Les arguments n’avaient pas l’air de faire mouche, au contraire l’adulte qui les écoutent se met même à rire devant leur empressement. Elle avait raison, les deux gamins ne savaient pas grand-chose de ces contrées si ce n’est par des bribes interposées, par des suppositions fumeuses qui n’amenait qu’à des impasses. C’était comme conduire la signature d’un contrat sans en connaître toutes les clauses ni même l’objectif. Bref, cette discussion donnait un amère goût d’impossible que la jeune fille supportait peu après toutes ces péripéties. Elle laissa Ace tenter sa chance avant de continuer à sa suite tentant le tout pour le tout..
- Puis, à ce rythme, je veux pas vous inquiétez mais ça sera pas juste deux gamins que les pirates vont forcer à se déplacer au bout du monde. Les groupes de toute la côte vont juste finir par migrer dans les coins les plus reculés pour leur échapper et peut-être même chercher à s’installer chez vous. Donc finalement, vous avez que du négatif à entretenir ce statu quo. Collaborer avec nos groupes, avec les gens qui vivent sous l’joug des pirates ça vous permettra d’accéder au troc, à des échanges, enfin bref. Ce sera pas ce truc entre neutralité et négativité que vous avez l’air d’entretenir avec le capitaine et ses marins quoi. Vu que ces des pillards ils font que s'servir du travail des autres, elle marque une pause pour reprendre ses esprits n’ayant pas forcément maîtriser tous les mots ni les intonations. L’exercice de la diplomatie était un jeu d’équilibriste dans lequel Kira jouait à être un éléphant sur une minuscule corde. Dans tout les cas, tu viens de nous le dire, on connaît rien d’votre passé ni de comment vous vous en tirez maintenant. Pour être honnête on s’est lancé à l’aveugle dans l’coin et même si l’objectif était d’atteindre cette baie, on est surtout en train d’éviter le navire avec la voile noir qui rôde plus à l’est, mentit-elle à moitié omettant sciemment qu’ils les avaient pris en chasse. Tu devrais nous dire ce dont vous avez besoin ou de poser tes conditions pour avoir des informations voir même de l’aide et on se débrouillera pour y répondre. Nous expliquer toute votre situation, enfin ce que tu peux nous dire en l’état, qu’on puisse te dire des trucs concrets.
L’air un peu dépité par sa propre tentative, se voyant déjà repartir les mains bredouille, n’osant pas imaginer ce qu’ils pourraient leur faire d’autres. Car après tout peut-être qu’ils protégeaient farouchement la connaissance de leur camp, un manque d’accord mèneraient alors les deux adolescents dans une situation délicate où ils seraient une menace pour le secret. Il faudrait alors agir en conséquence… Ne supportant pas le silence de quelques secondes qui s’installait après sa longue tirade, elle lâcha sans préambule une question qui lui restait sur les lèvres depuis qu’ils avaient quitté le paquebot :
- Les confitures dans le paquebot échoué à Clallam Bay c’est vous ou c’est au groupe qui s’est fait massacrer dans la prison juste à côté ?
Elle roule des yeux, lâchant un soupir de circonstances : Des hommes ont violé, torturé et tué dans tous les groupes, si je devais m'inquiéter de ça à chaque fois que je parlais à quelqu'un, tu te doutes bien que je vivrais seule loin d'un monde entier, autant dire que l'argument ne l'effleure même pas. Et honnêtement, vous ressemblez à deux adolescents qui ne mangent pas assez pour grandir, mais je ne serais pas assez naïve pour croire que vous n'avez le sang de personnes sur les mains, directement ou non, ajoute-t-elle alors d'un ton plus froid. Je ne prends pas d'engagement sur des promesses mal abouties, annonce-t-elle.
La voilà qui te contourne, Ace, pour défaire la chaine au mur et t'entrainer à sa suite. D'un sifflement, Kira doit en faire autant : Je ne suis pas désolée de vous décevoir, mais si nous maintenons un statuquo avec ces hommes c'est pour une bonne raison. Et je ne suis pas assez idiote pour me lancer dans un conflit que je ne suis pas sûre de gagner pour les beaux yeux d'inconnus qui n'ont rien à m'offrir en échange, explique-t-elle. Si vous comptez approcher d'autres communautés dans les environs, je vous conseille d'avoir mieux en stock que des pleurnicheries qu'on a tous connu : vous ne convaincrez personne ici, nous voulons du concret, pas des "si" ou des "peut-être", poursuit-elle. On vous ramène à votre navire, je ne saurais trop vous conseiller d'oublier cette adresse si vous n'avez rien d'autres dans votre besace...
