The Walking Dead RPG

Maintenant que la rébellion avait été étouffée entre les murs de Walla Walla, le départ pour Spokane approchait. C’était presque devenu une routine pour moi sur ces dernières années. Quand je n’étais pas présent pour renforcer les effectifs d’un avant-poste dans le besoin, j’étais rappelé à la base pour rétablir l’ordre menacé. Et si les derniers événements avaient quelque peu ébranlés mes convictions, je continuais de me battre coûte que coûte pour ce que je pensais être juste, et surtout, pour garder ma famille en sécurité entre ces murs.

Nous étions mariés avec Jena depuis bientôt un an maintenant. Wilan avait bien grandi entre temps. Je regrettais de ne pas toujours être là pour voir ses progrès au jour le jour, mais je savais que je pouvais compter sur Jena pour prendre soin de lui comme si c’était son propre fils. J’aurais voulu régler la question du mariage de Lynn avant de devoir repartir, mais ce ne serait sans doute pas possible. Au moins, nous n’avions pas eu à déplorer de nouvelles frasques de Maelys qui était restée dans le rang, à croire qu’elle avait fini par trouver sa place. Quant à April, elle avait fait de net progrès pour s’ouvrir aux autres. Que Jena et Maelys apprennent le langage des signes l’avaient évidemment aidée.

Tout n’était pas si rose, mais nous jouissions d’une certaine immunité au District 2, même si l’électricité était intermittente. Cette nuit-là était particulièrement froide. Nous avions trouvé des couvertures supplémentaires, ainsi qu’un chauffage d’appoint pour les filles. A choisir, j’avais préféré m’en passer. Jena et moi avions d’autres façons des plus agréables de se réchauffer sous un tas de fourrures. Nos ébats nous avaient emmené jusqu’au milieu de la nuit, désireux de vouloir profiter de chaque instant avec elle. Comme toujours, je me faisais plus avide d’étreintes charnelles à l’approche du départ, et également à chaque retour. Jena ne disait jamais non. Elle était toujours assez enthousiaste, et me surprenait même souvent. J’avais vite compris qu’elle n’aimait pas la routine et appréciait quelques autres fantaisies, qui avaient toujours tendance à me dérouter un peu. Ce n’était pourtant jamais désagréable. Mais, depuis quelques temps, elle paraissait avoir la tête ailleurs. Je m’étais dit que ça lui passerait, mais c’était tout le contraire. Je n’avais pas envie de la quitter avec le sentiment que quelque chose n’allait pas comme il faudrait.

Je l’embrassai dans le cou, puis sur la tempe, avant de la ramener doucement contre moi pour nous réfugier sous les couvertures et nous prémunir du froid. Peau contre peau, je restais un temps ainsi pour retrouver mon souffle et goûter à ce semblant de sérénité. Entre les lourds rideaux tirés, je pouvais apercevoir assez bien les étoiles cette nuit-là. Je lui laissais le temps de reprendre peu à peu ses esprits, glissant une mèche brune de ses cheveux en arrière pour mieux la détailler. « Ca va, Jena ? » Soufflai-je doucement. « J’ai l’impression que… quelque chose te tracasse. »

Qu’arrivait-il à cet endroit qui aurait du être un refuge ? Qui était, selon elle, le dernier bastion de l’humanité ? La vie dehors n’était pas pérenne. Ici, ils avaient encore de la technologie… Dommage que tout soit dirigé par un homme auquel le titre de messie était monté à la tête, le rendant dangereux pour sa propre communauté. Sans cela, vivre à Walla Walla aurait été idyllique… Malheureusement, beaucoup s’élevaient contre cette autorité contestée. Les injustices faisaient naitre la misère et quand on n’a plus rien à perdre… Il est facile de sacrifier sa vie pour un mieux. N’est-il pas facile de comprendre ce principe très simple ? Il y a beaucoup de choses que Jena réprouve ici. Mais elle reste à sa place. Pour autant, que Lynn ai pu être blessée, que le bébé ai failli mourir… Cela n’est pas acceptable. Qu’elle soit mère célibataire non plus. Quel gâchis… Mais est-ce vraiment étonnant ? Non… Ray n’avait pas replongé pour son homosexualité, mais tuer un prêtre, ce n’était pas vraiment mieux… Et Tasya… Non, décidément, tout s’écroulait autour de Jena. Et elle ne pouvait rien y faire.

