Le chemin du retour vers le bateau a été particulièrement silencieux. Pas que la nuit ait été mauvaise, on a connu pire que l'odeur de la mort et le froid. Mais… Elle est vraiment venue contre moi ? Ou j’l’ai rêvé ? J’sais plus trop, tout est encore embrouillé par la somnolence mal dissipée, comme le brouillard qui persiste sur notre chemin. Clairement, jamais j’lui demanderai.
D’toute façon, ça aurait juste été parce que ça caillait.
J’suis soulagé de retrouver l’embarcation là où on l’a laissée, et en bon état. “On dirait qu’personne nous a capté.” Y’a pas de traces de passage en tout cas, et c’est une bonne nouvelle. On s’affaire à dénouer les cordages et extraire le bateau de sous les arbres. À la surface de l’eau, la brume est épaisse, désagréable.
Je sonde le brouillard, fronce les sourcils, plisse légèrement le regard sans rien y voir. Tout est trop opaque. Et après toute cette marche, je dois bien admettre que je suis fatigué.
“J’ai un sale pressentiment.” L'genre de frisson que je déteste. J’souffle en jetant un oeil à Kira qui n’a pas l’air de capter quoi que ce soit. J’me fais peut-être des films. J’sais pas. Mais ça m’prend aux tripes… et j’ai clairement envie d’me barrer d’ici.
J’dépose lourdement mon sac, garde mon fusil à l’épaule et avance sur le bateau. “J’mets le moteur. On file vers Neah Bay, ok ?” Sans trop laisser le choix à mon alliée. Vu le temps qu'il fait, ce sera de toute façon plus prudent, et j'pense qu'on a tous les deux besoins de se sentir avancer plus vite. “On aura p’t’être plus de chance.” Même si, jusque là, on a eu celle de rester seuls et bien en vie.
Revenir sur le bateau, se sortir de ce « marais des possibilités » dans lequel ils se sont englués trois jours durant lui fit du bien. La perspective d’enfin tomber sur quelque chose même négatif à ce stade l’enchantait. Car même si la gamine ne pouvait se blâmer de n’avoir pas avancé, elle s’en voulait. Kira réalisait difficilement l’ampleur et l’aléatoire de leur tâche. Comment trouver des traces de vies dans une région avec des forêts aussi dense ? Dans des endroits qui n’étaient occupé avant l’apocalypse que par quelques âmes descendantes de peuples ancestraux.
Avec bon cœur, plus enjoué qu’elle ne l’avait été durant le retour, elle l’aida à défaire tout les cordages et apprêter l’embarcation pour une nouvelle navigation vers l’aléatoire, le hasard, la découverte. Sans se douter que le garçon tentait d’expliquer son geste durant la nuit comme s’il pouvait attribuer une cause à une action presque inconsciente, naturelle. Pour la gamine cela lui était passé par-dessus la tête avant même qu’elle ne s’endorme. Peut-être qu’elle se voilait aussi la face de son côté, considérant que ses actions étaient dirigé par la nécessité plutôt que l’affection. Mais pour l’heure, Kira ne cherchait pas à retirer ce voile trop enivré par l’appât de l’inconnue.
- Arrête de faire la flipette, y a personne dans l’coin même pas de rôdeurs, dit-elle avec un air narquois se sentant véritablement au-dessus de tout. Comme si le fait qu’ils étaient encore en vie, parfaitement sain et sauf ne tenait qu’à eux plutôt qu’à une insolente chance ou bien les desseins du destin.
Elle alla vers la proue s’y posant naturellement, laissant l’air salé glisser sur sa peau, soulever ses cheveux et la faire flotter dans ses vêtements. Se laissant un peu aller, abandonnant ses fonctions implicites de meneuse, la tchétchène ne fit qu’hocher la tête en entendant son acolyte. Elle ajouta rapidement :
- Sûrement, sur la carte c’est écrit qu’il y avait un paquet d’amérindiens dans l’coin. J’ai entendu pas mal d’histoire sur leurs capacités à se regrouper et tenir leur territoire dans l’est de l’état. Pourquoi ça s’rait pas le cas ici ?
