Les pirates avaient été un vif rappel de la nature de leur monde mais aussi de leur expédition, il n’était plus question de tyrolienne dans un paquebot ou bien de perte de temps dans un centre correctionnel. Les deux adolescents accostèrent et se préparèrent à laisser le bateau pour un bout de temps, la précipitation dans leurs gestes trahissaient deux choses, premièrement mettre le plus de distance avec les hommes à bord du voilier mais aussi enfin avancer, enfin aboutir à quelque chose. Sans quoi la prise de risque aura été inutile, insensé !
En espérant que leurs poursuivants ne tombent pas sur leur seul moyen de repartir de ce cap, de ce détroit qui n’était plus emprunté depuis des années. Avec des journées de marche dans les pattes et des ventres criant famine, ils se remirent en marche et n’hésitèrent cette fois pas à emprunter la route la plus évidente. Plus question de faire des détours jusque là inutile. La tchétchène était pressée de tomber sur quelque chose ou quelqu’un puis de filer jusqu’à Crescent Bay pour être de nouveau en « sécurité ». Vu le menace constante des brigands, ils ne pouvaient vraiment considérer la baie comme sûr…
Ils remontèrent la route 112, une piste goudronnée serpentant entre la côte et ses quelques maisons de plaisanciers ainsi que la forêt dense, composé d’épicéa géant et de cyprès penchant dangereusement sous la piste recouverte depuis longtemps de lichen, champignon et mousse qui survivaient bien au froid ambiant. Les branches de ces imposants arbres avaient l’air de s’incliner comme pour former une voûte menaçante sous laquelle les deux adolescents se pressèrent. Toujours accompagné par le roulis des vagues s’écrasant contre les récifs en calcaire de la côte, ils parvinrent finalement aux abords de cette ville autrefois géré par les Makah. Un bout du monde, un espace aux marges qui rappelaient sans cesse l’influence américaine. Son mode de vie, les valeurs et les tares qu’elles apportaient dans sa soif d’occupation de l’espace. Mais aussi la nature enchanteresse, le calme et la sérénité de cette végétation envahissante. La gamine, malgré sa détermination à trouver des indices, tomber enfin sur quelque chose de concluant, se laissa un peu entraîner par ses lignes naturelles qui n’appelait qu’à ravir les yeux. Elle s’attela à mémoriser, graver comme un appareil photo ces paysages dans le but de les restituer aux coups de crayons plus tard…
Essoufflés après une marche supplémentaire, vous parvenez jusqu'à la ville où d'un premier abord, aucune activité ne semble y être exercé. Une fine bruine a accompagné votre trajet, vous donnant l'impression d'une moiteur constante. Vos vêtements vous collent à la peau, le froid est mordant, l'ambiance lourde et glacé, comme une main osseuse vous saisissant les tripes. Si en sondant les lieux, vous avez l'impression d'un coup d'épée dans l'eau supplémentaire, en dépassant l'une des rues principales, vous avisez une colonne de fumée dans le ciel. Mais ça n'est pas tout. Lancez un dé 10 sur votre réflexe. S'il est réussi, vous fondez à l'abri avant d'être repéré lors d'une ronde...
A quelques mètres de vous, de larges barricades bloquent l'accès à une avenue, et des gardes, dans des tenues intégrales faites de renforts et de cuirs, sondent en contre-bas en essayant de déterminer si des ennemis approchent ou non. L'ambiance y est lourde, vous pouvez entendre une activité humaine, légère, des éclats de voix peut-être, c'est difficile à distinguer.
La ville semble vide. J’commence à perdre espoir, on avance mécaniquement, sans vraiment savoir où aller. Du moins, jusqu’à apercevoir la colonne de fumée qui monte vers le ciel.
“T’as vu ?” Que j’souffle alors qu’une petite lueur enflamme à nouveau mon regard. Bien sûr, ça peut tout aussi bien être une bonne qu’une mauvaise chose. On avance jusqu’à des barricades. Y’a un groupe, ici. Du monde, des voix, là, maintenant.
“Merde.” Des gardes. Kira réagit bien plus vite que moi et j’me prends les pieds dans la couverture qui me couvre le dos, titube un peu avant de m’arrêter face aux regards des hommes équipés. Armés.
L’adrénaline est traitre, me paralyse quasiment, dans un vague mouvement de recul. Ils approchent. Kira est planquée. Faut… que j’coopère, j’crois.
J’lève les bras en l’air, paumes vides bien visibles, la couverture m’échappant et retombant à mes pieds, découvrant mon sac et mon fusil. Le vent me mord la nuque, me fout un sale frisson et j’espère que la fatigue et le froid me donnent l’air assez pathétique pour attirer la pitié.