Et même ses certitudes ont fini par voler en éclat, à cause d’une femme. Elle aurait voulu que jamais Ela ne lui dise ce qu’elle savait. Que jamais elle ne lui avoue que Locklan n’était pas mort il y a des années, mais bien vivant. Du moins jusqu’à ce que la jeune femme ne vienne à New Eden. Il y a un an et demi. Et dans la tête de Jena, tout s’était embrouillé. Dans son coeur… C’est désormais le chaos. Elle aime River, elle le sait. Mais… une part d’elle demeure accrochée à l’amour de sa vie, qu’elle pensait perdue, mais qui est toujours là. A moins qu’il ne soit mort dans sa recherche. Parce qu’il les a cherché… Maelys et elle. Sans relâches.

Pour autant, est-ce que ça change quelque chose ? Elle demeure plus en sécurité ici qu’avec lui… Lui qui n’a jamais voulu l’écouter quand elle disait avoir peur, que tout cela allait trop loin, qu’il fallait partir… C’est à cause de son entêtement qu’Ewen a été enlevé et tué en représailles. Tout ce qu’elle a vécu avec lui ne saurait effacer le ressentiment… Ni la peur, quand il a commencé à dérailler, quand elle n’était même plus en sécurité auprès de lui… Depuis cette révélation, Jena a perdu le sommeil et même l’appétit, se torturant les méninges pour rationaliser tout ça et faire taire son coeur traître.

Rien que penser à Locklan alors qu’elle est dans les bras de River la dégoûte d’elle-même… Étouffée par ce secret, elle ne peut en parler à personne… A Maelys . Non, bien sûr que non, elle se mettrait en danger pour sortir d’ici et ce n’est pas le moment. A River ? Sûrement pas… Elle doute qu’il soit du genre à apprécier la rivalité… Pas dans le coeur d’une femme. Pas dans le cœur de celle à qui il a dit “Je t’aime”. Alors elle se tait et dépérit de ce poison insidieux. Pour ne pas leur faire de mal. De toute façon, cela ne change rien, elle ne le reverra jamais… N’est-ce pas ? Elle se sent pourtant menteuse auprès de River et elle déteste cela.

River qui sent bien que quelque chose ne va pas malgré tout. Il est observateur. Et perspicace. Même si jamais il ne saura deviner ce qui la tracasse vraiment. Pourvu qu’Ela tienne sa langue comme promis… Elle lui offre un doux sourire à sa question, venant se nicher plus près encore de lui, cherchant sa chaleur… Sa force inébranlable. “Beaucoup de choses me tracassent. Pas toi ?” Noyer le poisson. De toute façon, c’est en partie vrai… “Je ne sais plus trop quoi penser après tout ce qu’il s’est passé… Et tu vas bientôt repartir…” Cela aussi la tracasse énormément. Leurs moments ensemble sont si rares… Et son retour à chaque fois incertain.

Elle se blottit davantage encore contre moi, dans un geste de réconfort. Je ne savais pas exactement qui Jena cherchait à rassurer. Elle-même ou moi ? Peut-être était-ce un savant mélange des deux. Je la transperçai de mon regard clair sans mot dire, alors qu’elle me renvoyait ma question sans y répondre. C’était une technique comme une autre pour éviter d’avoir à mentionner de ce qui la dérangeait réellement.

Je me renfrognai aussitôt. La trahison de Mason était encore vive dans mon esprit, et je n’avais pas besoin d’en ressentir une autre. Jena avait dû sentir le vent tourner, car elle essaya aussitôt d’apaiser les tensions naissantes en étayant un peu plus son propos. « Après tout ce qu’il s’est passé… ? » Elle en disait trop ou pas assez. En revanche, je comprenais sans grande difficulté ses craintes de me voir repartir au loin. « Jena… » Je passai une main légère sur sa joue, avant de venir coller mon front contre le sien. Tout se bousculait encore dans ma tête, mais il y avait une chose dont j’étais à peu près sûr. Je voulais lui faire confiance, au moins à elle. Ce mariage n’avait rien d’anodin à mes yeux. Je m’étais engagé à partager ma vie avec elle. « Je voulais te demander… est-ce que tu penses que Maelys serait heureuse si je lui proposais de l’adopter ? Je ne compte pas remplacer son père mais… nous pourrions être une vraie famille. » C’était quelque chose qui me tenait à cœur.