Le ronronnement du moteur couplé aux remous des vagues tapant la coque comme s’ils étaient de vieux amis avaient les accents d’une douce berceuse pour la jeune fille qui se sentait, paradoxalement, bien dans ce brouillard. Terrible brume au demeurant qui les faisaient avancer à tâtons, rendant leur monde dans des teintes vagues de gris. Au demeurant inconsciente peut-être inspiré par cet partie de son âme qui aspirait à explorer le champ des possibles plutôt qu’à chercher l’éternité, elle se mit debout sur la proue. Les bras bien écartés, laissant le vent vouloir la transformer en une voile, Kira se mit à crier des choses insensés presque puérile. Un accès, un excès d’exubérance chez une fille qui restait assez secrète, taciturne et qui reprochait aux autres de l’ouvrir pour rien. Devant l’appréhension d’Ace, c’était comme si les rôles s’étaient renversés. Elle cochait soudain tout ce qui faisait le petit garçon ou en tout cas sa propre antithèse.
L'urgence s'impose dans l'esprit d'Ace alors que vous démarrez et choisissez de consommer une partie de votre essence. En faisant ça, de la position de laquelle vous partirez, vous aurez tout juste assez pour faire les trois-quarts du retour jusqu'à Crescent Bay. Des choix doivent être fait, et votre décision implique de prendre le large avec cette zone étriquée. Vous vous éloignez des côtes, le bruit de votre moteur dans ce silence semble oppressant. La brume voile l'horizon, vous vous orientez comme vous le pouvez... Lancez un dé 10 sur votre perception.
C’est franchement compliqué de s’orienter dans cette brume. Le rivage se fond bientôt dans le gris opaque, et j’espère qu’on ne frappera pas un récif de plein fouet, ou tout autre obstacle sur notre chemin. Pour le moment, le bateau avance bien, et vite. Vivement qu’on se tire d’ici, qu’on s’éloigne de ce désagréable pressentiment.
Je scrute l’horizon invisible sans rien y déceler, autant pour le meilleur que pour le pire. Mais mon regard s’arrête sur Kira quand sa gueule se décompose d’inquiétude. “Quoi ?”
J’me tourne quand elle le désigne, et j’le vois. Ce bateau aux grandes voiles noires. A l’allure menaçante, qui file vers nous. Ils nous ont sûrement vus. Et définitivement entendus.
Mon coeur rate un battement. “Putain.” La tchétchène lâche aussi son lot de jurons, alors que je me précipite pour dévier le bateau sans couper le moteur, tout au contraire. Je mets les gaz au maximum dans la direction opposée, quitte à faire encore plus de bruit tant qu’on s’enfonce au plus vite dans la brume. “Baisse toi.” Et j’en fais de même pour me planquer un peu derrière la paroi du bateau en gardant une main sur le gouvernail, craignant qu’ils ne nous canardent à vue.
“Si c’est eux, on est dans la merde.” Pas besoin de préciser de qui je parle. J’repense à ce qu’on m’a raconté, à tout ce qu’ils ont fait. Il est pas question qu’on tombe entre leurs mains. Ni moi, ni Kira. “Qu’est-ce qu’on fait ? Tu crois qu’on va plus vite qu’eux ?” J’en suis même pas certain.
De nouveau, ses espoirs se décomposent sous ses yeux, l’engouement dont elle faisait preuve laisse place à de l’effroi. Un bâtiment, aux voiles noires dont la couleur suffisait à le rendre menaçant filait vers eux au travers du brouillard. Il était évident que l’équipage de ce bateau pastichait les grands pirates de les Caraïbes les avaient soit entendu, soit vu.
