essuie ses yeux du bout de son petit doigt et repose sa tête contre l'épaule de sa complice. Un ange passe, emporté par la brise continue qui souffle autour de la plateforme.
-" Accepter que quoi ?" Demande Reese sur un ton un peu plus grave. -"Que je m'en sois sortie, et pas eux. Que je sois la seule, comme si j'avais triché. Comme si c'était ma faute. Pourquoi tous et pas moi? Je me sens responsable de pas être morte avec eux, ça me ronge. J'ai l'impression que j'aurais pu faire quelque chose, que j'aurais dut faire quelque chose pour en sauver au moins un... Ou mourir en essayant."
Le débat tourne autour des valeurs morales, celles qu'elles partagent, et celles, majoritaires, qu'elles confrontent. Kait crois encore aux principes qui font de l'être humain autre chose qu'une bête stupide et un prédateur sans âme. Elle défend l'idée que c'est en s'accrochant à ces principes que l'humain peut s'élever au dessus de sa condition de connard. L'altruisme, l'abnégation, l'amitié, l'amour, la pitié, la clémence, toutes ces choses qui font que l'homme puisse s'élever au dessus de son rôle de simple virus mortel. Reese est bien plus pragmatique à ce sujet. Elle défend l'idée de la survie primaire, instinctive, animale, cette force primal qui à permis à l'humanité de résister aux forces qui s'élevaient contre elle depuis la nuit des temps.
-"Y'a forcément cette bête en chacun, ce truc qui fera tout pour qu'on persiste encore et encore et encore..." -" C'est vrai, tu as raison. Mais qu'est ce qui fait la différence entre un Ulrich et nous? Ce sont les principes aux quels on s'accroche. C'est peut-être de la naïveté que d’accepté de prendre le risque de faire confiance, d'aimer, de protéger, de se mettre en danger pour les autres, et bien trop souvent le résultat va te donner raison. Mais si on cesse de croire en notre union, si on cesse de croire en l'autre, si on abandonne toutes ces choses qui nous poussent à aimer au point de risquer sa vie pour relever ceux qui marchent avec nous... alors on devient des Ulrichs, et on ne mérite pas mieux que les boiteux." Pendant une seconde, Kait réalise qu'elle devrait peut-être s'écouter elle même. Elle qui a posé un barrage sur ses sentiments, ses émotions, pour ne plus être touchée par la perte d'un autre. Elle qui c'est mise, de facto, au banc de la société pour ne plus avoir d'attachement. Ah, il est beau son discours d'amour et de chevalerie, alors qu'elle a agit tout à fait à l'opposer jusque là. En tout cas jusqu'à l'enlèvement. Le silence s'étire un peu. Kait repose sa tête sur l'épaule de Reese, elle ferme les yeux. Elle a rit, un peu plus tôt, et ces idées sur la foi lui accroche un sourire fatigué.
-" Je sais pas si t'arriveras à cramer la gueule d'Ulrich. Je te le souhaite. Je nous le souhaite à tous. Mais j'crois pas qu'les gentils gagnent à la fin, et même si c'était l'cas, on est pas vraiment les gentils d'l'histoire. Si jamais tu lui fumes sa gueule et qu'en plus tu t'en sors... : J'te servirais toutes les binouzes que tu voudras, gratuitement. Oh, et tu seras la marraine de ce gamin que j'vais sans doute devoir gérer toute seule. Je sais pas si c'est trop un cadeau par contre." La réponse tarde à venir. Le souffle de Kait est un peu plus long, un peu plus régulier. Rire à décharger une tension qui la maintenait en éveil depuis des jours. Ce moment est comme un oasis dans un cauchemar sans fin. L'épaule douce d'un amie réconfortante et la chaleur qu'elles partagent est rassurante.
-"Prépare le bar... Je ne suis pas une gentille, loin de là." soupir Kait en prenant Reese dans ses bras comme un large doudou. "Je vais le tuer. Je tiens l'alcool, et je suis la plus parfaite des taties du monde." Elle sourit encore, sur le point de s'endormir.
Arrête de rigoler comme une dinde, tu vas nous faire trouver ! J'peux pas m'empêcher d'en faire autant, même si c'est pas aussi fort, pas aussi librement, c'est bizarre forcément mais ça m'travaille. Et ça m'fait un peu du bien d'sourire. Y'a une part d'moi qui en a cruellement besoin. D'puis combien de temps j'ai pas eu l'occasion d'être juste... Joyeuse ? Dans un moment comme celui-là, ça parait presque irréel, une parenthèse bienvenue et difficile à expliquer. Mais putain, ça fait du bien, parce que c'est une part d'notre humanité qu'arrive encore à s'exprimer, au moins un peu. J'serre les lèvres, et r'viens la fixer.
Oh ils sont totalement timbrés, aucun doute là-dessus, bon après, tout l'monde est pas plus intelligent qu'eux cela dit : T'en as jamais vu des aussi timbrés mais ils ont survécu super longtemps donc, c'est qu'ils doivent savoir quand même se débrouiller, même s'ils ressemblent à des brebis à trois pattes un peu autistes, j'me dis que c'est pas pour rien. Même si on peut s'poser des questions sur leur santé mental à tous, quoi. Ouais, à un certain point, on ressent tous ça, tu sais ? C'vide. Et cette impression d'pas mériter l'air qu'on respire. J'avais un ami aussi, il est mort et... Je me suis demandé cinquante milliards de fois... C'que j'aurais pu faire, je hausse les épaules : Il méritait pas ça en plus...
Et moi, j'mérite pas plus de vivre que ces enfants d'putain avec qui on séjourne. Les survivants qui résistent encore sont sans doute la pire crasse de ce qu'il reste de l'humanité, des enflures traumatisées qui ont plus rien à offrir de bien au monde. On est au milieu d'un nid à enfoirés, l'genre où tu préfères encore mettre ton cul dans un panier rempli d'vipères. Mes yeux se posent sur ma voisine, qu'en finit plus d'se lover contre moi. J'pose ma tête contre la sienne, et soupire : J'suis sûre que tu vas gérer, que j'ajoute. J'en sais rien, mais j'en ai vraiment besoin, en fait.