J’attrapai lentement sa main pour venir ensuite la serrer contre moi. Je cherchais encore mes mots, sans être certain de comment aborder exactement le sujet. « Un jour, tu m’as demandé si je serais prêt à fuir New Eden si les choses tournaient mal ici… est-ce que tu le pensais vraiment ? Si ta famille, notre famille, était en danger ici… est-ce que tu serais prête à me suivre à l’extérieur ? » Je cherchais au fond de son regard quelque chose qui pourrait me mettre sur la piste concernant sa réponse. Je me doutais bien que mes paroles risquaient de l’inquiéter encore davantage avec mon départ prochain. Mais je devais savoir quelles risques Jena était-elle prête à prendre pour protéger chaque membre de notre famille, et pas seulement sa fille.

« Je peux seulement te promettre de faire en sorte de revenir le plus rapidement possible. Ma priorité, c’est vous. » J’avais voué toute mon existence à la guerre, et pourtant, alors même qu’elle était à nos portes, je réalisais subitement qu’elle n’était peut-être pas celle que je comptais mener. Être envoyé au loin, par les temps qui couraient, me donnait l’impression d’être écarté des miens au moment où elles auraient le plus besoin de moi. Et qui serait encore là pour les défendre en mon absence ?

Elle papillonne des paupières en sentant River se tendre. Elle ne peut pas lui dire ce qui la tracasse vraiment. Elle n’est pas certaine qu’il comprendrait. Il serait peut-être blessé, ne lui ferait pas confiance à l’avenir. Et si cela venait annuler leur mariage ? Elle ne peut en souffler mot à personne, pas même à l’homme qui partage maintenant sa vie, qui pourrait être en compétition avec un fantôme… Peut-être plus si disparu que ça… « Les choses changent ici et pas forcément de façon pacifique… » Elle confie d’une voix un peu étouffée et craintive. Que les femmes soient mieux considérées, oui, c’est une bonne chose, mais en attendant, des gens sont encore punis, envoyés dans des bidonvilles ou des sortes de villes/camps pour y travailler, comme au temps des grandes dictatures. Alors, évidemment, qu’elle est inquiète.

Elle ferme les yeux quand il pose son front contre le sien avec beaucoup de tendresse et une larme coule le long de sa joue, lui échappant. Qu’il puisse repartir la désole et l’inquiète. Il lui manque vraiment à chaque fois. Ce n’est pas qu’un devoir de l’attendre et de l’accueillir quand il revient. C’est naturel. Elle est si bien dans ses bras. Passer sa vie à ses côtés ? Elle l’envisage sans problèmes. Et pourtant, son esprit dérive vers… Locklan. Elle est déchirée entre deux amours, tout simplement. Et c’est injuste pour River, un homme juste et droit. Et là… C’est le coup au cœur quand il propose d’adopter Maelys… « Je… » Sa voix s’étrangle un peu sous le coup de l’émotion… « River… C’est vraiment… Je ne m’y attendais pas. Je ne peux pas parler au nom de ma fille, mais je crois qu’elle t’apprécie beaucoup. » Cela lui fera-t-il plaisir ? Elle l’ignore. Mais en tous les cas, cela touche énormément Jena. Et en même temps, elle se sent encore fautive… Mais c’est comme ci elle était séparée de son père après tout. Elle essaie de rationnaliser.