Plus le choix après la bordée d’injures qu’elle balance dans le vent, son esprit reptilien s’active. Pas question de se faire aborder, pas question de finir dans les mains de ces brutes que les deux n’avaient pas besoin de nommer pour les reconnaître. Sans hésitation, elle se baisse à sa suite se déplaçant, le dos bien contre la paroi. La jeune fille évaluait déjà toute les possibilités alors que son acolyte se permettait de lui poser des questions. Elle devait reprendre les commandes avant que ses bêtises ne les fassent tuer.
- C’est eux, qui se promène avec des voiles noirs et met cap sur des bateaux ?! Des putains de pirate qu’elle eut envie de lui dire avec un air furibond mais Kira se retint sachant que ça n’arrangerait rien. Je pense qu'on l'est donc on va essayer de se diriger à leur opposée quitte à s’rapprocher de la côte et des récifs. Puis on essaie de trouver un endroit où planquer le bateau et s’il n’y en a vraiment pas, beh on accoste même s’il faut abîmer la coque dans l’opération. T’as bien compris ? qu’elle lui demanda en sortant son petit pistolet qui faisait piètres figures face aux descriptions que les victimes de la péniche leur avaient faites.
Toujours dans sa phase reptilienne, guidé par des instincts affinés par des années en solitaire. Condition qui l’avait pousser presque à se méfier de la pluie et du beau temps. L’adolescente commença à compter fiévreusement ses munitions avant de s’emparer de la carte espérant repérer au fur et à mesure qu’il vire à tribord, des reliefs familiers qui pourrait l’aider à se retrouver sur le bout de papier. Engagé dans une course poursuite de ce genre ils n’avaient pas le droit aux erreurs mais combien de capitaine de navire commerciaux ont échoué à semer des pirates par le passé ? Une quantité indénombrable d’entre eux avaient connu un funeste destin…
Ceux sont eux, aucun doute là-dessus. Alors que vous mettez plein gaz pour quitter la zone, vous vous accrochez au bastingage avec l'espoir que ça sera suffisant. Impossible de savoir combien de temps vous mettez pour vous tirer de la zone, vous n'y allez pas de main morte, le temps d'atteindre une autre partie de la péninsule olympique, vous finissez par accoster en tirant votre navire à l'abri d'une baie. A l'horizon ? Rien, si ce n'est l'orage qui tonne au loin, sans vu sur un quelconque voilier ensuite. Ce coup de pression vous aurez passé l'envie de jouer plus longtemps à priori : c'est une mission sérieuse.
La tension à son comble, vous vous enfoncez dans les terres, jusqu'à discerner un chemin forestier. Lancez un dé 10 sur votre perception.
J’suis la stratégie de Kira à la lettre. T’façons, j’avais la même idée : nous barrer d’ici, s’foutre un gros coup de fouet au cul. La vision fugace de ce bateau, c’est le rappel glacial de ce qui nous attend à chaque tournant, à la moindre imprudence.
On a perdu le voilier de vue depuis un moment quand on accoste. Les gestes sont pressés, le regard dardant nerveusement l’horizon encore flou. L’embarcation est un peu planquée, mais s’ils ratissent les alentours, pas sûr qu’elle leur échappe pour toujours. En espérant que le temps ne se lève pas, car il joue en notre faveur, maintenant.
D’ailleurs, je lève le nez vers le ciel en entendant tonner l’orage. “Faut pas qu’on traîne.” Une averse par ces températures pourrait nous affaiblir dangereusement.
On avance vers les rues, le moral en berne. On vient de perdre une partie précieuse de notre carburant, et les vivres nous sont comptés. Le pire, c’est qu’on risque de rentrer sans rien de concret.
Finalement, un panneau planté au coin d’une route : la ville n’est plus très loin. Même s’il faut se résoudre encore à marcher. Je jette un coup d’oeil à la forêt, hésite, on serait peut-être plus discrets s’ils sont à nos trousses mais… la ville offre de belles possibilités, non ? Autant de rencontres que de trouvailles.
“On va par là ?” En ajustant le sac sur mon épaule - il pèse de plus en plus lourd à mesure qu'il s'allège.
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