Le ton est ferme. Peut-être pourrez-vous y revenir plus tard, si c'est le cas, Helene pourra probablement quelque chose pour vous. En attendant, elle ne semble pas vraiment disposé à vous aider d'une quelconque manière : les enjeux vous dépassent, mais la survie de son groupe passe bien avant des intérêts pécuniers qui mettront en danger ses complices. Cependant, elle est sérieuse : la proposition de vous ramener à votre navire est sincère. A prendre ou à laisser.
La discussion ne mène nulle part. On est pas des négociateurs, et p’t’être qu’on aurait dû y penser à deux fois avant d’chercher à rencontrer d’autres groupes. Helene reste campée sur ses positions. Pire, elle nous prend pour des putains d’pleurnichards. J’imagine qu’elle est pas irréprochable non plus, mais de là à justifier sa tolérance envers les pirates, c’est de la putain de lâcheté. Elle ose juste pas s’y confronter.
J’suis quand même assez soulagé d’être détaché du radiateur, emmené vers la sortie en compagnie de Kira. Même si on repart bredouille… bah, on repart. C’est pas le pire des scénarios possibles quand ce groupe sympathise visiblement avec de grands malades mentaux.
“Ok.” Pour nous ramener au bateau. Ça nous laissera un peu plus de temps pour parler, j’imagine.
J’oppose pas d’résistance et suis le mouvement quand on traverse le camp. On est flanqués à l’arrière d’une voiture avec nos affaires, et j’sais qu’on a plus que quelques minutes devant nous. “C’est sur la baie.” Que j’fais doucement avant de donner des indications un peu plus précises. Ils pourront nous déposer à proximité du bateau, mais c’est mieux s’ils le voient pas directement, j’imagine. Le moteur s’met à ronronner et j’tourne la tête vers Kira, sonde son regard avec une certaine déception partagée, à la recherche d’une illumination. J’remarque seulement les égratignures sur sa joue. J’me demande ce qu’elle a foutu.
J’relève les yeux vers Helene, réfléchis un instant avant d’reprendre la conversation, “Tu n’aurais même pas à entrer dans ce conflit. On a juste besoin d’infos.” Bon, une force armée aurait pas été de refus, mais ça semble hors de question. “On va devoir se défendre quoi qu’il arrive. Si on s’y prend bien, avec les bons renseignements, on leur fera assez mal pour qu’vous soyez en position de force avec eux.” J’sais plus quoi tenter, sérieux. P’t’être que le désespoir s’entend dans ma voix, même si j’essaie de rester calme, “Ton groupe a rien à faire, rien à perdre, et vous y gagnerez quand même. Qu’est-c’qu’il te faut de plus ?” J'soupire, agacé par cette incompréhension qui flotte toujours entre nous, souffle dans une provocation pas totalement assumée, regard détourné, "On repassera par ici. Quand ils auront tout cramé." Il faudra peut-être ça pour lui faire changer d'avis.
Les gamins n’enchaînaient qu’échec sur échec. Alors que la première partie de l’expédition avait été sous de bonnes augures, comme si le destin, la nature ou un quelconque Dieu leur souriant, depuis qu’ils avaient quitté le paquebot. Kira et Ace n’avait cessé de patauger, avançant à grande peine vers un objectif qu’ils n’avaient su grimper. Sauf quelques égratignures et la preuve, tangible, incontestable qu’ils pouvaient compter l’un sur l’autre. Ils n’en retiraient rien si ce n’est de l’amertume et cette terrible sensation d’inachevé, cette conviction profonde qu’avec d’autres mots, qu’avec d’autres décisions les choses auraient pu être différente.
Mais les choses s’étaient ainsi déroulé, ils ne pouvaient rien y changer, s’apitoyer sur ce qui aurait pu être n’est que négatif. La porte d’entrée vers un gouffre sans fond d’émotions stérile et vaine. Après les avoir traité de pleurnicheuses, après avoir quasiment ignorer les propositions de la tchétchène. Hélène se décida à les relâcher au grand bonheur de la jeune fille qui bien avant son acolyte avait lâché l’affaire, ne s’accrochait plus à l’espoir d’infléchir les décisions de ce groupe. Qu’ils restent bornés ! Qu’ils ne les écoutent pas si ça leur chante ! Le ciel se rira d’eux lorsqu’ils changeront d’avis et se retourneront sur leurs alliés de façade.
Ils se dirigent sous bonne garde jusqu’à un véhicule. Pendant qu’ils s’installaient et qu’on leur rendaient leurs affaires, le garçon sonda son amie qui lui rendit un air peiné, déçu et fuyant. Kira se sentait coupable de l’avoir mis en danger, une prise de risque qui n’avait mené à rien si ce n’est la panique chez elle et la froide solitude pour les deux. Au moins ils étaient réunis, la jeune fille pouvait s’estimer heureuse qu’elle ne reparte seule, une culpabilité incommensurable sur les épaules.