Elle l’observe, son regard se plantant dans celui de River. Celui de Jena est luisant de larmes contenues. D’émotions diverses. Joie. Tristesse. Regret. Culpabilité. Espoir. Elle sourit pourtant, sa main vient se porter sur la joue un peu râpeuse de son époux. « Oui je le pensais. J’ai confiance en toi pour nous protéger, plus qu’en n’importe qui. Je te suivrais. » Il n’y a aucun mensonge, aucune duplicité. Elle a une foi aveugle en lui pour les protéger. De toute façon, elle ne se sent plus vraiment en sécurité ici, pas quand la moindre parole peut conduire à la punition. Il lui promet qu’il reviendra rapidement, rappelant qu’ils sont sa priorité… River a quelque chose en tête, elle en est persuadée. « Pourquoi me demandes-tu ça maintenant ? » Une lueur d’inquiétude vient danser dans ses yeux brillants. Elle n’est pas dupe. Et elle commence à le connaître. Il ne prononce jamais des paroles en l’air, ce n’est pas un beau parleur. Elle se redresse un peu pour bien l’observer, presque inquisitrice.

« Je pensais que les choses allaient s’arranger quand le Général McCoy a consenti à écouter les requêtes de ces femmes, mais les mesures prises ne leur ont visiblement pas suffi. Elles l’ont fait chanter avant de se débarrasser de lui ensuite, sans doute parce qu’il n’a pas su pleinement les satisfaire. Elles réclament toujours plus, et l’ordre ne sera pas rétabli en faisant des concessions. » McCoy en était la preuve criante. Elles ne reculeraient devant rien pour avoir la mainmise sur le pouvoir. Des hommes crédules se laissaient manipuler et entraîner dans leurs manigances. Il fallait que cela cesse. « Nous avons fait une descente dans une des caches de la résistance. Beaucoup sont tombés. Nous pouvons espérer qu’après avoir démantelé tout ce réseau, les autres se tiennent tranquille. Ma priorité est de vous garder en sécurité. » Je passai une main légère sur sa joue, avec l’ombre d’un sourire. Il restait malgré tout cette ombre au tableau. Les paroles pleines de conviction de Mason me revenaient sans cesse en mémoire. Est-ce qu’elles avaient tout inventé de toutes pièces pour l’inciter à les rallier ou… était-ce la vérité ?

Le soulagement m’étreignit quand Jena m’affirma avec conviction qu’elle était prête à me suivre, qu’elle avait confiance en moi pour les protéger. Mon sourire s’affirma un peu plus. Je passai deux mains de chaque côté de son visage avant de l’embrasser avec tendresse, soufflant dans un murmure : « Ces rebelles espéraient s’échapper en passant par le réseau des égouts. Des patrouilles ont été organisés par mes soins pour quadriller le secteur, avec des grilles pour en barrer certains accès… » L’avantage d’avoir dû prendre ce type de mesures était que je connaissais parfaitement les failles qui nous mèneraient tout droit à la porte de sortie. « Je peux te confier les clefs de certaines d’entre elles et faire en sorte que certains ferment les yeux. Vous pourrez partir si le vent tourne, et nous pourrons nous fixer un lieu à l’extérieur où nous retrouver. » Il faudrait que j’aménage celui-ci un minimum, avec de quoi survivre quelques semaines idéalement. Je pourrais inventer un prétexte pour m’en charger lors de mes prochaines patrouilles, mais ce ne serait sans doute pas parfait en aussi peu de temps.

Evidemment, Jena s’interrogeait sur ce revirement. Je n’avais pas été enclin à fuir ces hauts murs des mois plus tôt, même si je lui avais affirmé que je ferais le nécessaire si ce nouvel éden devenait une prison plutôt qu’un refuge. Je me redressai dans le lit, me passant deux mains sur le visage. J’optai finalement pour la franchise en me retournant vers elle. « Certains rebelles ont prétendu que le corps médical pratiquait l’eugénisme, et que ma famille pourrait être visée. Ils ont probablement juste cherché à m’intimider mais… » Je poussai un profond soupir. « Je ne suis pas serein à l’idée de vous laisser cette fois. La corruption s’est invitée à l’intérieur de ces murs, personne ne sera à l’abri. Le moins que je puisse faire est de vous assurer une porte de sortie si les choses dégénèrent en mon absence. »