“Je… j’veux pas d’ennuis.” D’une petite voix. J’déteste passer pour un gamin, mais là, j’espère faire encore plus jeune que je n’le suis. “J’cherche de l’aide…” C’est sincère - c’est même tout l’objectif de cette expédition. Que ce soit pour affronter les pirates ou chiner des informations. Mais j’veux pas trop m’avancer avant d’en savoir plus sur eux et sur leurs potentiels alliés.
Les premières rues donnent l’impression d’un autre échec cuisant, tout ce mal pour tomber sur un bout de monde où les avenues sont moins grandes que l’espace entre les bâtiments. Qui vivaient dans un trou aussi paumé si ce n’est des gens attachés à leurs terres ? Les deux adolescents repérèrent assez vite la colonne de fumée qui les attira comme des insectes attirés par une lueur une chaude nuit d’été. La réflexion avait été simple, trivial, peut-être inconsciente mais qui dans le règne animal pouvait-il se rendre coupable de tel manifestation du feu destructeur si ce n’est l’Homme ?
Alors comme les bergers qui suivirent l’étoile de Bethléem en Canaan, ils s’orientèrent vers le colosse. Au détour d’une avenue ils sont trahis par un bâtiment plus imposant que les autres qui leur donnant l’illusion de les couvrir ne fit que le découvrir devant une rue dégagé où trônait une imposante barricade. Rouillé par le manque de contact, peut-être épuisé par les journées de marche, son acolyte ne réagis pas assez vite et se prenant les pieds dans sa couverture s’échoue presque au milieu de la chaussée. Alors qu’il était à découvert, tous les regards convergeant probablement sur lui et sur l’éclat de son fusil. La gamine avait été sauvé par ses réflexes reptiliens. Car aussitôt que sa vision périphérique était tombée sur les formes singulières d’une barricade, elle avait plongé sur le côté opposé. Maîtrisant à la fois sa chute, le bruit de sa réception et l’endroit où elle se planquait, Kira se retrouva dans une position où personne ne l’a soupçonnait. Bien à l’angle de la rue, pouvant voir totalement son ami et légèrement la barricade. La tchétchène attendit le souffle coupée, la bruit familier de son pistolet entre les mains ne suffisant pas à calmer son cœur s’affolant.
Ils étaient à un point de bascule, sans doute en déséquilibre entre la mort et la vie. La tchétchène s’activa ne pouvant être spectatrice d’une telle situation. Alors que le jeune homme tentait de se rajeunir, de se rendre moins menaçant. Kira quant à elle, se délesta sans attendre de sa cape improvisée et sans un bruit commença à préparer ses affaires. Ceci-fait, elle se rapprocha sans un bruit de l’angle pensant vainement pouvoir débouler sur la chaussée si les choses tournaient au vinaigre.
- On va s’en sortir, murmura-t-elle, l’angoisse comme un fardeau sur ses frêles épaules la faisait suer à grosses goûtes et rendait ses paumes aussi glissantes qu’une piste verglacé.
Ace, tu n'as pas le temps de trouver une planque adéquate pour toi, et tu vois les gardes s'approcher jusqu'à te rejoindre et te mettre évidemment en joue pour l'occasion. Tes choix sont limités et tu décides d'obtempérer pour être sûr de ne pas avoir de souci. Tu demandes de l'aide en plus de ça, peut-être peuvent-ils t'en apporter, mais ça, tu devras sans doute t'expliquer pour qu'ils comprennent. Tu es encadré, cerné jusqu'à pouvoir rentrer dans le campement, alors que ta complice reste à l'extérieur. Kira, un choix s'impose à toi : rester dehors en attendant que ton ami ressorte miraculeusement entier, ou rentrer par tes propres moyens.
Pour ta part, Ace, une fois dedans, on ne t'adresse pas tout de suite la parole, tu es trainé jusqu'à une pièce, tu peux voir les batiments délabrés, mais quelques habitants. A vue de nez ? Peut-être une trentaine de personnes, un peu plus, tu ne peux pas être sûr. La misère est notable. Au centre du campement, un bucher tourne, entretenu en boucle comme un crématorium où on glisse les cadavres qui s'entassent. Des hommes portent des masques pour se protéger de la fumée. Dans la pièce où tu es enfermé, tu as une petite fenêtre donnant sur le dehors, mais aussi une paire de menottes reliés à une chaise fixée au conduit d'un radiateur.
Si tu parles, on ne te répond pas. Tu es laissé seul pour l'instant, et ton champ d'action se résume à pouvoir regarder dehors, aller jusqu'au seau pour faire tes besoins, ou boire dans une gourde. On t'a défait de ton sac à dos, mais sans l'avoir pris, il est au bout de la pièce, en évidence.
Avisez-moi de vos actions, et je vous dirais quoi lancer comme dé.