Lorsque son ami impulsif décida de poursuivre une nouvelle manche des négociations avorté dans l’œuf, elle le laissa d’abord par dépit continuer ses jérémiades qu’elle savait d’avance inutile mais elle ne put s’empêche de lui pincer le bras lorsqu’il osa presque se faire insolent, présidant le funeste sort du groupe. Cela ne les concernait plus selon la jeune fille, il fallait qu’ils se tiennent à carreaux pour enfin reprendre la mer et s’éloigner de cette région reculé, de cette morne marge dans laquelle les survivants brûlaient les morts.
La route se fait dans un silence relatif, et si tu tentes encore de plaider votre cause, Helene n'est pas totalement réceptive : Si tu le dis, Ace, souffle-t-elle d'un ton égal sans lâcher le volant de son véhicule. Le retour se fait donc beaucoup plus vite que l'allée, pour le mieux sans doute. Et parvenu à proximité de la baie où vous avez laissé le navire, Helene prend le temps de réfléchir un moment : Juste des informations alors ? Te demande-t-elle. Tu ne sais pas ce que tu lui évoques, mais elle ne s'est pas fermée totalement à la conversation : Qu'est-ce que vous avez à me donner dans votre navire contre ce que je sais ? Propose-t-elle alors.
Tout ce que vous accepterez de céder à Helene sera déduit de votre barque. Cela implique que vous ne puissiez peut-être pas poursuivre votre voyage aussi longtemps que vous le voudriez.
J’peste plus ou moins silencieusement quand Kira m’pince le bras. Elle devrait comprendre que ça m’saoule, non ? J’la fusille du regard, accusateur, avant d’me détourner subitement vers Helene qui, au lieu de m’foutre un vent, entretient la conversation.
“Juste des informations.” j’confirme en relevant le regard vers elle à travers le rétroviseur central. C’est con, mais ça suffit à raviver une petite lueur d’espoir. Quant à c’qu’on a à lui donner… J’interroge Kira du regard, tout en essayant de réfléchir à ce qu’il nous reste.
“On a un peu d’bouffe avec nous.” Dans nos sacs, en fait. J’pense autant aux vivres prévus pour cette journée qu’au paquet de m&m’s que Kira garde précieusement dans ses affaires pour pas que j’lui choure.
J’sonde le regard de la femme, ajoute, “On peut t’en filer tout d’suite. Si tu nous prouves que t’as des infos de qualité, on a aussi encore un peu d’essence dans notre bateau. J’vais pas t’mentir, ça peut nous mettre dans la merde si on s’retrouve encore avec les pirates au cul. Mais si ça peut nous aider à sauver nos alliés, j’veux bien l’risquer.” J’compte pas tout lui donner. Loin d’là. Notre réserve nous suffira pas à rentrer d’toute façon, faudra compter sur notre putain de talent de navigateurs, mais on peut en avoir besoin en cas d’urgence.
Jusqu’au bout, c’était probablement l’expression la plus approprié pour qualifier le tempérament d’Ace qui n’en démordait toujours pas. Poussant la vis jusqu’à que le bois ne cède sous la pression de l’outil, il parvint à une première éclaircie dans les âpres négociations qu’ils durent conduire avec Hélène. Celle-ci avait le mérite d’avoir de la suite dans les idées, de ne pas déroger à ce qu’elle avait dit plus tôt à Neah Bay.
- Plus tu nous fileras des informations plus on te donnera ce qu’on a, qu’elle ajouta soudainement résolu à se « battre » pour mener une expédition catastrophique de bout en bout, évidemment plus c’est intéressant plus on risque de donner même autre chose que de l’bouffe ou de l’essence. L’abattement céda vite à son entreprise d’entreprise, d’initiative qui les avaient portés au-delà des marges du monde, dans l’étrange, l’inconnu complet.
Elle ne comprenait pourquoi le jeune homme lui donnait autant d’information comme si la méfiance ne faisait pas parti de son attirail de survivant. Rien ne pouvait les assurer que la meneuse n’appelle pas son ami, le capitaine juste après qu’ils aient reprit la mer puis qu’ils aillent les cueillir après s’être au préalable assuré une partie du butin. Une combine diabolique mais totalement envisageable dans un monde tordu par la mort et la désolation. Le manque de cadre, de pression étatique ou tout simplement sociale conduisait les individus à se comporter comme des bêtes. L’espèce humaine n’est-elle pas de cette dangereuse catégorie des prédateurs ?
Cherchant à allier les paroles aux actes, ce que Hélène leur reprochait de ne pas faire. La tchétchène s’empressa de sortir deux boîtes de conserve ainsi que le paquet de m&m’s qui aux yeux des deux adolescents valaient de l’or. Pour être honnête elle se détachait de ce paquet plein de sucre avec une réelle douleur mais des informations valaient plus qu’un plaisir éphémère n’est-ce pas ?