Difficile pour la jeune femme de ne pas pincer les lèvres alors qu'il évoque les revendications des femmes... une révolution à laquelle elle s'est refusée de participer activement, consciente du danger que cela pouvait représenter, mais consciente aussi de l'amélioration du quotidien des femmes si jamais elles arrivaient à faire pression. La fibre féministe de Jena s'offusque de l'entendre parler ainsi, ramenant les femmes à... leur rôle de femme et de mère, rien de moins, mais il n'est pas question de discuter de cela avec son époux. River a toujours pensé ainsi et s'est senti, jusque là, en sécurité avec ce mantra. Il aime les règles, tout ce qui est bien établi. Que Mac Coy soit viré est une bonne chose selon Jena, mais elle a la sagesse de ne pas exprimer son opinion sur ce point. C'était un salaud, il ne méritait pas sa place, c'est tout. « Coupe la tête d'une hydre et trois autres repousseront... » Elle commente avec fatalisme, souriant tristement sous la caresse de River. Cela est applicable dans les deux camps. Se débarrasser de MacCoy n'arrangera pas forcément leurs affaires, mais mettre un coup de pied dans la rébellion, écraser quelques fourmis n’annihilera pas le nid, ni les idéaux.Et plus le désespoir est grand, moins les gens ont de choses à perdre... Sacrifier sa vie pour un idéal meilleur est une cause vieille comme le monde.

Maintenant, elle est presque soulagée de pouvoir lui répondre avec franchise que oui, elle le suivra partout. Elle a confiance en lui et ne se sent en sécurité qu'avec lui. Il saura les protéger et faire ce qu'il faut pour cela. Et quitter cet endroit qui lui semblait être un refuge sûr à son arrivée, serait davantage un soulagement maintenant. Elle se sent fondre quand un sourire illumine le visage aux traits durs de son époux tandis que son rythme cardiaque s'accélère à son doux baiser. Il lui révèle alors avoir trouvé des tunnels, par les égouts, qui constitueraient un échappatoire sur. « Tu ne penses pas qu'il serait judicieux de détruire les accès à l'extérieur ou du moins de les sceller ? Même l'armée peut finir par se retourner contre l'Adonaï. » C'est placer une très grande confiance en ses hommes que de les laisser arpenter ces tunnels sans aucune précaution. Il a pourtant l'air d'être un homme paranoïaque... Elle bat des paupières à la suite de sa proposition cependant. Lui confier les clés ? Un certain malaise s'empare d'elle face à tant de confiance alors qu'elle n'est pas capable d'honnêteté avec lui... « Je... » Les mots lui manquent tout de même face à l'énormité de ce qu'il lui propose. « C'est très risqué, River... » Elle murmure, une voix quasi inaudible d'ailleurs, mais colle son front contre le sien. « Je ferais ce qu'il faut pour notre famille. » Même prendre ce risque. Pour sauver les enfants, tout comme lui, elle jouera son rôle. « Il faudra que j'apprenne la carte de ce réseau. » Pas question de se perdre.

Cependant, alors qu'il parle de répression des rebelles, il semble ébranlé dans sa foi en ce système alors qu'il évoque carrément un extradition de toute sa famille. Il se redresse alors et la jeune femme l'observe, l'imitant, avant de se glisser dans son dos et de passer ses mains sur les muscles tendus, attentive. Pourtant, il peut la sentir se crisper quand il est question d'eugénisme... Si River n'a pas envie d'y croire, elle, elle songe que c'est justement... Très possible, étant donné la mentalité qui règne ici. Et si les enfants n'ont pas de gros handicaps, il n'en demeure pas moins qu'April est sourde et Wilan, fragile du cœur... Des... Des bouches inutiles à nourrir ? Mais quand elle voit le traitement réservé aux homosexuels... l'eugénisme ne lui paraît pas si impossible, bien au contraire. « Si c'est vrai... Alors ce gouvernement ne sera plus un refuge pour ceux en ayant besoin. Quel intérêt de se débarrasser de ceux qu'ils jugent plus faibles ? » Elle a bien une idée, mais River, lui, est-il prêt à en parler à haute voix ? A mettre des mots sur ses croyances ainsi balayées alors que sa famille est en péril ? Ce cheminement est important. Et ouvrir les yeux sera douloureux.