Mon regard glisse le long des murs, sur le radiateur, la chaîne passée derrière un tuyau robuste, mon sac à dos intact, la fenêtre. J’observe le passage de ceux qui semblent bien trop occupés pour me prêter attention. Comme si on m’avait mis là, de côté, sans trop quoi faire de moi pour l’instant. Ce ne sont pas des pirates, au moins. Ils ne m’auraient pas traité aussi… bien. Relativement parlant, quoi.
J’essaie d’observer les corps qu’ils brûlent. Au moins, ils sont déjà morts. Mais j’appréhende de savoir ce qui les a tués…
Le temps passe et le silence devient de plus en plus insupportable. La distance avec Kira, de plus en plus inquiétante. J’sais pas lequel de nous est le plus dans la merde. Moi, menotté par des inconnus trop secrets, ou elle, dehors, sans avoir de quoi rentrer en sécurité et avec tous les dangers qui rôdent ?
“Hey !” Je gueule à chaque passage que j’entends ou devine à proximité. Mais personne ne me répond jamais. “Pourquoi vous m’avez attaché ?!” La frustration de ne rien comprendre écraserait presque l’appréhension de ce qui m’attend. Je secoue les poignets de sorte à faire cogner les menottes contre le radiateur pour produire un boucan métallique. Quelques instants qui ont raison de ma patience avant la leur. J’arrête, dépité, regarde tout autour à la recherche d'une issue, d'une idée lumineuse. Une part de moi espère que les autres sont déjà à notre recherche. Que Thaïs déboulera à travers cette porte les poings sur les hanches et l’air conquérant comme une super-héroïne à ma rescousse.
Mais évidemment, rien ne se passe. “Pourquoi ils sont morts ?!” Que j’crie encore sans même savoir si quelqu’un m’entend ou m’écoute, “Vous étiez à la prison ?! Vous avez vu des pirates ?!”
Ils l’embarquent comme des démons mettant la main sur de pauvres âmes. Ils l’emmènent, l’éloignent d’elle jusqu’à qu’ils se retrouvent tout deux seul. Livré à eux-mêmes, déchiré, impuissant, séparé. La gamine avait assisté avec horreur son acolyte être obligé de les suivre dans le camp. Menacé par les bouches à feu il n’avait pas vu rien faire si ce n’est obtempérer alors que l’adolescente décida douloureusement de ne rien faire, pour ne pas empirer la situation. Situant ses chances au ras des pâquerettes. Alors que les grilles s’étaient refermées sur les gardes et Ace, arrêtant cet horrible grincement où le métal râclait avec le goudron depuis longtemps, la gamine commença à s’éloigner. Partagé entre les pleurs et l’efficacité, entre les émotions et l’esprit reptilien, elle s’éloigna pour mieux reprendre ses esprits.
Le choix était cornélien, encore plus déchirant que cette séparation forcée avec son acolyte. Kira ne savait quoi choisir, ni faire. Elle qui pourtant avait réponse à tout, concevait en quelques secondes plans réputé solide. Livré-à-elle-même, à nouveau seul, elle était prise au dépourvue. Bousculé par son égoïsme, son cynisme qui lui ordonnait de partir sans se retourner. De chercher de l’aide si possible et sinon espérer une mort rapide, point douloureuse pour le gamin. Et son cœur, cette façon nouvelle qu’elle avait de concevoir les choses qui tentait de l’enjoindre à tenter de la sauver quitte à y laisser sa peau. Elle lui devait bien cela n’est-ce pas ? Est-ce que sa vie vaudra grand-chose si elle laisse tout ceux qui tienne à elle mourir ? Son oncle, Joaquin et tant d’autres… La tchétchène ne pouvait laisser le garçon s’ajouter à cette funeste liste, c’était au-delà de ses forces et de son tempérament opportuniste. Elle s’abandonna à la déraison, à l’espoir naïf d’infiltrer le camp.
Commença alors sa quête d’une issue, entrée salvatrice puis point de fuite miraculeux mais elle ne trouva rien autour de l’enceinte. Naviguant entre les carcasses de voitures, les coins de rues, les poubelles renversé la jeune fille faisait un boucan de tous les diables qui firent ressortir la patrouille méfiante. Ceux-ci se mirent sans tarder à sa recherche et l’adolescente se réfugia dans un petit magasin isolé. Bâtiment qui n’était pas loin d’une bouche d’égout, réseau qu’elle avait identifié comme seul moyen d’atteindre Ace… Livré à sa seule conscience, elle tenta de tuer le temps alors qu’elle attendait la chute de l’astre solaire en inscrivant quelques mots sur l’un des murs vierges du local. Avec application, toujours attentive aux bruits alentours durant les longues heures d’attentes, elle arriva à inscrire aux pastel « Plus jamais seule ». Un acte inutile mais au combien symbolique pour l’adolescente qui trépignait, angoissant à tous les instants, s’imaginant les pires sorts pour son compagnon.