« Ces accès sont déjà scellés par mes soins et… non, on ne peut pas se faire effondrer tout le réseau des égouts pour leur couper toute échappatoire. J’y ai déjà pensé. Surtout qu’aujourd’hui, qu’ils soient encore accessibles nous arrangent bien. » Lorsque nous avions découvert ce vaste réseau souterrain après l’assaut sur le Parlour, l’idée de tout faire sauter m’avait déjà traversé l’esprit. Il avait suffi de discuter un peu avec nos ingénieurs en génie civil pour comprendre que nous ne pouvions pas nous passer de nos égouts. La seule façon de les sécuriser avait été de monter ces grilles de toutes pièces, scellées dans le béton même, et d’organiser des patrouilles autant à la surface que dans les réseaux souterrains. Je m’étais si bien assuré que plus personne ne pourrait s’enfuir par les égouts que je pourrais sans mal lui fournir un plan et un itinéraire pour contourner les patrouilles. Avec quelques clefs en main, et quelques dettes à rappeler, Jena aurait une porte de sortie en cas de problèmes. Je pourrais ensuite profiter d’une de mes patrouilles à Kennewick pour leur trouver un lieu sécurisé, avec des denrées non périssables pour tenir quelques jours en cas de besoin. Un plan de secours commençait à germer dans mon esprit. Je réalisais avec ironie que j’empruntais les traces de Mason plus tôt avant moi, qui avait dû réfléchir à ces mêmes solutions pour protéger lui-même sa famille.

Mais Jena avait peur. « Hey… » Je passai une main légère dans ses cheveux, dans un signe d’apaisement. « Tu ne seras pas seule. Lynn sait se défendre. On ne dirait peut-être pas, mais mon aînée a dû apprendre sur le tas la première année de la pandémie. Je n’avais pas le choix quand nous étions sur les routes. Quant à April, elle est discrète, le langage des signes est un avantage. » Même si elle n’était pas toujours consciente du bruit qu’elle pouvait générer, ce qui était le revers de la médaille… « Et Maelys aussi sait se défendre, non ? » Je pris sa main dans la mienne pour la presser doucement ensuite. « Je te promets que ce ne sera qu’en dernier recours, Jena. C’est toi qui décideras si le danger est trop grand au sein de ces murs. Je te fais confiance pour estimer le danger et… Je viendrais, quoi qu’il m’en coûte. Peu importe où je serais. Je viendrais. » C’était une promesse. Il faudrait que je sois mort pour ne pas l’honorer.

Face à mes confessions, elle se raidit tout contre moi. Je caressai doucement sa main, avant de chercher de nouveau son regard. « S’ils ne s’en prennent qu’à ceux qui sont incapables de vivre avec leur handicap, même avec des soins palliatifs… je pourrais comprendre la nécessité d’agir ainsi. » On ne pouvait peut-être pas se permettre de garder des bouches inutiles à nourrir, des personnes qui ne pouvaient plus contribuer à la communauté et qui représenteraient uniquement des poids mais… « S’ils s’en prennent à mes frères d’armes qui se sont battus pour la cause et sont revenus amputés d’un bras ou d’une jambe, ou simplement à des personnes comme ma fille ou mon fils, qui sont nés avec un handicap avec lequel ils peuvent très bien vivre… je ne peux pas cautionner. » Mais démêler le vrai du faux était compliqué. A quel point Mason avait déformé et amplifié la vérité pour me faire douter ? « Ils n’ont aucune preuve de ce qu’ils avancent, Jena, mais… mieux vaut être prudent. » Ma mâchoire se serra. « L’Adonaï a bien ordonné d’ouvrir le feu sur ma fille… les dommages collatéraux étaient tolérés. » Cela signifiait bien à quel point il faisait peu cas de ceux placés sous sa protection, non ? Je poussai un soupir désemparé. « C’est difficile de partir en vous laissant derrière, après ce que j’ai pu apprendre dans les rapports ou durant ces interrogatoires… » Je secouai la tête négativement. « Mais ce n’est peut-être rien. J’ai vu et entendu tellement de choses ces semaines passées, je n’ai peut-être juste pas les idées claires. » Je passai une main sur sa joue, avant de lui embrasser tendrement le front. « Je suis désolé de t’inquiéter, Jena. » Je la pris doucement dans mes bras, trouvant un peu de réconfort dans la chaleur de cette étreinte.